En début de pandémie, j’ai plongé dans l’univers déjanté de la série documentaire «Tiger King» (Netflix), un portrait surprenant de Joe Exotic, un Américain ouvertement gai vivant une vie tout sauf banale dans son zoo, entouré de tigres. Je me pinçais en regardant la série en me disant «ben non, ça se peut pas!». Un an plus tard, c’est le documentaire «Mon oncle Patof» (Tou.tv) qui vient me surprendre à nouveau: j’apprends que le comédien derrière le clown de mon enfance était… gai!
En avril dernier, je vois passer sur Facebook la bande-annonce d’un documentaire sur Patof. En quelques secondes, je comprends que le comédien Jacques Desrosiers était gai. Je suis surpris. Depuis des années, je documente et j’amasse des infos sur les comédien.nes, chanteurs et chanteuses gais. Jacques Desrosiers n’était pas dans mon radar du tout! À ma défense, ce comédien est décédé il y a plusieurs années, en 1996.
Lors de la diffusion du documentaire «Mon oncle Patof», je suis absorbé par les images qui défilent. On y voit le neveu de Jacques Desrosiers, Serge, qui entre chez Pierre Bourque, un «ami de Jacques Desrosiers» selon ce qui est écrit à l’écran. Mais plus tard, on apprend que Pierre a été plus qu’un ami, il a été le conjoint de Jacques pendant plus de 20 ans. Pas surprenant de voir, dans le film, Pierre sortir le costume de Patof, les affiches et tous les produits dérivés qui ont fait de Jacques «Patof» Desrosiers un millionnaire!
Aussitôt le visionnement du documentaire terminé, j’entre en contact avec Serge Desrosiers, le neveu de Patof, lui-même au cœur du documentaire. C’est lui qui l’a produit et c’est sa conjointe, Sandrine Béchade, qui l’a réalisé.
À quel moment as-tu eu l’idée de faire le documentaire sur ton oncle?
C’était il y a environ 15 ans. J’étais chez Pierre (conjoint de Jacques Desrosiers). À un moment donné, je lui dis qu’il faudrait qu’on fasse un documentaire sur Jacques. Ça a pris une dizaine d’années pour que ces idées-là mûrissent. Puis Pierre a accepté de le faire.
Dans le documentaire, Pierre ne dit pas que Jacques était son amoureux, il dit que c’était son «ami»…
Cette façon de le nommer, c’est simplement une question de génération! Je devais avoir 15 ou 16 ans et déjà à cette époque, je le savais que Jacques et Pierre étaient en couple. C’était clair: des becs ici et là. Quand j’allais chez eux, c’était mon petit havre de paix. Je pouvais prendre un coup et je me ramassais-là. On jasait de la vie, de la pluie et du beau temps. Mais je te dirais que du point de vue de la famille, ça a toujours été compliqué. Même pour mon père (frère de Jacques). Mais bon, en même temps, j’essaye de le protéger: c’est sûr que c’est générationnel que d’accepter que ton frère soit gai. Dans les années 70, c’était pas facile non plus.
Une affaire dont on ne parle pas, mais je peux te le dire à toi, c’est qu’au décès de Jacques, j’avais 28 ans et j’ai reçu un appel du gouvernement me demandant de valider si Jacques avait bel et bien été en couple avec Pierre parce qu’il y avait des gens qui revendiquaient l’héritage. J’ai confirmé que Jacques et Pierre avaient bien été ensemble pendant plus de 20 ans. Ça alliait de soi que Pierre soit l’héritier.
L’entrevue se déroule quelques jours après le décès de Michel Louvain. Au lendemain de son décès, on apprenait par communiqué que Michel Louvain laissait dans le deuil son conjoint depuis de nombreuses années. Serge se rappelle de souvenirs avec son oncle et le chanteur de charme Michel Louvain.
Dans les années 70 et 80, moi je voyais Michel Louvain avec son chum en Floride, au condo de Jacques et Pierre. On les voyait régulièrement ces quatre-là. À cette époque, Louvain ne pouvait pas non plus faire son coming-out. Toutes les femmes qui l’ont idolâtré, elles auraient fait une grosse dépression!
Et dans le cas de Jacques?
Imagine Patof dans les années 70. T’es un clown avec des enfants et tu fais ton coming-out. C’est clair que tu travailles pus. Mais est-ce qu’encore aujourd’hui on aurait de la difficulté avec ça? Moi, je pense qu’il y a encore pas mal de monde qui aurait de la difficulté avec ça. Malheureusement.
Est-ce que Pierre a demandé à voir le documentaire avant qu’il soit diffusé?
Non, il ne voulait pas se voir. Mais après m’avoir vu à l’émission Tout le monde en parle, il est allé voir le documentaire. Après, il m’a appelé pour me dire que c’était vraiment bon, qu’il était vraiment content.
Mon moment préféré dans le film, c’est vraiment quand tu portes le costume de Patof et que tu chantes un des succès de ton oncle, «Mon ami Pierrot», avec Pierre à tes côtés. Il est ému, ébranlé. Dans les paroles, on entend «Au clair de la lune, je t’aime.» Est-ce que la chanson avait été vraiment composée pour Pierre?
Cette chanson-là, personne ne le savait, mais elle avait été écrite pour Pierre. Souvent, quand tu regardes les émissions de Patof, Pierre était un des invités et Patof lui disait: « Oh oui, c’est mon ami Pierrot ».
Serge Desrosiers et Pierre Bourque travaillent maintenant ensemble sur d’autres projets visant à garder vivant dans la mémoire collective Patof et Jacques Desrosiers.
On a fait une boutique en ligne (mononclepatof.ca) où tous les revenus d’exploitation vont aller à l’écriture et au développement d’une série sur Patof. On a eu un premier meeting avec quelques auteurs récemment. Et on travaille aussi sur un film biopic sur l’histoire de Jacques dans les années 70.
Moi, je veux vraiment faire revivre Patof!
INFOS | Mon oncle Patof documentaire disponible sur Tou.tv
boutique en ligne: mononclepatof.ca