Un an après avoir ébranlé le monde littéraire avec Queues, Nicholas Giguère publie Quelqu’un, une petite plaquette tout aussi franche et in your face sur le «tapettariat» régional, le guédaillage de bar et l’espoir d’exister dans les mains d’un homme.

Comment décrirais-tu la vie gaie en Beauce?
C’est quelque chose d’extrêmement restreint. Comparée à Montréal, Saint-George-de-Beauce, c’est le fond de rang. Et comme la ville est à une petite heure de Québec, dans le temps, plusieurs gais montaient au Drague ou dans les autres lieux LGBTQ de la ville, plutôt que d’aller à L’Envol, le seul bar gai de la Beauce, où on voyait toujours les mêmes faces.
On sent une grande lassitude du narrateur face à la culture de la communauté gaie régionale. Pourtant, il participe assidûment à ce qu’il critique, non?
Tout à fait. Il se sent comme un fantôme que personne ne regarde et il aimerait terriblement être vu, mais sans faire partie du spectacle. Le narrateur est toujours en position décalée et en porte-à-faux par rapport à cette communauté-là. Il a un regard acerbe et désillusionné sur le milieu, tout en en faisant partie.
Pourquoi continuer de faire des liens avec ta vie et d’explorer l’autofiction?
Tout auteur part toujours de lui-même. Je choisis de faire de ma subjectivité un moteur et d’être omniprésent. Avec ce parti pris pour le dévoilement et la mise à nu dans l’écriture, j’espère arriver à écrire des livres qui vont interpeller les lecteurs. Je suis animé par la volonté de tout dire de la façon la plus franche, frontale et viscérale possible. Certains écrivains cherchent à esthétiser leur expérience, en prenant une certaine distance ou en utilisant des imagines particulières. Dans mon écriture, même s’il y a quand même une recherche esthétique, elle est du côté de l’impudeur. On me dit que j’écris des choses que plusieurs pensent, mais qu’on ne trouve pas dans les livres. Chez moi, c’est clair et limpide.
Pourquoi la valeur du narrateur passe-t-elle par le regard des hommes?
Je me suis remis dans la peau du jeune que j’étais à 16, 17 et 18 ans, lorsque j’ai décidé de découvrir mon homosexualité dans un bar comme L’Envol à l’ambiance assez mortifère. Je me suis demandé pourquoi j’y retournais, même si j’avais toujours l’impression d’être regardé de haut en y entrant, même s’il y avait plein de petites cliques et que c’était difficile de se faire admettre, et même si je n’ai jamais été un gars de bars. La réponse, c’est que j’espérais trouver quelqu’un pour devenir quelqu’un.
Irais-tu jusqu’à affirmer que le narrateur est prêt à prendre n’importe quel gars pour oublier sa solitude et devenir quelqu’un entre ses mains?
Il n’a certainement pas besoin que ce soit le grand amour ou le prince charmant, mais juste quelqu’un. Durant mon écri-ture, je me suis remis dans la peau du jeune homme que j’étais, et ce que je voulais, c’était d’être remarqué, de me faire dire «t’es donc ben cute». Même si c’était fugitif ou anonyme. Ça peut sembler simpliste, voire destructeur, comme raisonnement, de vivre pour le regard de l’autre, mais quand on s’arrête un peu pour y penser, on le vit tous à un moment donné. Aujourd’hui, à presque 34 ans, je suis capable de faire la part des choses et de vivre seul, mais à l’époque, j’avais soif d’absolu.
Est-ce qu’il retourne sans cesse à L’Envol, plutôt que d’aller dans un autre bar de la région, de peur d’être victime d’homophobie verbale, physique ou non-verbale?
C’est clair! Il a entendu parler que certains homo- sexuels se tenaient au resto-bar le Vieux Saint-George, dans un coin en particulier de la place… mais il ne peut pas imaginer savoir les reconnaître. Ils n’ont quand même pas un sticker sur le front sur lequel c’est écrit «Je suis gai»! En théorie, il pourrait aborder un gars qui se révèle hétérosexuel et que celui-ci soit flatté… mais en Beauce, c’est encore très conservateur, rural et reculé. Tu ne sais jamais sur qui tu peux tomber. Le jeune que j’étais à l’époque avait définitivement peur de tomber sur un homophobe. Quand on sortait de L’Envol, qui était au 5e étage d’un édifice dans lequel se trouvait aussi le bar L’Olympique, un véritable trou à rednecks, on ne se mêlait pas. On gardait une distance.
«QUELQU’UN» de Nicholas Giguère (Hamac) est présentement disponible en librairie.