En octobre dernière, neuf caisses populaires Desjardins du centre de Montréal lançaient une campagne d’affichage innovatrice valorisant la diversité où une quinzaine d’employés, gestionnaires et dirigeants de ces caisses acceptaient de s’afficher fièrement. Nous avons rencontré l’un d’eux, Jean-Paul Lachapelle, directeur de la Caisse Préfontaine-Hochelaga afin de comprendre ce qui a motivé cette stratégie peu commune au Québec. Depuis plusieurs mois, Desjardins a visiblement une stratégie proactive en direction de la communauté LGBT. Quelle en est l’origine?
À l’automne 2008, un petit groupe de caisses du micro-marché du centre de Montréal ont exprimé la volonté d’aller valider l’appréciation de la clientèle gaie et lesbienne par rapport à la perception que ces derniers pouvaient avoir de Desjardins.
Pour savoir comment vous étiez perçu sur des questions de diversité ?
Oui. Nous avons fait faire une étude par une firme externe, qui a organisé, entre autres, un groupe de discussion de façon totalement anonyme. On a constaté que la perception n’était pas si bonne que ça, que Desjardins était vu comme une entreprise rétrograde, un peu fermé à la différence. Possiblement à cause d’expériences passées où ils ont senti qu’ils n’avaient pas eu d’accueil aussi ouvert et chaleureux qu’ils ne l’auraient souhaité.
Comment ce constat a-t-il été reçu par l’équipe qui avait commandé l’étude?
Visiblement les perceptions de la clientèle étaient fort différentes que ce que l’on vivait à l’interne et tous étaient d’accord qu’il fallait faire quelque chose pour corriger cette perception qui n’avait plus de sens. Les politiques favorables à la diversité, qui ont été adoptées par la fédération des Caisses lors de l’adoption des lois contre la discrimination, sont en place depuis longtemps au sein de Desjardins et elles sont respectées par la hiérarchie et intégrées au fonctionnement. La discrimination est inacceptable au sein de Desjardins en terme de valeurs et de respect de l’individu. Les membres du comité qui évaluait l’étude n’étaient pas eux-mêmes LGBT, mais avaient tous des collègues issus des ces communautés et étaient conscients qu’à tous les échelons — même au niveau de la direction des caisses — on a des gais et des lesbiennes et que cela se passe très bien à l’interne.
La question se posait donc au niveau des perceptions…
Oui, mais un problème de perception c’est aussi une réalité qu’il faut tenir compte. À partir de là, le comité a amorcé une réflexion pour trouver des pistes de solutions. Avec des budgets, d’abord limités, un premier geste a été posé avec la Fondation Émergence. Suite à cette expérience, il y a eu une volonté d’aller plus loin par ce nouveau regroupement de caisses. Nous étions conscients que nous n’allions pas changer les mentalités seulement par une alliance avec la Fondation émergence, qu’il fallait aller plus loin. Ce n’est pas uniquement en commanditant des organismes de la communauté que nous allons changer la réelle perception. L’idée était donc de faire connaître l’ouverture à la communauté par l’ouverture qu’il existe déjà à l’interne en affichant nos couleurs publiquement. Car ce n’est pas écrit sur le front de personne et les conseillers ne sont pas identifiés d’aucune façon… Si on ne fait pas le geste de le dire publiquement, les gens à l’externe ne le sauront pas et la perception ne changera pas rapidement.
À l’époque, j’étais Directeur au Centre financier aux entreprises et un dirigeant d’une caisse m’avait consulté pour avoir mon avis. Je n’avais jamais caché mon orientation sexuelle à mon entourage ni aux directeurs des caisses que je chapeautais et dont plusieurs allaient faire partie de ce regroupement. J’avais mentionné qu’il fallait promouvoir la diversité qui existe déjà au cœur des Caisses et qu’il fallait mettre de l’avant nos employés et nos dirigeants issus de la communauté. On s’est dit, si à l’interne au sein même des caisses on a pas de misère à dire que l’on est gai ou lesbienne, si on sent de l’ouverture et qu’on a des collègues et même des dirigeants ouvertement gais ou lesbiennes, les gens à l’extérieur, eux, ne le savent pas, ce n’est pas connu.
Pour promouvoir Desjardins à travers l’ouverture qui existe déjà, il fallait des porte-paroles, des modèles…
Oui, il fallait oser et s’afficher. Mais à l’époque, on n’en était pas là. Le regroupement avait besoin de cheminer un peu et il y a eu une réflexion à l’interne qui a pris quelques mois, le temps de valider certaines choses. Allions-nous trouver assez de personnes pour participer à la campagnes? Serions-nous être capable de rendre la marchandise? Allions-nous obtenir l’autorisation de la Fédération? Mais quand, en 2011, nous avons décidé d’aller de l’avant et que nous avons envoyé une demande aux employés et dirigeants LGBT, la réaction a été plus favorable qu’on ne l’espérait. Nous n’avons pas eu à tordre le bras de personne. Tous les participants à la campagne l’ont fait avec un désir d’ouverture et une certaine pointe de fierté.
Le besoin de changement est donc venu des caisses, de la base en somme et non de la Fédération…
Quand la Fédération met de l’avant des politiques, c’est qu’elle sent qu’il y a un besoin, que c’est une demande des membres ou des caisses. Chez Desjardins, nos membres se sont eux qui façonnent chaque caisse. C’est ainsi que nous avons plusieurs caisses issues des groupes ethnoculturels, à cause de la concentration qu’il y a dans certains quartiers de personnes qui partagent une origine ethnique. Tout ça pour dire que nos caisses sont le reflet de leur milieu. Si on regarde les caisses du centre de Montréal, on y trouve un nombre important de personnes issues de la communauté LGBT. Et dans une stratégie qui vise à changer les perceptions, il était essentiel de montrer plus de transparence. Le regroupement des caisses du centre-ville (de 8 caisses, le regroupement en compte maintenant 10) est né de ce désir partagé de changer les perceptions afin de mieux refléter le milieu dans lequel ces caisses évoluent.
La campagne publicitaire LGBT, bien que distincte, s’inscrit assez bien dans la stratégie communicationnelle de la fédération. Elle en reprend d’ailleurs certains des codes…
Pour le regroupement des caisses participantes, il était essentiel que la campagne soit réalisée de manière hautement professionnelle, pas de n’importe quelle manière. Nous avons embauché la même photographe qui s’occupe de certaines campagnes nationales, afin de respecter les niveaux de qualité les plus élevés, mais aussi suivi la tendance des campagnes institutionnelles de Desjardins pour respecter l’image de marque du Mouvement. La stratégie a bien fonctionné, car après avoir vu les visuels de la campagne, la Fédération a donné l’aval à son lancement.
Au niveau de la Fédération, peut-on rêver à une campagne LGBT nationale?
Si cela devient un désir exprimé par les caisses de différentes régions, il est fort à parier que cela se fasse éventuellement. Pour le moment, le mouvement initié par le regroupement de huit caisses est poussé par dix caisses, mais je ne serais pas surpris que l’ensemble des Caisses de l’Île de Montréal y adhère dans un avenir rapproché. Par ailleurs, la Fédération est membre de fierté au Travail où nous avons deux représentants (un de Montréal et un de Toronto) et un regroupement d’employés LGBT devrait se former au niveau de l’ensemble de la Fédération. Plusieurs employés ont émis le désir et l’intention d’en faire partie.
Les commentaires que nous avons eu, ici au magazine, depuis que nous avons parlé en octobre dernier de cette campagne ont tous été très favorables…
Jusqu’à présent les commentaires sont extrêmement positifs, en effet, et ce, tant en succursale que sur le service Accès D. C’est une source de grande fierté et non seulement pour les employés LGBT. D’ailleurs plusieurs employés hétérosexuels se sont dits fiers de faire partie d’une entreprise ouverte à la diversité. Nous lancerons également, à la fin mai ou au début juin, une page Facebook Desjardins LGBT, où les employés de Desjardins et le public pourront partager leur soutien à la question de la diversité sexuelle au travail.
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