Mardi, 3 décembre 2024
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    PARTIR, REVENIR : « DORMIR AVEC CEUX QU’ON AIME » de Gilles Leroy / « LA MONTAGNE » de Jean-Noël Pancrazi

    L’amour s’en va, l’amour revient. Ainsi, pourrait-on résumer l’esprit du récent roman de Gilles Leroy, dont le titre est sublime : Dormir avec ceux qu’on aime. Non seulement comme un aller et retour, mais plus encore : c’est de mémoire, de souvenirs, du temps qu’il s’agit ici, car aimer de nouveau rappelle qu’on a déjà aimé.

    C’est ce qui arrive au narrateur Gilles, qui n’est autre que l’écrivain Leroy qui depuis quelques années nous donne des romans qui sont des autofictions, comme Champsecret (2005). 

    Gilles Leroy n’est pas un inconnu des lecteurs de Fugues, j’imagine. J’y ai parlé de plusieurs des œuvres de cet auteur qui a obtenu le prix Goncourt en 2007 avec Alabama Song. Le fil conducteur de ses romans est celui du désordre des sentiments. Toujours cette impression que donne l’auteur d’une immense insatisfaction niché irrémédiablement en lui, un manque irréparable, imparable, et ce même dans le bonheur le plus complet, comme ici lorsque le narrateur rencontre, au cours d’un de ses nombreux voyages, Marian, à Bucarest, et en tombe follement amoureux.

    Mais dès les premières lignes, le doute s’installe, lié au temps, à l’âge : serait-ce l’ultime amour? Est-ce même de l’amour? Serait-ce plutôt le rêve de l’amour, comme on peut en rêver à 16 ans? Comme on peut le vivre à cet âge, comme le fit le jeune Gilles à Leningrad, avec Volodia, qu’il a fait ressurgir dans L’amant russe, un des plus beaux récits qu’on peut lire sur la naissance d’un premier amour.

    Le hasard peut être heureux ou retors : c’est ainsi dans un ancien pays de l’Est que se produit le nouveau coup de foudre, comme quarante ans auparavant en Union soviétique. Le destin serait-il cruel? Le narrateur en a du moins peur, même s’il se laisse emporter par cet amour lumineux d’un Marian de plus de 20 ans son cadet, qui ne parle qu’anglais et qui joue de la musique rock avec un groupe amateur sur les voies de la gloire.

    On retrouve ici le romancier introspectif, la panique fichée en permanence au cœur, incapable de jouir pleinement du moment présent. Malgré les nombreux déplacements qui le renforcent dans ses sentiments amoureux, il est rongé par l’angoisse ; il n’est jamais serein. Le tragique est fait sur mesure pour lui.

    Désordre ses sentiments, oui, confusion, enfer des sentiments. Sur fond d’histoire tragique passée : le totalitarisme roumain sous la férule du couple Ceausescu qui semble encore étendre son ombre nécrosée sur le couple Gilles-Marian. Et pourtant, en même temps, quelle douceur dans l’écriture de cette résurrection de l’amour, une écriture dans laquelle la lucidité devient l’unique moyen d’apprendre à vivre, à grandir (comme le titre d’un roman de 2004).

    On grandit, on vit ; on part, on revient, nous dit Leroy, car « partir fait mourir ceux qu’on aime ». Aimer fragilise toute personne, la rend vulnérable, dramatise ses sentiments. Le romancier nous communique son désarroi devant cette vérité de l’amour, et ce, avec force émotions, sur un ton mélancolique qui fait monter les larmes aux yeux. Cela est beau et touchant.

    LA MONTAGNE / Jean-Noël Pancrazi

    Un même ton mélancolique imprègne le bref récit de Jean-Noël Pancrazi, La montagne, également un livre qui fait le lien avec les précédents de l’auteur, comme Madame Arnoul (1995). Ce livre nous rappelle que cet auteur est né en Algérie, qu’il a dû quitter au moment de la guerre.

    C’est à un retour sur un événement bouleversant de son enfance que nous convie le romancier, avec cette délicatesse dans les sentiments qui le caractérise. Cet événement l’a marqué à l’âge de 8 ans : ses amis ont été égorgés dans une sortie en montagne à laquelle il devait participer. Il a échappé à la tragédie et il y a de quoi en faire du remord.

    Mais non, pas ici. L’auteur en profite pour faire un retour sur lui-même pour savoir où il en est rendu ; il s’observe sans pathos ni apitoiement, ni sentiment de culpabilité. C’est que l’âge nous rend figurant de soi-même, nous rend à la tristesse et à la conscience de savoir que toute vie peut-être un gâchis : perte de ses parents, de ses amis, impossibilité d’aimer encore et d’être heureux avec quelques beaux corps.

    Mais pas de désespoir dans ce livre qui procure une émotion vive, avec la politesse de celui qui sait qu’il s’effacera un jour pour toujours. Qu’il partira après ceux qu’il a aimés. Et qu’« il n’y a pas raison de pleurer ». Cela est touchant et beau.

    DORMIR AVEC CEUX QU’ON AIME / Gilles Leroy. Paris : Mercure de France, 2012. 189p.

    LA MONTAGNE / Jean-Noël Pancrazi. Paris : Gallimard, 2012. 91p.

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