L’année 2018 est faste pour le poète et musicien franco-ontarien Daniel Groleau-Landry. Plus tard cet été, il participera aux demi-finales du Festival international de la chanson de Granby et à un camp de création du Festival en chanson de Petite-Vallée. Mais d’ici là, le public pourra découvrir son nouveau recueil de poésie, Fragments de ciel, une occasion de découvrir son conflit créatif entre l’effervescence et la retenue, la complexité, la densité et la simplicité.
Tu écris qu’on préfère le son du moteur au son de la poésie et qu’on est plus conforta-ble avec la superficie que la profondeur. Sens-tu encore un mur énorme entre les gens et la poésie?
La poésie est un peu maganée. Elle est quasi inexistante dans la vie de bien des gens. C’est dommage, car n’importe quel poète sérieux dans sa démarche veut être lu et vu. Et au Canada, en français, il n’y a pas 40 000 opportunités pour le faire. C’est frustrant, mais il y a de plus en plus d’initiatives pour mettre en lumière la poésie.
Pourtant, depuis quelques années, elle passe moins sous le radar qu’auparavant.
Sa visibilité a changé, en effet. Et la forme du genre poétique devient plus accessible avec la façon dont on voit le monde. Comme on écrit constamment dans un genre bref en publiant des statuts Facebook, des tweets sur Twitter et des posts sur Instagram, ça habitue les gens à l’écrire et à le lire. Les poètes de ma génération et ceux un peu plus vieux que moi s’inspirent beaucoup de la culture populaire et de la culture du web en écrivant.
Quand on pense à Véronique Grenier, à Natasha Kanapé Fontaine et à Erika Soucy, on remarque une forme de quotidienneté dans leur écriture. Sens-tu des affinités avec elles?
On a tous notre approche, mais on est les enfants de notre génération. On est au courant de ce qui se passe dans le monde, on essaie de le digérer et de le refléter dans nos œuvres. J’aime communiquer une information extrêmement dense, mais de façon agréable. Ceci dit, je ressens particulièrement des affinités avec les poètes des Éditions de l’écrou, qui font une poésie plus rough, axée sur l’affectif et l’esthétique de la vie de poète, en la remettant en question.
Tu t’exprimes sur la difficulté d’être un ado gai dans le nord de l’Ontario en expliquant que tu devais fermer ta gueule. Est-ce pour ça que tu as tant besoin de t’exprimer aujourd’hui?
En fait, soit tu fermes ta gueule, soit tu fonces dans le tas, en faisant semblant d’être quelqu’un d’autre, en portant un bouclier. Je l’ai vécu comme ça en grandissant. Mon identité était quelque chose à taire, un objet de curiosités. J’étais un freak pour les autres. Je me suis fait harceler, tabasser, suivre dans les rues et crier des bêtises durant toute mon adolescence à Sudbury. Puis, lorsque j’ai eu 26 ans, je me suis dit qu’il y avait plusieurs affaires qui faisaient mal à mon cœur et que j’avais besoin de régler. J’ai commencé une thérapie, à me questionner sur comment je dealais avec mes émotions et quels étaient mes mécanismes. Un des bons moyens pour faire tout ça, ça a été la poésie.
Dirais-tu que la poésie t’a sauvé?
La poésie, la scène, le théâtre et les arts m’ont sauvé, en me permettant de me réinventer et de créer ce personnage de poète maudit capable d’avoir la fougue et la confiance d’aller sur scène pour dire que j’existe à ma façon, avec toute la richesse et la rage de ma langue. Je me dis que si je suis capable de mettre en mots ma douleur, peut-être que je vais pouvoir m’en séparer et fermer la porte à ce pan-là de ma vie pour passer à autre chose.
Tu écris aussi beaucoup sur la douleur d’aimer. C’est très présent dans ta vie?
La douleur d’aimer, c’est cette chose, cette personne extraordinairement fabuleuse dont j’aimerais me rapprocher, mais sans en être capable, à cause de ma condition. C’est quand on aime profondément quelque chose qui ne nous aime pas en retour. Ça, je le ressens au quotidien. Peut-être que j’ai un pattern? Il faudrait que je fasse une psychanalyse. Mais je pense aussi que je fais ça parce que je n’ai pas eu beaucoup d’amour envers moi-même. Il a fallu que je le construise.
Il est souvent question du vide et du silence dans tes poèmes. De quelle façon ça te sti-mule?
Dans le bourdonnement du monde, être capable de faire le vide à l’interne pour avoir un dialogue avec soi-même, c’est hyper constructif. C’est nécessaire de faire le vide autour de soi pour toucher à ce qui veut émerger organiquement.
Fragments de ciels: poésie / Daniel Groleau Landry.
Ottawa: Éditions l’Interligne, 2018. 113p. (Collection Fugues/Paroles)