Samedi, 9 novembre 2024
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    Ils se sont aimés…

    Depuis vingt ans, Hugh Nini et Neal Treadwell collectionnent des portraits d’hommes amoureux pris entre 1850 et 1950. Ils viennent de publier plus de 300 clichés (soit 10% de leur collection) dans un beau livre disponible en versions française et anglaise.


    «Nous avons commencé à collectionner ce genre de portraits il y a vingt ans lorsque nous sommes tombés sur une vieille photo que nous pensions unique en son genre, raconte Hugh Nini. C’était un dimanche inhabituel dans la mesure où je n’avais aucune répétition prévue ce jour-là et Neal ne prenait pas l’avion pour New York ou la côte Ouest pour travailler la semaine suivante, comme à son habitude. Nous avions chacun un jour de congé: une chose qui ne s’est pas produite assez souvent ces dernières années. Nous nous sommes arrêtés dans un magasin d’antiquités où nous étions allés plusieurs fois auparavant. Nous ne cherchions rien, nous profitions simplement d’une journée de détente. Dans la boutique, Neal est venu vers moi avec une boîte en cartoncontenant de vieilles photos et m’a dit: “Jette un œil!”»

    «Il y avait une dizaine de photos ordinaires datant des années 1920 et montrant des maisons de notre quartier. Cette zone de Dallas s’appelle les “M Streets”. Au bas de la pile, il y avait une photo de deux jeunes hommes qui s’étreignaient – romantiquement! Nous avons regardé cette photo qui semblait nous renvoyer à nous-mêmes. Ces deux jeunes hommes, devant une maison, se prenaient dans les bras comme le font deux amoureux. Les jeunes hommes étaient vêtus sans particularité, la photo était prise à l’extérieur. Cela nous a paru assez audacieux – et non sans risque – pour l’époque. Nous avons été intrigués qu’une photo comme celle-ci ait pu survivre jusqu’au XXIe siècle. Qui étaient-ils? Comment leur cliché s’était-il retrouvé dans un magasin d’antiquités à Dallas, au Texas, au milieu de photos vintage totalement ordinaires? Nous ne nous attendions pas à en trouver une deuxième… Nous en possédons maintenant plus de 3000!»

    «À l’origine, nous trouvions ces images sur les marchés aux puces ou les antiquaires. Mais comme nous avons beaucoup voyagé aux États-Unis et à l’étranger, nous avons aussi collectionné ces portraits dans le monde entier. Depuis environ quinze ans, internet a rendu le processus encore plus facile. Nous n’avons pas planifié de circonscrire nos recherches à une période de cent ans, nous n’avions même pas prévu d’entamer une collection. Mais 1850 se situe aux alentours de l’invention de la photographie et des changements sociaux spectaculaires se sont produits dans les années 1960. Nous avons donc eu l’impression qu’une photo d’un couple masculin amoureux prise dans les années 1950 est très différente de celle prise dans les années 1960.»

    «Il est souvent admis que le mot homosexuel a été utilisé pour la première fois en 1869 en Allemagne par Karl-Maria Kertbeny. Il est apparu dans une brochure qu’il a publié, anonymement, contestant une loi prussienne anti-gai. Mais, dans notre livre, nous n’identifions pas les hommes sur nos photos comme gais ou homosexuels. Ces photos révèlent uniquement qu’ils étaient amoureux l’un de l’autre. Nous les appelons donc des couples masculins aimants. Pensons-nous qu’ils étaient gais? Oui. Mais nous avons décidé de n’identifier que ce qu’il y a réellement dans leurs photos, c’est-à-dire l’amour. Nous pensons qu’il est probable qu’il y ait aussi des photos de couples féminins aimants, mais nous ne sommes jamais tombés dessus. C’est pour cette raison qu’il n’y a, dans ce livre, que des portraits d’hommes.»


    «Nous n’avons qu’un seul récit de première main sur un sujet de notre collection. Il s’agit du neveu d’un soldat américain envoyé en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce soldat, décédé dans les années 1990, a révélé à son neveu être gai juste avant sa mort. Nous avons acquis de nombreuses photos de son oncle avec son petit ami, soldat lui aussi, prises en Allemagne et en Autriche, ainsi que des photos à leur retour au Texas à la fin de la guerre. Les photos survivantes ont été gardées cachées dans une boîte à chaussures pendant toute la vie du soldat. Avant de mourir, il les a données à son neveu, avec une bague, et lui a demandé de les garder en sécurité. Deux photos de ce couple sont dans le livre.»

    «Ce qui détermine si nous allons ou non acquérir une photo peut parfois être une étreinte qui ne laisse aucun doute sur le fait que la relation dépasse l’amitié ou la tendresse dans la mesure du possible. Cependant, il existe un moyen sûr de déterminer si une photo est “aimante”. Nous les regardons dans les yeux. Il y a un regard incomparable que deux personnes ont lorsqu’elles sont amoureuses. Vous ne pouvez pas l’inventer. Et si vous en faites l’expérience, vous ne pouvez pas le cacher. On voit ce regard dans les yeux de ces couples.»


    «Nous pensons que, comme aujourd’hui, les couples aimants, hommes ou femmes, avaient des alliés, des amis et, dans certains cas, des membres de la famille qui les soutenaient. Les photographes, eux aussi, tomberaient sûrement dans la catégorie des sympathisants, sinon un miroir de leurs sujets. Les photos prises par des photographes professionnels sont plus courantes dans les premières années de la photographie lorsqu’il n’était pas possible de se prendre en photo soi-même, ce qui a cependant été possible beaucoup plus tôt qu’on ne le pense. Les hommes de notre livre se sont pris en photo pour les mêmes raisons qu’un couple hétérosexuel, à la seule différence qu’eux devaient les cacher pour assurer leur survie.»

    «Dans notre État d’origine, le Texas, ainsi que dans trente-six autres États américains, il était illégal d’être homosexuel jusqu’en 2003. Dans ces mêmes États, il était juridiquement possible pour un employeur de licencier un salarié pour son homosexualité. Cela a finalement été annulé cette année, en 2020. Pour nous marier légalement, en 2006, nous avons dû aller au Massachusetts. Mais maintenant, il est possible pour les couples texans de même sexe de se marier dans les cinquante États.»

    «Si un arbre tombe dans une forêt et que personne n’est là pour l’entendre, fait-il un son? La bonne réponse est oui, ou non. Si ces couples s’aiment, immortalisent leur amour avec une photo, mais que personne d’autre ne le voit, leur amour existe-t-il ou importe-t-il?

    Ce livre est rempli d’arbres tombés dont le son, bien que retardé, est maintenant entendu pour la première fois. Ce sont les sons d’une étreinte, un regard persistant, le toucher d’une main, la douceur d’un front, deux silhouettes se prélassant dans l’herbe, une joue pressée contre la joue d’un autre. Ces pages contiennent des images de couples masculins aimants qui étaient, jusqu’à présent, largement tenus secrets de leur famille, de leurs amis et du monde. Ils ont commémoré leurs sentiments l’un pour l’autre dans ces photos au péril de leur vie. Ce que nous, en tant que collectionneurs, avons compris, c’est que les couples comme nous ont toujours existé.»

    «Notre éditeur nous a demandé de fournir 600 de nos meilleures photos. Sélectionner 600 images sur 3000 a été très difficile. À partir de là, avec l’aide de notre éditeur et des concepteurs affectés à notre livre, nous les avons réduites à 327 – celles qui se trouvent dans le livre. Il y en a des centaines que nous ne pouvions pas inclure, simplement à cause du nombre de pages. Certains de ces choix ont été déchirants…»



    INFOS | Loving: A Photographic History of Men in Love 1850s-1950s de Neal Treadwell et Hugh Nini / 5 Continents Editions, 226 pages (anglais, version reliée avec couverture rigide)

    Ils s’aiment: Un siècle de photographies d’hommes amoureux 1850-1950 de Neal
    Treadwell et Hugh Nini / Éditions Les Arènes (français)

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