Dimanche, 19 janvier 2025
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    HERVELINO de Mathieu Lindon

    Mathieu Lindon consacre un hommage à Hervé Guibert dans son livre Hervelino. «Hervelino» petit nom italianisant affectueux donné par Mathieu lors de leur séjour à tous deux en Italie, à Rome plus précisément, comme pensionnaires à la Villa Médicis qui accueille des artistes français (et francophones) pour une durée généralement de deux ans.

    Livre émouvant du journaliste de Libération pour un écrivain dont on sait qu’il est mort du sida, sujet sur lequel il écrivit lui-même de nombreux livres dont un roman qui eut un immense succès, À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (1990).


    Hervé Guibert arrive à Rome pour deux ans à l’automne 1987, juste avant d’apprendre qu’il est séropositif. Mathieu Lindon, ayant raté une première fois le concours, ne le rejoindra que l’année suivante et y restera jusqu’en 1990 (Hervelino logera dans le même appartement que Lindon cette année-là). Une forte amitié lie les deux hommes, une amitié amoureuse.

    Mathieu Lindon


    À la Villa, au sommet de la colline du Pincio, les deux pensionnaires doivent en principe «travailler», mais ce séjour ressemble à des vacances, certes studieuses puisque tous les deux écrivent, mais Mathieu ne se penche pas sur ce sujet. Il raconte plutôt une vie de jubilations où tous les deux ne cessent de se voir le matin, le midi, le soir; ils boivent du Brachetto et se promènent aux alentours de la Villa, jamais très loin. Avec eux, entre autres, des copains comme Alain, Bernardo, Thierry; il y a aussi les restaurants (si importants, car ils y allaient tous les jours), les boites (comme «Les balancelles»), la nuit romaine, les amis et les amants d’hier et d’aujourd’hui, et naturellement le sida. Durant la première année, ils se joignent au poète belge Eugène Savitzkaya, lui aussi pensionnaire, qu’ils connaissaient, et qui publie aux Éditions de Minuit tenues par le père de Mathieu, Jérôme.


    Lindon ressuscite cet ange fatal qu’est H. G., qui était d’une grande beauté, qui fascinait tout le monde. Mathieu avait pour lui une grande admiration; il fut le premier à publier des textes de Guibert dans sa revue Minuit. Il l’avait rencontré chez Michel Foucault en 1978, philosophe auquel il consacrera un livre, Ce qu’aimer veut dire, paru en 2011, passionnant document sur la faune germanopratine et la drogue. Dix ans plus tard, Mathieu et Hervé passeront donc ensemble trois années à Rome. Ce sont ces années romaines qu’Hervelino évoque. L’écrivain en fait un récit autobiographique qui, pour les lecteurs qui ne sont pas connaisseurs du monde culturel de ces années-là, apparaîtra comme un fouillis mystérieux, mais non moins attachant. Mais quelle merveille ce sera pour les habitués des livres d’Hervé Guibert et Mathieu Lindon avec cette œuvre d’une mélancolie palpitante.


    Hervelino n’est pas un livre d’anecdotes même s’il donne l’impression que Lindon n’oublie rien de ce séjour romain. C’est un livre de moments légers de deux êtres sensibles qui, à Rome, ne se quittent jamais. Un livre qui porte presque essentiellement sur la littérature, sur les livres lus, sur les manuscrits corrigés. Le livre s’achève donc sur les dédicaces qu’Hervé Guibert offre à Mathieu, reproduites telles quelles et qui sont accompagnées d’un commentaire de Lindon où se lit toute l’affection qu’ont entre eux les deux hommes.

    Mathieu Lindon et Hervé Guibert


    Ce livre de souvenirs est un récit d’une génération singulière qui a pour la littérature une passion, mais pour qui importe l’amitié. La Villa, «c’était encore la jeunesse, mais pour lui déjà la fin de vie», écrit Lindon à propos de Guibert. Il y a longtemps que Mathieu veut écrit sur Hervé, mais ne sait pas trop comment se souvenir. Il y a trop de souvenirs. «Écrire sur Rome, c’est passer sur tout ce sur quoi je n’ose pas écrire parce que c’est trop compliqué de m’approprier Hervé», note Mathieu. Mais écrire, ce n’est pas oublier. C’est par l’écriture si particulière de Lindon, qui semble sauter d’un sujet à l’autre, comme menée par un inconscient léger, flirtant avec les paradoxes et les approximations, écriture qui devient une manière détournée d’écrire sur ce qu’on ne veut pas écrire.

    Hervelino, plein de détails, relevés avec délicatesse, est une œuvre d’une belle générosité. «J’écris juste qu’il y a un être que j’aimais, et que j’aime lui et son œuvre», remarque encore Mathieu. Hervelino est d’une belle simplicité; l’évocation est souvent poignante et extrêmement touchante; elle est une tentative de retrouver ce qu’on a perdu, cette insouciance et ces plaisirs vécus ensemble, ces moments labiles qui deviennent ainsi permanents. Pour retrouver Hervé Guibert, Mathieu Lindon s’offre à lui, corps et littérature liés dans un même mouvement qui s’appelle l’amour gagné sur toute éternité.


    INFOS | Hervelino / Mathieu Lindon, Paris, 2021, P.O.L., 169 p.

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