7 mai 1969 – À Montréal comme ailleurs : De plus en plus de scènes d’homosexualité au cinéma
Photo-Journal, en page 38 de son édition du 7 mai 1969, nous offre ce titre à scandale qui, à la lecture des premiers paragraphes, semblent simplement faire état de la sortie de deux films récents – The Sergeant, de John Flynn, et Thérèse et Isabelle, de Radley Metzger – et de la présence de plus en plus importante de personnages LGBT au grand écran.
Une lecture plus approfondie nous confronte toutefois à une vision particulièrement tordue et insidieuse de l’homosexualité. Dans le cas du premier film, le personnage principal succombe à son désir pour les hommes et embrasse un soldat.
L’auteur décrit alors « une scène terrible, un corps à corps ignoble et brutal: manifestement, ni Steiger ni John Philip Law, sa victime, n’ont trouvé de plaisir à tourner cet épisode par ailleurs justifié par le contexte puisque l’assaillant est un solitaire qui a grandi parmi des Spartiates et n’a jamais considéré les femmes que comme des prostituées désirables au sortir du champ de bataille, après la bière et avant Ile sommeil. »
Nonobstant le fait qu’il ne s’agisse pas d’un grand film, on peut s’interroger sur la déclaration à l’effet que « manifestement » les acteurs n’ont pas trouvé plaisir à tourner la scène : une vision extrêmement hétéronormative où fleure le dégoût associé à l’idée d’embrasser un autre homme. Évidemment, fidèle à la trame scénaristique imposée à l’époque, le film se termine par le suicide du sergent. Pour le second film, le critique est plus indulgent, peut-être en raison d’un récit mettant en scène des jeunes filles (ce qui est sans doute plus bucolique et charmant dans son esprit), et met au contraire l’emphase sur le fait que la mise en scène fait des pieds et des mains pour déjouer la censure et se désole qu’il ne soit « pas encore possible de tout montrer aujourd’hui, quand demain approche. »
Bref, pour le premier film, on en voit trop, alors que pour le second, ce n’est pas assez. On peut consulter Photo-Journal sur BAnQ numérique : collections.banq.qc.ca
Mai 1980 – Ghetto : la théorie et la pratique – Dossier Trux, Sauna David
Dans son numéro de mai 1980, aux pages 31 à 43, le Berdache propose un dossier très étoffé sur la question du ghetto, articulé autour de deux thèmes : 1) la descente au Truxx et au Sauna David, 2) une table ronde sur la question du ghetto. Les deux sujets semblent en théorie peu apparentés, mais à l’époque, une logique certaine commandait d’en faire une analyse en parallèle.

Le 23 avril 1980, une descente de police brutale intervient au Sauna David qui n’est pas sans raviver à l’esprit un événement semblable survenu le 22 octobre 1977 au bar Le Truxx. Au Truxx, c’est plus d’une cinquantaine de policiers qui sont intervenus au bar où ils ont réalisé 220 arrestations et accusé 143 hommes de grossière indécence et de fréquenter une maison de débauche. L’ampleur des forces policières est telle que la descente est considérée comme la plus importante depuis la Crise d’octobre. En 1980, on dénombre 60 arrestations au Sauna David, incluant des clients en attente sur le trottoir, toujours sous le couvert d’avoir été présent dans un lieu de débauche.
L’intérêt premier du dossier est notamment d’y retrouver des témoignages extrêmement détaillés de certaines des victimes du raid policier qui en rappelle la brutalité et l’injustice flagrante. Dans un second temps, un rappel est fait que l’événement survient quelques jours à peine après un jugement rendu le 2 avril par la Cour municipale à l’effet que le propriétaire du Truxx est bien coupable d’avoir tenu une maison de débauche. Une décision qui est venue confirmer aux policiers le droit de considérer un bar ou un sauna comme une maison de débauche et a entrainé la descente subséquente au Sauna David. Les curieux seront sans doute intéressés de parcourir l’analyse des points forts du jugement. C’est en particulier le cas d’une description de ce qui est relevé comme constituant une incitation à la débauche : « masturbation autonome (dans ou par-dessus le pantalon), le pinçage de fesses, les attouchements à l’abdomen, les embrassades à la russe et les baisers d’affection, le léchage de lèvres ». Pour le curieux, l’embrassade à la russe est un baiser sec sur les lèvres.
Le dossier se conclut par un résumé d’une table ronde portant sur le thème : Ghetto : piège, utopie ou libération? tenue à la salle Alfred-Laliberté de l’UQAM. Les lieux de rencontre LGBT constituent-ils une utopie libératrice permettant à chacun de s’exprimer et de s’épanouir ou bien, à la lueur de la descente récente, s’agit-il d’un piège nous offrant en pâture aux policiers?
Six points de vue, Québécois et Français, s’expriment sur la question : Jean-Claude Klein, Johanne Gill, Daniel Pinard, Alain Emmanuel Dreuilhe, André Roy et Marie-Andrée Bertrand. Un reportage qui nous une offre une plongée fascinante dans une réalité dont nous ne sommes séparés que par 40 ans.
Les archives du Berdache sont disponibles sur le site des Archives gaies du Québec : le berdache