Le mois de mars des années 80 nous révèle de nombreuses surprises, parfois bonnes et quelquefois désolantes!
Septembre 1980 – Une fleur de macadam fanée / Jean-Pierre Ferland au poteau
Pas moins de deux articles font référence à une participation des représentants de l’Association pour les droits des gai(e)s du Québec à l’émission de télévision Fleur de macadam présentée sur les ondes de Radio-Québec, le 8 août 1980. Animée par l’auteur-compositeur-interprète Jean-Pierre Ferland et la journaliste Marie-Hélène Poirier, l’invitation visait semble-t-il à démystifier les réalités et revendications des communautés LGBT alors encore très mal comprises du grand public. Sont donc présents Jean-Michel Sivry et Pierre Boileau, de l’ADGQ, auquel se joint le
psychologue Alain Bouchard. L’intention était sans doute fort louable, mais le résultat n’a pas rencontré les attentes de la communauté ou même les règles minimales d’objectivités comme l’illustrent bien les deux articles présents aux pages 4 et 6 de l’édition de septembre 1980 du Berdache (no 13).
L’attitude des animateurs, telle que décrite dans les deux articles, laisse avant tout entrevoir une profonde incompréhension qui verse parfois même dans le mépris. L’accent est bien évidemment mis sur le non-sens que constitue à leurs yeux le Village gai, un ghetto qui ne permet que de se «couper du reste de la société» et où la récente intervention policière au Sauna David est ramenée à l’indignation de Jean-Pierre Ferland quant au constat que du lubrifiant y soit disponible plutôt qu’au fait qu’une descente y ait eu lieu. Comme l’émission de télévision n’est plus accessible, il est particulièrement intéressant d’y retrouver quelques citations particulièrement évocatrices du ton qui y régnait: «Au fond, vous n’êtes pas si brimé que cela.» «Après tout, ce n’est pas si grave ce qui vous arrive. Les hétérosexuels non plus n’ont pas la possibilité de se dévêtir rue Sainte-Catherine. Un peu de pudeur ne fait de mal à personne.»
Le clou au cercueil de la bienséance est cependant réservé un peu plus tard alors que l’animateur présente un couple de jeunes chanteurs (hétéros) accompagnés de leur garçon âgé de quelques mois et où il déclare à Jean-Michel Sivry : «Sans vouloir vous narguer, M. Sivry, vous voyez ce que vous manquez!» Nullement difficile de comprendre la réception glacée qu’a suscité l’émission!
Le numéro complet du Berdache est disponible sur le site des Archives gaies du Québec: www.agq.qc.ca/le-berdache
Mars 1982 – Dossier : Femmes
Le numéro 28 du Berdache de mars 1982 se veut une édition spéciale consacrée aux femmes. Plutôt que de le faire via une présentation relativement conventionnelle axée sur la situation
sociale ou les enjeux juridiques et politiques, c’est plutôt une série d’entrevues réalisée avec des femmes d’importance qui est ici dressée. Et le menu est fastueux! Le Dinner party de Judy Chicago, une exposition présentée au Musée d’art contemporain. Baby Face, propriétaire du bar éponyme située sur le boulevard René-Lévesque (alors Dorchester), un des deux bars lesbiens ouverts à l’époque. Luce Bertrand, psychologue, qui dresse un portrait de la communauté
lesbienne.

Lucie Gagnon présente la Librairie des femmes d’ici, qui en était à sa septième année d’existence, et effectue différents constats sur la représentation lesbienne ou féministe en littérature. L’écrivaine Jovette Marchessault présente ensuite son processus d’écriture ainsi que certaines de ces œuvres. Diana Yaros présente le collectif Mouvement contre le viol. L’orchestre de cuivres Wondeur Brass a ensuite droit aux honneurs, suivi d’une entrevue avec Jeanne-d’Arc Jutras qui porte notamment son regard sur les trente dernières années du mouvement féministe et lesbien québécois.
S’ensuit une entrevue avec Ariane Émond et Lise Moisan, éditrices du magazine La vie en rose; Nell Tenhaaf de la galerie d’art Powerhouse; Carole Wallace d’Action Travail des femmes;
Ann Pearson du Centre pour une culture féministe; la librairie Les Mutantes; Nicole Lecavalier et le Théâtre expérimental des femmes et enfin, l’auteure-compositrice-interprète Lucie
Tremblay. Le tout se conclut par un reportage sur la difficulté de création imposée aux femmes au cœur d’une structure contrôlée par un regard masculin.
Une véritable capsule temporelle des têtes d’affiche lesbiennes et bisexuelles de l’époque, des défis et enjeux auxquelles elles vont face, mais également de la richesse qui les habite.