Les sujets qui polarisent aujourd’hui sont nombreux, les anathèmes pleuvent dès que l’on sort du discours moralisateur ambiant. On considère les communautés culturelles, religieuses, racisées, ou encore sexuelles comme des groupes monolithiques avançant comme une seule personne partageant et militant le même dogme, faisant fi d’une réalité un tout petit peu plus complexe. Et l’on condamne sans aucun arrêt sur réflexion, peut-être comme dans cette phrase: tuez-les tous et Dieu reconnaîtra les siens.
Et bien évidemment, comment conjuguer homosexualité et foi, comment vivre l’une sans renier l’autre. Pourquoi devrions-nous choisir? Ludovic Lofti Mohamed Zahed, lui, a refusé de choisir. Mieux, il mène sa croisade pacifiste armé de toutes ses connaissances pour lutter contre l’islamophobie, le racisme, et l’homophobie d’où qu’elles viennent tout en restant profondément attaché à sa foi.
Études théologiques chez les salafistes, puis deux doctorats, l’un en psychologie sociale des religions, l’autre en anthropologie sociale et ethnologique sur les minorités sexuelles musulmanes en France, imam, tout cela ressemble à un grand écart sur un fil, comment arrive-t-on à un tel croisement?
Effectivement, c’est un long parcours et qui a été difficile. Je suis né en Algérie en 1977, j’ai grandi en partie en France, je suis retourné en Algérie pour étudier pendant 5 ans la théologie dans une madrassa car je voulais devenir iman. Même si pendant cette période je ressentais des désirs mais flous pour des hommes, c’était impossible pour moi. Puis je suis retourné en France pour des études universitaires, moi qui avais été abreuvé par l’homophobie de l’Islam, la seule représentation de l’homosexualité, de la vie gaie que je découvre, c’est une représentation areligieuse, l’islamophobie et le racisme. Ces deux perceptions étaient pour moi irréconciliables. Je devais choisir l’une ou l’autre. Je me suis forcé à l’époque à m’interdire toute pratique religieuse, ne pas faire le ramadan, les prières, j’étais au bord du suicide.
Quelques années plus tard, ce besoin de contemplation, de méditation et de réflexion spirituelle m’est revenue mais en m’éloignant de tout ce qu’il y avait de patriarcal comme l’Islam. Je me suis tourné tout d’abord vers le bouddhisme. J’ai trouvé cela extraordinaire mais, comme dans les trois grandes religions monothéistes, il y a une condamnation des relations homosexuelles, et une intériorisation des femmes.
Pendant mes études à Paris, j’ai rejoint une association de LGBTQ chrétien.es, David et Jonathan. Et je dois dire que ce fut une rencontre extraordinaire. Nous sommes allés ensemble à Jérusalem, nous avons écrit des articles, fait des représentations auprès des député.es et rencontré des représentants religieux. David et Jonathan nous a aidés à mettre sur pied l’association Homosexuels musulmans de France qui se voulait un endroit de rencontre et de partage dans un espace sécurisé. D’ailleurs beaucoup, comme moi, se sont réconcilié.es avec leur spiritualité en la considérant comme un outil d’émancipation pour s’éloigner de tout ce qui était normatif, comme le patriarcat entre autres. La pratique spirituelle nous a conduit en 2012 à créer la première mosquée inclusive d’Europe. Curieusement, il y a beaucoup de personnes hétérosexuelles musulmanes qui viennent nous voir parce que nous présentons une réforme de l’Islam, qui déconstruit les préjugés à la fois envers les minorités sexuelles, mais aussi les femmes, les Juifs, etc., et que nous posons un autre regard sur la religion. La religion pour moi ne doit pas être dogmatique et placée entre les mains de quelques-uns qui deviennent les gardiens de ce dogme.

Comme pour les deux autres religions monothéistes, pour interdire ou accepter, on se réfère toujours à des textes fondateurs. Pour les musulmans, c’est le Coran. Quel est votre position face au fait que beaucoup d’imams le brandissent comme manuel de vie à suivre.
Je dirais que le Coran ne dit absolument rien sur les relations homosexuelles et la sodomie. Je ne parlerai pas de la représentation des femmes qui est moins acceptable. Le Coran condamne le viol entre hommes comme il le condamne pour les femmes. Mais une religion de tombe pas du ciel ex nihilo; elle se construit dans un creuset social, politique et collectif particulier. Et bien évidemment, le contexte dans lequel elle est née ne correspond plus au contexte actuel. Pour le Coran et pour la Sunna, beaucoup de musulmans se rendent compte aujourd’hui que l’Islam doit évoluer et on a pu le voir avec les Printemps arabes, et la création d’associations démocratiques, féministes et LGBTQ+. Il existe donc un changement qui s’éloigne de cette minorité extrémiste radicale bruyante et surtout extrêmement dangereuse. Beaucoup de musulmans commencent à porter un autre regard sur l’Islam avec un regard plus éclairé sur les textes que nos parents ou nos grands-parents. Ou encore tentent d’interpréter les textes avec les yeux d’aujourd’hui. Lors d’un de mes voyages à La Mecque, je suis tombé sur un Coran en français. On y aborde bien évidemment la destruction de Sodome et Gomorrhe, et dans l’édition que j’avais se trouvait tout de suite après entre parenthèses une précision que c’étaient des homosexuels. Le mot homosexuel n’existait pas à l’époque de la rédaction du Coran, et il n’y a aucune référence à l’homosexualité.
Mais si les relations homosexuelles ou la sodomie ne sont pas spécifiquement mentionnées ou condamnées dans les textes, comment expliquer le fait qu’elles soient autant dénoncées par les groupes islamistes radicaux?
Il est vrai qu’aujourd’hui pour des groupes comme Daesch ou qui se revendiquent d’un état islamiste, deux décisions entrainent une condamnation à mort automatique: l’apostasie ou des relations homosexuelles. Mais cette réalité-là est très récente dans l’histoire et il faut tenir compte aussi du passage de la colonisation. Les musulmans devraient se rendre compte que toutes les interprétations des textes telles que celles qu’en fait Daesch date d’un autre âge. Des historiens ont fait une recherche minutieuse de toutes les archives judiciaires de l’Empire Ottoman, le plus grand empire islamique qui a duré 7 siècles, et ils n’ont trouvé aucune condamnation pour homosexualité ou pour sodomie. Durant cette période je ne veux pas dire que tout était parfait pour les minorités sexuelles musulmanes mais il y a eu donc plus de tolérance qu’on veut bien nous le faire croire aujourd’hui, comme plus de tolérance religieuse par exemple puisqu’on retrouve dans cet empire des vizirs qui étaient juifs.
Pour celles et ceux que cela intéresse, je leur conseillerai un très bon livre traduit en français L’amour des garçons en pays arabo-islamique: XVIe-XVIIIe siècle de Khaleb El-Rouyaeb, cet ouvrage est rempli d’anecdotes qui racontent l’histoire des LGBTQ+ dans le monde
arabo-musulman avant l’époque moderne, avant l’époque de la colonisation. Il faut comprendre que la condamnation de l’homosexualité telle qu’on la voit dans de nombreux pays arabes, africains, asiatiques, est une conséquence de la colonisation. Aujourd’hui, ces pays mettent en avant ces préjugés alors qu’il n’existait pas dans les sociétés natives, avant que l’Europe ne développe, comme le disait Michel Foucault, une forme de biopouvoir sur les corps et leur contrôle.
Nous devons faire cet exercice historique pour lutter contre l’islamophobie.
Bien sûr on se rend compte que beaucoup d’occidentaux ne savent pas c’est quoi l’Islam, c’est quoi être musulmans, et parfois je me demande si les Musulmans le savent bien aussi. Cette construction de l’Islam, telle que présentée par Daesch, date seulement de la seconde moitié du XXe siècle et je la qualifie de fascisante. Et ceux qui s’en revendiquent sont extrêmement dangereux mais ne constituent qu’une infime part des Musulmans à travers le monde.
INFOS | Pour en savoir plus sur les recherches de Ludovic Lofti Mohamed Zahed
Homosexualité & transidentité en Islam (Étude systématique et systémique des Textes arabo-islamiques), Éditions «Calem», France 2017
Genre interdit, Nos années noires, entre totalitarisme & obscurantisme. Mes luttes, ma liberté, mon exil, Éditions «Calem», France 2016
Le Coran et la chair, Max Milo Editions, Paris 2012