Auréolé d’une réputation enviable de chef d’œuvre, cette traduction du suédois aborde un sujet on ne peut plus difficile, les débuts de l’épidémie du sida, qui pourrait aisément en rendre la lecture aride alors qu’il n’en est rien.
Une galerie de personnages traverse cette fresque d’un Stockholm des années 80, mais deux d’entre eux s’en détachent. Dans un premier temps, Rasmus, qui fuit un village qui se caractérise par une extrême petitesse tant en nombre d’habitants, qu’en ouverture d’esprit.
L’autre pièce du puzzle est Benjamin, un Témoin de Jéhovah, profondément enraciné dans sa famille et dans sa religion, mais qui se résout à tout abandonner pour embrasser un homme dont il veut être simplement aimé.
Le récit se déroule au cœur d’une période clé de l’histoire de la Suède où la communauté gaie commence à sortir de l’ombre et faire des gains. Ces avancées ne feront cependant qu’un temps devant la psychose entourant le sida qui avive une intolérance brutale de même que des conditions d’existence précaires.
Paradoxalement, ce fanatisme et cette hantise vont également révéler des alliés véritables à l’intérieur desquels se bâtit une communauté qui lève la tête pour faire face à l’épreuve.
Au-delà d’une fresque historique sociale, le roman présente avant tout une histoire d’amour bouleversante auquel il est impossible de demeurer insensible. Alternant entre passé et présent, l’auteur fait preuve d’une plume puissante avec laquelle il s’ingénie à évoquer des images simples et fortes à la fois.
À preuve, cette scène où Rasmus, encore enfant aperçoit un élan blanc au détour d’une promenade en forêt avec son père. Un être différent, une «aberration de la nature» qu’il faut éliminer pour protéger l’espèce, explique le père à son fils qui ne réplique qu’avec une petite phrase: «Pourtant il existe»!
Une œuvre magnifique récipiendaire du prestigieux prix Libr’à Nous, décerné par 240 libraires présents sur le territoire de la France, la Belgique, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Roumanie, le Chili, les États-Unis et le Canada.
Sans aucun doute le roman qui va vous rester en tête tout au long de l’année!
N’essuie jamais de larmes sans gants / Jonas Gardell. Québec: Alto, 2018. 827p.