Lise Pineault, nouvelle directrice générale depuis quatre mois de la Coalition des organismes québécois contre le sida (Cocq-sida), s’est adaptée très vite à ses nouvelles fonctions : d’une part, parce qu’elle a déjà occupé cette fonction, il y a 5 ans; d’autre part, parce que la situation actuelle présente, selon elle, d’alarmantes similitudes avec celle de ses premières années comme employée à la Cocq-sida. Comme beaucoup d’entre nous, Lise Pineault s’inquiète d’apprendre le décès de proches et de connaissances, de voir des lits réouverts dans les maisons d’hébergement que l’on pensait récemment fermées par manque de clientèle. Elle entend se battre contre la banalisation du sida. Dans les pays occidentaux, l’arrivée des multi-thérapies et l’espoir qu’elles engendraient a fait baisser notre vigilance. C’est pourquoi elle veut remettre le sida sur la place publique et rappeler que le combat contre l’épidémie n’est pas terminé.
Pourquoi ce retour après cinq années d’absence?
Il faut préciser que le dossier sida ne m’a jamais quittée, même quand j’étais attachée politique de Gilles Duceppe. Quand Roger Leclerc a décidé de quitter son poste, je me suis présentée et j’ai été de nouveau choisie. Et curieusement, je me suis rendu compte très rapidement que le contexte n’avait pas tellement changé. Aujourd’hui, on assiste à une seconde vague d’échecs, et donc de décès, liée directement à la résistance des virus aux médicaments ou liée à la toxicité de ces médicaments. À cela s’ajoute, en parallèle, que malgré l’action communautaire pour faire de la prévention, l’arrivée des trithérapies est venue bouleverser le paysage. On constate que de nombreuses personnes ne se protègent plus ou sont moins vigilantes. On s’en rend compte par la recrudescence des maladies transmissibles sexuellement que l’usage d’un condom aurait pu éviter.
Selon vous, le sida aurait été banalisé?
Oui, et c’est extrêmement grave. Avec les médicaments, les personnes pouvaient reprendre une vie normale, et la population a même oublié que ces personnes étaient séropositives. Et c’est aussi un réflexe humain normal de ne plus voir à en parler. Même à l’intérieur des groupes communautaires gais, on constate une sorte de désintérêt face au sida. Comme si l’arrivée des trithérapies avait tout réglé. Même attitude de la part des médias, qui s’intéressent — et c’est tant mieux — au continent africain, mais qui ne parlent plus de ce qui se passe ici. Ils veulent des chiffres que nous n’avons pas sur la situation du Québec. Quant aux gouvernements provincial et fédéral, ils sont trop frileux pour organiser des campagnes de choc. En fait, on a tellement voulu que ce soit fini, qu’on a terminé par perdre les réflexes qu’on avait développés à la fin des années quatre-vingt, début des années quatre-vingt-dix.
On assisterait actuellement aux limites des trithérapies?
On ne sait pas vraiment. Pour certaines personnes, elles fonctionnent très bien, mais pour d’autres, on voit de plus en plus souvent une résistance aux traitements. Il n’y a pas encore d’études qui démontrent si ces personnes avaient déjà développé des maladies opportunistes avant d’être sous traitement. On parle aujourd’hui de la double infection, qui pourrait être la cause de la résistance, mais on n’a pas encore assez de recul pour comprendre ce qui se passe. Alors, on voit réapparaître des personnes avec des toxoplasmoses ou des sarcomes de Kaposi. Et puis, surtout, on se rend compte aujourd’hui que la prise de médicaments régulière sur de nombreuses années, peut avoir des conséquences graves. On voit des personnes qui développent des pancréatites ou des diabètes résistant à l’insuline. Ces effets secondaires peuvent engendrer aussi des décès. Mais les compagnies pharmaceutiques ne veulent pas entendre parler des effets secondaires. Si l’on prend le phénomène de la lipodistrophie, les traitements pour la combattre sont très chers et actuellement non disponibles au Canada. Il faut donc rappeler que les trithérapies ne sont pas les antidotes miracles au sida. Actuellement, les médecins sont très inquiets face aux limites de la médication et ressentent une énorme responsabilité quand ils prescrivent une trithérapie. Certains demandent aux patients d’arrêter les traitements de façon sporadique pour éloigner la toxicité et éviter que le virus développe une résistance. Ces arrêts de traitement demandent un suivi médical très serré. Il y a, pour les personnes qui travaillent en milieu sida, énormément d’insécurité.
Il faut donc encore mettre l’accent sur la prévention?
Bien sûr. Pour certains jeunes, le sida est une maladie de vieux ou qui touche les pays du tiers-monde. Mais aussi, pour des personnes plus âgées, il y a un relâchement de la prévention, comme si elles étaient fatiguées de se protéger. Or, les campagnes de prévention ont diminué, voire disparu. Depuis combien de temps n’a-t-on pas vu à la télévision une campagne nationale contre le sida ?
Ce sont les défis que doit relever la Cocq-sida?
Il y a beaucoup de travail. Il faut développer des recherches. Par exemple, le manque d’observance dans la prise des médicaments comme cause de résistance au virus serait à considérer pour interpréter l’échec de certaines trithérapies. Mais cela doit être confirmé. Enfin, il faut développer des réseaux de solidarité et d’entraide tout en tenant compte des différentes clientèles. Il faut des approches spécifiques pour les femmes, les toxicomanes ou les communautés culturelles. La façon de vivre sa séropositivité n’est pas la même, l’observance des traitements est différente, la perception de la maladie est aussi différente. Il faut aujourd’hui repenser les services et les stratégies sur le terrain. Le sida n’est pas sorti de nos vies comme on pourrait le croire.