Au moment de fêter comme chaque année nos avancées, nos réalisations et de rappeler les défis qui nous attendent, il y aura un grand absent cette année mais présent dans de nombreuses têtes, Laurent McCutcheon. Il a été de toutes les fiertés depuis leur tout début, entre autres pour mettre en valeur le travail de la Fondation Émergence et celui d’Interligne (anciennement Gai Écoute). Il aura aussi été de tous les combats qui ont mené à la reconnaissance légale et, par extension, sociale des couples de même sexe.
Alors que l’on venait de m’annoncer son décès, déjà sur la toile, certaines personnes n’ont pas attendu quelques heures, quelques jours, pour avancer que Laurent McCutcheon n’aurait pas été à la hauteur dans certains dossiers. Je pense à l’universitaire Florence Paré reprochant à Laurent son «inaction» vis-à-vis des personnes trans. J’ai été profondément attristé par son post sur un réseau social. Pas le début d’une once de respect pour tout ce que Laurent a fait de positif, mais aussi aucune compassion pour le chagrin de son conjoint, de ses amis, et de toutes celles et ceux qui ont côtoyé et travaillé avec Laurent.
Laurent McCutcheon n’était pas un saint. Il était bien plus. Il était un être humain. Et dans ce qu’il a de plus beau, c’est-à-dire engagé pour la communauté au sens large. Et son œuvre le démontre très largement. Bien sûr, il avait, comme nous tous, ses contradictions. Contrairement à d’autres, je pense qu’il est sain dans nos communautés comme dans toute communauté humaine qu’il y ait parfois des divergences. Et c’est la confrontation de ces divergences qui nous permet aussi d’avancer. Et Laurent savait aussi faire la part des choses en ayant comme seul souci, le bien-être de nos communautés et l’acceptation sociale.
Bien sûr, tout le monde a en mémoire les deux organismes qu’il a fondés, Gai Écoute, qui depuis bientôt presque 40 ans reste un lien indispensable pour de nombreuses et nombreux LGBTQ+ qui lorsque leur soleil devient trop noir, quand leur détresse les noie de l’intérieur, appellent en dernier recours aujourd’hui Interligne. Et nombreuses sont les personnes que je connais qui un jour ont appelé ce service. Une voix rassurante, prévenante leur répondait et leur lançait la première petite bouée de sauvetage. Il y a quarante ans, on ne se souciait pas trop de la détresse possible des LGBTQ+. Laurent McCutcheon, lui, l’avait devinée et mis en place une ligne d’appel.
On pense, bien sûr à la Fondation Émergence et à la Journée nationale de lutte contre l’homophobie (devenue ensuite la journée internationale…) qui a fait des petits dans de nombreux pays. Et si le mois de mai prend les couleurs arc-en-ciel et attirent les projecteurs des médias sur les réalités criantes, affligeantes et révoltantes de l’homophobie et de la transphobie partout dans le monde, il n’est pas exagéré de dire que le mois de mai porte aussi la signature de Laurent.
Il a été de toutes les concertations avec les différents gouvernements pour la reconnaissance des conjoints de même sexe, pour la création d’une politique de lutte contre l’homophobie et la transphobie portée par le gouvernement québécois. Il avait su développer tout un réseau dans les différents partis politiques au Québec pour maintenir un dialogue, construire des passe-relles entre les élu.es et nos communautés. Un travail de bénédictin s’il en est, compte tenu souvent des résistances à bouger des décideur.es. Il n’hésitait pas comme d’autres d’ailleurs à revenir à la charge, investi par ce qu’il considérait n’être que justice.
Aussi, Laurent aura su attirer un regard bienveillant des médias et du monde politique artistique et politique sur nos communautés. En rendant hommage à des personnes hors de nos communautés mais qui se sont révélées parfois sans même en avoir conscience des allié.es de tout premier ordre, comme Janette Bertrand entre autres. Ces allié.es qui ont été aussi des porte-paroles pour nos communautés. En donnant à nos communautés une plus grande visibilité sur la place publique, Laurent McCutcheon a été un grand réformateur social. Qu’on se souvienne des défilés de la Fierté avec, en ouverture, le convoi coordonné par Gai Écoute des personnalités publi-ques. La stratégie était simple, et pas seulement pour sa propre reconnaissance comme certaines mauvaises langues l’ont déjà dit. Laurent avait compris que plus nous serions présents et accueillants face à la population via les médias, plus nous aurions de chance que nos réalités soient prises au sérieux, plus nous aurions de chance de voir les différents paliers de gouvernements prendre en compte nos demandes. En ce sens, le pari a été gagné.
J’ai côtoyé Laurent McCutcheon dès mon arrivée au Canada à l’époque de la Table de concertation des lesbiennes et des gais du grand Montréal, puis à la Coalition pour la reconnaissance des conjoints de même sexe. Plus tard comme journaliste, enfin en travaillant deux ans à la Fondation Émergence. Nous avons eu nos différends (Je ne suis ni un ange, ni un saint) dans la mise en place du programme Pour que vieillir soit gai. Mais le programme est toujours là, et nous le devons en grande partie à Laurent McCutcheon.
Alors qu’il se savait condamné, il a continué à travailler encore pour le bien-être et la dignité de chacune et chacun en devenant vice-président de l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. Il serait injuste de ne pas rendre hommage et de partager cet héritage avec son conjoint pendant 47 ans, Pierre Sheridan. Pierre n’était pas l’homme derrière Laurent, mais à côté de Laurent. Laurent le rappelait souvent que rien de ce qu’il avait réalisé n’aurait pu l’être sans le soutien indéfectible de Pierre et ce depuis le tout début de son engagement dans nos communautés.
Voilà, en cette période de la Fierté qui s’annonce, je remercierai dans ma tête le travail de Laurent McCutcheon, comme j’y associerai deux autres personnes trop tôt disparues qui, comme Laurent, ont changé à leur façon nos communautés. Le militant syndicaliste et communautaire Jacques Pétrin, et la grande Marie-Marcelle Godbout dans l’aide aux personnes trans. S’il y avait un panthéon arc-en-ciel pour celles et ceux qui ont marqué nos vies et nos communautés, tout trois y auraient une place de choix.