J’avais les bras trop longs. Des joues trop rouges. Un sens vestimentaire inexistant. Une coupe de cheveux banale. Un surplus de poids. Une absence de confiance. Des canines proéminentes qui m’ont convaincu de ne plus sourire pendant un an. Des yeux, un nez et une bouche pas particulièrement désagréables, mais qui semblaient incapables de vivre en harmonie. J’étais persuadé que personne ne voudrait de moi comme amoureux ni comme amant, car je croyais n’avoir rien à offrir. Sauf des qualités de cœur que j’ai (sur)développées pour qu’on veuille de moi, au moins, comme ami. Aujourd’hui, je réalise que je dois beaucoup à ces années peu esthétiques.
Est-ce que mon allure physique s’est améliorée avec le temps? Peut-être. Certains diront que le vilain petit canard que j’étais s’est transformé en cygne majestueux. D’autres s’esclafferont en affirmant que je suis toujours aussi affreux qu’avant. À tous, je répondrai que l’attrait ou la répulsion que j’inspire au présent ne sont pas pertinents et que ma réflexion est ailleurs. Elle réside dans l’étrange soulagement de ne pas avoir été l’adolescent naturellement joli qui peut s’asseoir sur sa beauté comme un roi s’installe sur son trône. Je n’ai jamais été cet homme persuadé qu’on viendrait à lui sans fournir d’effort. Au contraire, j’ai tout fait pour développer mon écoute, mon sens de la répartie, mon humour, ma gentillesse et ma culture générale. Pour qu’on me trouve divertissant. Pour qu’on aime ma discussion. Pour qu’on chérisse ma présence. Pour que mon amitié devienne indispensable. Quitte à ce que ce désir d’être aimé devienne malsain, à force d’oublier la beauté de mes imperfections et d’essayer de les effacer sans relâche.
Avec le temps, j’ai pris conscience de mes comportements destructeurs et j’ai trouvé un espace d’équilibre. Un endroit où je n’ai plus à compenser ma laideur en étant le plus drôle, le plus brillant, le plus doué, le plus capable-de-résoudre-tous-les-problèmes-personnels-et-relationnels-de-mes-amis-afin-de-justifier-ma-présence-dans-leur-vie.
Un point de vue sur le monde me permettant d’être plus en paix avec moi-même et de savourer les qualités humaines que la vie m’a amené à façonner. Un lieu où je ne peux faire autrement que de remarquer à quel point ces mêmes qualités sont trop peu présentes en société. J’aurai toujours du mal avec les gens qui attendent que l’autre fasse les premiers pas, ouvre la discussion, pose des questions et relance de nouveaux sujets, alors qu’ils s’écoutent parler sans avoir la décence de tourner les réflecteurs vers leurs interlocuteurs. Quand on me réplique que j’ai de la facilité à trouver des questions pertinentes parce que je suis journaliste, je me réserve le droit de CALL THE BULLSHIT.
J’ai choisi cette profession parce que je suis curieux. Je ne suis pas devenu curieux parce que je suis journaliste. Personne n’a besoin d’une maîtrise universitaire pour participer activement à une discussion. Il suffit de s’intéresser à l’autre, de l’interroger, de commenter et de progresser graduellement dans la découverte. Ce même genre de passivité désolante s’observe aussi dans la sexualité. Je ne parle pas ici de position sexuelle, mais de la capacité à s’investir dans l’action, de partir à la recherche de qui fait vibrer l’autre et de faire preuve de créativité. Certains se demandent peut-être comment j’ai pu débuter mon texte en parlant de ma laideur adolescente et me retrouver dans un paragraphe sexuel. Je leur réponds que plusieurs hommes et femmes qui ont le privilège de correspondre aux standards de beauté depuis leur naissance vieillissent parfois en étant persuadés qu’ils n’ont besoin de ne rien faire pour être satisfaits. Aussi bien dans un lit qu’autour d’un café. Le manque de considération atteint des sommets depuis quelques années. Et jamais je ne croirai que la prolifération des écrans ni l’apparition des réseaux sociaux sont les seuls responsables de la déshumanisation de l’Autre et de la distance virtuelle qui nous donne l’impression de pouvoir faire ce qu’on veut sans que quiconque en subisse les conséquences.
Si vous prenez un instant pour y penser, vous trouverez autour de vous des amis, des collègues, des membres de votre famille, des ex-amou-reux et d’anciens amant(e)s qui ont fait de leur beauté le socle autour duquel tourne leur vie. Ils ne sont pas les plus intelligents. Vous ne voudriez probablement jamais être en équipe avec eux dans un match de Génies en herbe. Leur répartie est aussi éclatante qu’un pare-brise en hiver. Ils sont souvent étrangers avec le concept de générosité gratuite, car ils ont bénéficié toute leur vie d’un système construit pour les favoriser, eux. Évidemment, la beauté-depuis-la-naissance n’explique pas tous les comportements méprisables. Ce n’est qu’un aspect de l’équation. Néanmoins, quand je les regarde aller, je remercie la vie de m’avoir rendu aussi laid pendant presque quinze ans. Le temps que j’apprenne à devenir un être humain que je respecte.