Vendredi, 14 février 2025
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    “Guide” de Dennis Cooper

    Guide, de Dennis Cooper, est le deuxième roman traduit en français de ce jeune écrivain-culte américain, le premier ayant été Closer (P.O.L., 1995).

    Si on pouvait faire une comparaison pas trop boiteuse, on pourrait dire de Dennis Cooper qu’il est le Bret Easton Ellis de l’underground. Autant Ellis peut montrer le monde froid et sans désir (ou des désirs frelatés et inconsistants) des yuppies new-yorkais, autant Cooper s’attache à décrire l’univers infernal de la drogue, de la prostitution et de la pornographie d’une bande de jeunes Américains (entre douze et trente ans) perdus dans leur cauchemar climatisé.

    Le narrateur, Dennis, journaliste et romancier, entre en contact avec une bande de jeunes à l’occasion de la commande d’un article sur le sida pour le magazine Spin. Il commence ainsi son récit :

    «Luke est chez Scott. Mason est chez lui et se branle devant une photo du bassiste de Smear, Alex. Le jean d’Alex est si moulant qu’on voit carrément son cul. Un cul quelconque, comme celui d’un gosse. Robert, Tracy et Chris se défoncent à l’héro à l’autre bout de la ville. Ils sont vraiment graves. Pam dirige un film porno. Goof en est la vedette. Il a douze ans et demi. Je suis chez moi, j’écoute des disques et j’écris un roman sur les personnes susmentionnées. En particulier Luke. Voilà.»

    Il nous en fera voir de toutes les couleurs, son livre pouvant être comparé à un voyage à l’acide. Un monde de sexe et de violence défile à toute vitesse, chaotique, comme si on le voyait sous l’effet d’un zapping paroxystique. Un monde sur fond de musique (les chansons du groupe Guided by Voices servent de référence) et de pulsion de mort.

    Le grand fantasme qui prolifère comme un virus dans ce roman est le désir de tuer l’autre, de le mutiler, de le démembrer, dans une séance permanente de sado-masochisme froidement obsessionnel, comme si c’était le seul but qui resterait à atteindre dans la vie. Cette séance de sexe sale et de torture hot serait encore plus excitante si c’était un garçon de dix ans qui permettait de réaliser ses fantasmes sordides.

    Chris, Goof, Luke, Alex, Mason, Robert, Tracy, Drew qui peuplent ce roman des extrêmes sont interchangeables. Teint pâle, coiffure punk, jean noir, le plus souvent sidéen, chacun est pris dans un trip (à l’acide, à l’héro ou à la coke) dont il ne voit pas l’issue. Le présent devient une prison pour ces gens qui demeureront toujours des étrangers entre eux parce qu’ils sont égoïstement préoccupés par leurs propres désirs, aveuglés par eux. «Si on pouvait coucher avec soi-même, dit un personnage, ce serait cool.»

    Ces jeunes sont complètement asociaux. Ce sont des épaves au niveau émotionnel. Ils se foutent de leur passé comme de leur futur. N’existe pour eux que le temps présent (tout est décrit au présent de l’indicatif), temps indéfini et sans perspective comme un vide. «Le vide est au centre de toute chose», dit une fois le narrateur.

    Roman du bruit et de la fureur, de la lubricité et de la perversion, Guide est un livre si bizarre qu’il vous désoriente. On ne le lâche pourtant pas, enchaîné à son tourbillon d’images morbido-pornographiques, à ses délires pédo-homos, à ses éclairs de désespoir subit et de lucidité inattendue.

    Malgré son absence totale de linéarité, son évacuation de toute psychologie comme de toute causalité, malgré sa construction éclatée, il est saisissant. Il fait peur en même temps, car quelque chose du désir, de l’amour et de l’amitié se dit ici, dans une dimension noire si définitive et incontournable qu’ils paraissent encore inconcevables à nos esprits, et que les mots pour les décrire paraissent inadéquats.

    Sur l’amour et le sexe plane la mort qui bégaie un futur aussi terrible qu’il est incertain. Le réel n’existe plus. «Allez savoir. Tout ça n’aboutira à rien, j’en suis sûr. Vous pouvez presque nous oublier.» C’est ainsi que Dennis Cooper termine ce roman aux oripeaux autobiographiques.


    Guide / Dennis Cooper, traduction de Christophe Claro. Paris : P.O.L., 2000. 265p.

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