Dimanche, 16 mars 2025
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    Guy Corneau, l’intimité retrouvée

    Psychanalyste, fondateur avec d’autres hommes du Réseau Homme Québec en 1992, Guy Corneau s’est fait connaître du grand public en co-animant avec Janette Bertrand huit émissions spéciales de Parler pour parler, presqu’autant à Janette…tout court, en tout 25 heures sur la condition masculine. L’homosexualité masculine avait eu sa place au sein de cette série. De l’intimité de l’homme dans Père manquant, fils manqué, au nouveau désordre amoureux entre hommes et femmes dans L’amour en Guerre, Guy Corneau, à travers ses livres et à travers ses conférences, ne cesse de redéfinir la cartographie des sentiments. «Il doit être gai». Réflexion que j’ai souvent entendue autour de moi, lorsque j’évoquais Guy Corneau. Comme si l’expression des sentiments, des émotions ne pouvaient relever que d’un homosexuel. Je ne suis pas sûr d’ailleurs que tous les gais soient aussi à l’aise avec leurs émotions. Les straights ne sont pas les seuls à être pognés avec leur intimité.

    Guy Corneau est-il gai ?
    Non, je suis vraiment hétérosexuel. Mais par contre, j’ai toujours eu et j’ai encore des amis  très intimes, qui sont gais. Je travaille par exemple avec des thérapeutes en Europe dont  quelques-uns sont gais. C’est vrai que je me reconnais plus dans la sensibilité homosexuelle de certains hommes que dans la sensibilité hétérosexuelle de beaucoup d’hommes. C’est très agréable d’avoir, en tant qu’hétérosexuel, des amitiés homosexuelles dans lesquelles la dimension sexuelle n’existe pas mais où tout le rapport affectif, même amoureux, existe. Je suis très à l’aise avec cela. Je ne me sens pas menacé dans mon orientation sexuelle. Mais c’est vrai que la question de la sensibilité a toujours été mon cheval de bataille.

    Enfance ?
    Je suis né comme un être assez sensible et j’ai été élevé dans un quartier assez dur de  Chicoutimi. Je pensais à l’époque que j’étais trop sensible pour être dans une peau d’homme. Mon phantasme ne tournait pas autour de l’homosexualité. Je me disais que j’étais plutôt une femme dans un corps d’homme. Par exemple, quand j’étais jeune, j’ai eu peur très longtemps d’être brutalisé par un homme. J’étais un être délicat, et puis j’avais des intérêts artistiques,
    comme le piano. Je me rappelle que les copains me battaient parce que je suivais des cours de piano. Ils me traitaient de feluette, de tapette. Je suis passé par là. Je dois avouer qu’avec la publication de Père manquant, la création du Réseau Homme Québec, c’était une petite revanche intime sur le monde des hommes, que moi, j’avais trouvé très machiste quand j’étais jeune.

    Mais au-delà de l’enfance, c’est une image qui te colle encore ?
    La première fois que j’ai donné des entrevues lors de la sortie de Père manquant, et même avant, quand je donnais des conférences sur l’agressivité réprimée ou la peur de l’intimité chez les hommes, je passais pour un homosexuel, par exemple pour les techniciens des plateaux de télévision. Moi aussi, j’ai à faire face à un préjugé que j’entends très régulièrement (Rires).

    Ton enfance ressemble beaucoup à celles de gais. Comment expliques-tu que tu n’aies jamais eu d’expérience sexuelle avec un homme ?
    Bien non, je n’ai jamais eu d’expérience sexuelle avec des homosexuels. Je sais que lorsque que j’étais jeune, j’avais peur du discrédit social. Par la suite, je pense que mon hétérosexualité s’est affirmée. Mes grands amis gais me disent souvent que je ne suis pas homosexuel, mais je ne sais pas comment ils le sentent. J’ai des grands coups de coeur pour des gais, mais aussi pour des hétéros. J’aime être avec les gais parce que j’aime leur culture, le sens du jeu, le sens de la fantaisie. Et eux, ils m’acceptent dans ma sensibilité, ils la trouvent correcte.

    La frontière entre homosexualité et hétérosexualité doit te sembler étrange ?
    Cette frontière est très exagérée. Je serais intéressé de vivre dans un monde où les hommes auraient vraiment droit à leur sensibilité et ce serait étonnant de voir à quel pourcentage on arriverait d’homosexualité ou d’hétérosexualité. J’ai travaillé avec beaucoup d’homosexuels en thérapie, ou dans les groupes du réseau. Je me suis souvent posé la question à savoir s’ils étaient vraiment gais ou si on ne leur avait pas permis un accès à leur sensibilité. Mais je dois dire autre chose: pour moi, la frontière entre hétérosexualité et homosexualité est très simple.

    Elle se situe au niveau du désir. En fait, qu’est-ce qui fait bander. Si un homme fantasme sur
    les hommes et que c’est ce qui lui apporte le plaisir, c’est ce qui définit l’homosexualité. J’ai eu beaucoup d’homosexuels en thérapie, mais à moins qu’ils ne souffrent énormément de leur homosexualité, c’était une chose sur laquelle je ne devais pas intervenir. Je devais plutôt la respecter. Et pour celui qui souffrait vraiment de son homosexualité, c’était une souffrance à explorer. Était-ce une souffrance liée à la culpabilité, au rejet par le milieu, la famille, la société ou une souffrance intérieure. Tout le travail de départ consistait à enlever la culpabilité pour permettre à la personne d’être dans son désir, de savoir quelle était sa pulsion de vie, sa vitalité, son goût de vivre. Si c’est dans l’homosexualité, pourquoi pas? Si c’est dans l’hétérosexualité, pourquoi pas? C’est mon point de vue de thérapeute.

    Le point de vue de l’homme ?
    Pour moi, ce qui me gêne le plus, ce sont les préjugés qu’on entretient à l’encontre des gais. Je trouve que c’est une lutte à mener, pas tant pour l’homosexualité que contre les préjugés sur les homosexuels. En tant que psychanalyste, on ne peut plus rien dire sur l’homosexualité. On ne peut pas savoir ce qu’est l’homosexualité en psychologie parce que les gais se sentent trop menacés et trop boucs émissaires dans notre société. Tant que les préjugés ne seront pas levés, on ne pourra pas en parler. Lors des émissions sur l’homosexualité, avec Janette Bertrand, je me rendais compte que c’était fatiguant pour les homosexuels, d’être un groupe bouc émissaire, et qu’il faut alors lever un écran politique : «l’homosexualité, c’est correct !». Il n’y a pas de problèmes dans l’homosexualité. L’homosexuel est obligé de le faire parce qu’il doit se défendre.

    Tu ne souscris pas à la thèse qu’il existerait une psychologie homosexuelle spécifique ?
    On ne peut pas vraiment savoir. À moins d’être à l’intérieur de la communauté où les êtres se dévoilent un peu plus. Mais le milieu gai est un peu fermé, je le comprends parce qu’il doit se défendre. Mais, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a derrière cela. Je me rends compte que l’aspect que j’aime et qui me plaît beaucoup chez les homosexuels, c’est qu’ils sont restés un peu adolescents. J’ai beaucoup de plaisir à m’amuser avec eux, à aller dans un bar, à aller
    danser. J’aime l’aspect parfois excessif, le sens de la fête, de la fraternité. Je trouve que les hétérosexuels sont plus straights (c’est bien pour cela qu’on les appelle ainsi NDA) par rapport à la fête. J’ai retrouvé cela dans mes groupes de travail: les gais apportent quelque chose de plus, une petite folie dans l’air. Je peux regarder cela de différentes façons, ou bien c’est quelqu’un qui a refusé de grandir, ou bien il y a là une richesse qui n’a rien à voir avec un aspect pathologique. Je trouve terrible de «pathologiser»” cette différence. Je pense à deux personnes gaies qui me sont les plus chères, je me dis qu’en «pathologisant», je perds dans nos relations, les aspects créatifs, chaleureux et affectifs. L’hétérosexuel a des problèmes extrêmement importants… Est-ce qu’il faut «pathologiser» l’hétérosexualité.

    Dans le Réseau Hommes Québec, comment peut se développer une meilleure compréhension entre les hommes straights ?

    Je vais te donner deux exemples, un extrême, puis un moins extrême. Il y a dix ans, le premier groupe d’hommes que j’ai eu, il devait y avoir 3 gais parmi 17 hétéros. Parmi ces derniers, se trouvait un gars, très incertain par rapport à sa sexualité parce qu’il avait été violé, enfant, par un homme. Il portait une haine incroyable contre les gais. Et pendant des mois, les gais du groupe ont été attaqués verbalement par ce gars. Ça me fatiguait. Je me disais qu’il fallait que je lève cette tension pour aller jusqu’au bout de cette histoire. J’avais organisé un jeu de rôle dans lequel il devait incarner la position des homosexuels. Ce jeu a commencé à le faire trembler sur ses bases. Les éléments qui ont été décisifs pour lui, c’est quand les gais présents ont commencé à parler de leurs histoires d’amour, à partir de leur propre intimité, de ce qu’ils ressentaient, de comment ils désiraient. Et les hommes hétérosexuels se sont rendus compte que ce n’était pas si différent de ce qu’ils vivaient. Alors, des liens s’établissent dans un rapport plus profond. Le deuxième exemple se situait dans un groupe de 8 hommes. Il y a un des gars qui a décidé, parce que c’était une marque de confiance envers le groupe, de révéler aux autres qu’il était gai. Il a parlé de sa vie, de ses parents, de son homosexualité, de ses amours, de son amour. Quand les gens parlent vraiment de leur histoire, de leur intimité, les préjugés tombent.

    Les hommes straights se sentent toujours menacés dans leur identité sexuelle par les gais?
    En général, les hétérosexuels se sentent menacés par l’homosexualité. Dans L’ amour en guerre, j’ai tenté de faire la distinction entre identité sexuelle et orientation sexuelle. L’identité de base n’est pas liée nécessairement à l’orientation sexuelle. Quelqu’un peut se sentir très homme, très viril, et bien vivre son homosexualité, et à l’inverse on peut très bien se sentir très faible dans sa virilité et être hétérosexuel. Orientation et identité ne me semblent plus un bloc opérant. Quand j’ai écrit Père manquant, fils manqué, je me sentais pris dans ce bloc entre orientation sexuelle et identité sexuelle. Aujourd’hui, je questionne tout cela. Je trouve que l’on a une conception trop rigide des orientations sexuelles, ça me semble beaucoup plus plastique que cela. Est-ce que l’on peut rencontrer des hétérosexuels qui n’ont jamais eu de phantasmes homosexuels, ou qui ont eu peur de l’homosexualité, ce qui pour moi traduit la même fascination ?

    Dans L’amour en guerre, tu parles peu d’homosexualité. Est-ce que pour toi que le couple gai ou lesbien vit les mêmes difficultés qu’un couple hétérosexuel, ou bien était-ce que tu ne voulais pas t’engager sur un chemin dangereux ?
    Je pense que les deux aspects de ta question sont justes. D’une part, je suis fatigué des différences que l’on fait, car dans la dynamique des couples homosexuels que je connais, je retrouve la même dynamique que dans les couples hétérosexuels. En glissant des petites notes sur l’homosexualité, je pensais que premièrement, les homosexuel(le)s trouveraient dans mon livre quelque chose les concernant, et que deuxièmement, ça forcerait le lecteur hétérosexuel à un acquiescement d’emblée sur le fait qu’il n’y a pas tant de différences entre homosexuels et hétérosexuels dans le couple. Ensuite, j’avais écrit un passage de dix-douze pages que j’ai enlevé sur les conseils d’un ami gai et qui a lu le manuscrit le premier. Il trouvait que je faisais de l’homosexualité un cas à part. Dans ce passage, je voulais défaire les préjugés et cet ami m’a fait remarquer que j’avais de la misère à maintenir cette perspective. Je dénonçais des préjugés que par ailleurs je reproduisais dans le reste du livre. En fait, ma pensée n’était pas assez cohérente et je m’apercevais que j’avais un vieux fond de préjugés qui remontait. Mais en gros, je revenais sur la distinction entre identité sexuelle et orientation sexuelle. J’ai vérifié en thérapie qu’un homme hétéro qui a une relation sexuelle avec un autre homme va se demander ensuite «s’il est encore un homme». Même si manifestement, il a encore un pénis, de la barbe. Chez une femme, c’est un peu différent. Une de mes patientes, suite à une rupture avec son chum, avait eu une relation sexuelle avec l’amie qui l’hébergeait. Sa question par rapport à ce qu’elle venait de vivre n’était pas «Suis-je encore une femme ?», mais : «Je me demande où est-ce que ma sexualité s’en va ?». Et là, on a une très bonne idée de la différence entre identité et orientation lorsqu’on compare la réaction de l’homme et celle de la femme. Les femmes ont beaucoup de modélisation par rapport à la mère, à la présence corporelle de la mère, une identité bien fondée. Tandis que chez les hommes qui ont tellement manqué de père au niveau de l’intimité, du rapport corps à corps avec le père, l’identité et l’orientation se confondent. Les hommes sont très fragiles dans leur masculinité. Et cela tient aux racines névrotiques du patriarcat. Leurs doutes, leurs incertitudes par rapport à leur virilité et ils ont eu besoin de dominer. On peut le remarquer sûrement dans le besoin de surcompensation, dans le travail.

    Pour en revenir à l’orientation sexuelle, l’homosexuel doit à un moment donné dire son orientation sexuelle.
    Il a le choix de le dire, mais il n’a pas le choix de son désir. L’homosexualité n’est pas un choix, c’est un fait de nature, peu importe que ce fait de nature soit génétique, hormonal, culturel ou psychologique. Il faut respecter la pulsion de vie. Mais j’ai plusieurs idées sur le fait de le dire. D’abord, cela relève de la liberté individuelle. Ensuite, il ne faut pas être naïf politiquement et commencer à le dire à la ronde. Les préjugés existent et il y aura des conséquences. Mieux vaut en parler avec quelques intimes, du moins au début. Je pense qu’au niveau psychologique, c’est une source de libération, de briser le silence, de libérer sa propre vitalité. Les secrets nous alourdissent, les secrets par rapport à la sexualité, mais pour le dire sur la place publique, il faut du courage.

    Est-ce qu’être homosexuel peut être un plus dans la vie de quelqu’un ?
    L’homosexualité est encore difficile à porter dans notre société actuelle. Mais cette difficulté innée dans une société donnée peut renvoyer un être vers lui-même et provoquer une recherche plus profonde d’identité qui dépasse les préjugés homosexualité/ hétérosexualité. Si quelqu’un peut accepter profondément son homosexualité, c’est un chemin de connaissance de soi-même et un chemin de connaissance de l’autre tout aussi valable que n’importe quel autre.

    Père manquant, fils manqué, que sont les hommes devenus? Montréal, Éd. de
    l’Homme, 1989.

    L’amour en guerre. Montréal, Éd de l’Homme, 1996.

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