Le nouveau roman de Marie-Claire Blais nous présente une faune bigarrée constituée de jeunes hommes qui fréquentent un bar en arborant fièrement ce qui les transforme en créatures mythiques : robes multicolores, perruques invraisemblables, bijoux rutilants.
Sur scène, ils s’exhibent pour chanter et danser devant un public ébahi. On ne pourrait y voir, à première vue, qu’une entreprise ludique visant à dérider le parterre par des numéros enjoués ou des réparties cinglantes, mais l’exercice va bien au-delà d’une simple succession de scénettes et de fanfreluches.
Les artisans de ces spectacles sont en effet toujours à l’affût d’hommes et de femmes écharpés par la vie : des exclus. C’est de la douleur même de ces mutilés qu’ils se nourrissent pour créer des tableaux où règne la dérision, où l’on se moque des autres et de soi.
Mais ces hommes sont eux-mêmes pétris des épreuves qui les ont engendrés : ils portent en eux une douleur d’être à laquelle ils ne peuvent échapper et qui alimentent leurs créations. Des créations qui permettent d’exorciser des démons ou bien de les enfouir profondément jusqu’à ce que, inéluctablement, il soit nécessaire d’y faire face.
Un roman complexe tant par les thèmes abordés que par la technique d’écriture de l’auteure. En effet, dans la lignée de Soifs, il s’agit d’un roman où le point – le signe de ponctuation – n’apparaît qu’une seule fois : à la toute fin du récit. Le tout nécessite donc une concentration importante de la part du lecteur, bien qu’après les premières pages, on se laisse aisément bercer par le rythme du récit et que des signes de ponctuation virtuels commencent à s’inscrire d’eux-mêmes au gré de la lecture.
Comme à son habitude, Marie-Claire Blais fait montre d’une langue particulièrement riche et articulée; cette dernière ne s’embarrasse d’aucun tabou face aux aspects les plus hideux de l’âme humaine, ce qui en permet une exploration empreinte d’acuité mais également d’une certaine légèreté.
Le tout pourrait, en effet, devenir aisément très lourd, mais l’auteure ne perd jamais de vue l’importance fondamentale des personnages et de leurs motivations, ce qui permet d’éviter de sombrer dans un blabla théorique barbant.
Mai au bal des prédateurs / Marie-Claire Blais. Montréal : Boréal, 2010. 323p.