« – Salut Yves, Je pense que je vais devoir passer mon tour pour le numéro de juin. Je suis dans les célébrations du 10e anniversaire de mon cabaret par-dessus la tête et je pars ce dimanche pour la Belgique. Et comme je m’en vais faire des spectacles là-bas, je n’aurai pas le temps d’écrire. Je reviens milieu mai, bien au-delà de l’échéance j’imagine? Désolée de te faire faux-bond. Mado »
« – Allo Mado, Fais un miracle s’il te plait. Tu peux raccourcir la longueur du texte que tu écris, sinon on va se retrouver avec une manifestation d’étudiants devant nos bureaux tout le mois de juin. La tombée officielle est mardi prochain, mais si tu peux m’assurer que je l’aurai le dimanche suivant je te garde l’espace. Reviens-moi vite. Yves »
Bon ça y est, voilà que mon rédacteur en chef me supplie presque à genoux de ne pas manquer mon rendez-vous mensuel avec vous chers lecteurs. C’est peut-être ce qu’on appelle de l’appréciation ou tout simplement la peur d’une révolte populaire. Vous voyez, ça ne prend pas grand-chose pour me flatter dans le bon sens du poil pubien.
Le mot «miracle» et une permission spéciale d’aller au-delà de l’échéance et me voilà conquise et convaincue de mon importance pour la survie du magazine. Comme c’est bon de se sentir indispensable. J’entends de loin l’équipe de Fugues au grand complet se dire : «Non, mais pour qui elle se prend celle-là !» Mais pour Dieu pardi !
Vous en doutiez encore mes chéris? Si Dieu existait, ce serait moi ! La preuve c’est que je le fais ce miracle qu’on m’a commandé alors que je prends le temps que je n’ai pas pour vous écrire entre deux spectacles et la préparation de mon prochain voyage.
Au-dessus de ma tête, il y a encore le ronron aliénant de l’hélicoptère de la SQ doublé de celui de TVA qui est en train de me rendre folle mais comme je suis Dieu, je ne m’en soucie guère. De toute façon, dans mon paradis à moi, il n’y aura pas de policiers qui tapent de l’étudiant pas plus que de trouble-fêtes qui dérangent la paix publique, non plus de journalistes arrogants de la trempe d’un André Pratte ou d’un Richard Martineau et encore moins d’une sinistre de l’éducation et d’un premier minus du Québec.
Chacun a droit à son avis, j’en conviens, mais tout comme ces illuminés qui croient détenir la vérité absolue, moi je suis Dieu et je fais ce que je veux avec qui je veux.
Et en ce moment, ce que j’ai envie de faire, c’est de m’évader quelques heures en ce beau samedi ensoleillé, veille de mon départ pour le pays de la pluie, des gaufres et du chocolat. Enfin un peu de soleil, non, mais y’était temps bout d’viarge ! J’commençais à croire qu’Il faisait la grève avec les étudiants.
Mais bon si je pars à la conquête des mâles en chaleur qui sillonnent la piste cyclable du canal Lachine je ne pourrai pas accomplir le miracle promis de pondre mon article avant mon départ. Je devrais plutôt me contenter de quelques minutes de bronzing inspirant lovée dans ma grosse chaise en rotin sur mon balcon couvert de bourgeons et de chiures de pigeons.
Mais comme une boulimique lâchée lousse dans une usine de gâteaux Vachon, je ne peux pas résister à la tentation. Je pars une petite heure pas plus, juré, craché! Allez hop, j’enfourche mon vélo et j’emprunte la piste cyclable en direction du Vieux-Montréal.
Les arbres sont déjà bourrés de feuilles, me semble que le gazon a jamais été aussi vert, les premières fleurs ont fait leur apparition dans les parterres, les squeegees sont de retour au poste, tout l’monde il est beau, tout l’monde il est gentil. Et je pédale allégrement au son du gazouillis des zoiseaux qui chantent pour moi: merci Dieu pour toutes ces merveilles!
Chemin faisant, je m’arrête un instant pour admirer le futur site de Divers/cité sur le quai Jacques-Cartier. Mais quelle merveilleuse idée! Enfin un party gai hors des murs du Village. Je m’imagine déjà sur la scène de Mascara en train de crier «Bonjour Longueuil!».
La tête légère et les cheveux dans le vent, je continue mon errance en direction de quelque endroit propice à l’accouplement. Les hommes tournent la tête à mon passage. Quai des éclusiers, un superbe arabe, yeux noirs comme l’ébène, dents blanches comme l’ivoire, le visage traversé d’un monosourcil bien touffu, me fait un clin d’oeil ravageur qui, instantanément, provoque une inondation de gêne dans ma culotte en ratine de velours. Que voulez-vous, moi la peau foncée, ça me rend fébrile comme une jeune vierge polonaise le soir de ses noces!
Sous l’éclat des rayons lumineux de ce doux soleil de mai, je vois défiler, sous mes longs faux cils en papier argenté, le film de ma vie de starlette de cabaret et je me sens tellement bien. Je viens de célébrer 10 ans de succès dans mon temple du burlesque dragqueenien et dans quelques heures je m’envole pour la Gay pride de Bruxelles. Oh yeah baby, I feel very very good! S’ti que t’es hot ma noire!
Bon la v’là rendue qu’elle se flatte l’orgueil maintenant. Ouen pis après? Si vous attendez toujours après les autres pour vous faire des compliments, vous risquez d’attendre ben longtemps. Allez, tous à vos miroirs mes chéris et répétez après moi : « Je suis hot et irrésistiiiiible! » J’vous jure, si je ne me retenais pas, j’enlèverais ma blouse à motifs japonais, j’me sortirais les boules drette-là pis j’crierais à tue-tête: « Y’as-tu quelqu’un qui a faim? Parce que j’ai deux bonnes grosses boules de crème molle qui débordent d’amour! »
Ah mes enfants, j’me demande comment je vais faire aux premiers jours d’été pour résister à tous ces beaux machos qui déambulent fièrement, le torse bombé, la tête haute et le lunch gonflé à bloc dans leur legging de nageur australien? J’ai l’impression que ça ne prendrait pas grand-chose pour réveiller ma chatte endormie par la grisaille du mois d’avril. Le premier Bear qui me dit allo, je l’emmène dans une ruelle de Verdun pis j’y fais sauter sa pompe à vélo. « Enwèye mon bébé, baisse tes culottes que j’te graisse le Bixi! ».
Allez mes tous beaux, n’attendez pas qu’il fasse 28 degrés à l’ombre avant de croquer dans le printemps à pleines dents. Débarquez de vos Grindr et autres Gay411 pis gârochez-vous sur le premier mâle venu. Il va tellement être surpris de se faire cruiser ailleurs que sur son iPhone qu’il ne pourra pas dire non.
C’est le printemps tabaslack! Pis ça fait depuis la semaine d’été qu’on a eue en plein mois de mars qu’on l’attend! Il n’y a pas une minute à perdre. Ça ne dure pas assez longtemps. Envoyez-vous en l’air au maximum, soyez pervers à l’os, faites la guidoune d’un jour, bandez pour la planète au grand complet, fourrez à tête perdue, plottez dans l’tas et tandis que vous y êtes, shootez-en une bonne crémeuse à ma santé. Ah yeah baby, la Mado elle est en rut!
Ouen ben, je ne sais pas si c’est parce que le soleil me tape sur la tête que je suis aussi inspirée, mais mine de rien, j’ai réussi à finir mon article. Et pas une semaine en retard, comme d’habitude, mais quasiment une semaine avant l’échéance. Vous voyez bien que je suis Dieu !