Mardi, 29 avril 2025
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    Killing stalking ou le piège de l’abus romantisé

    Fidèle à son habitude, le vidéaste James Somerton présente une fine analyse d’un phénomène culturel. Cette fois-ci, il porte son regard sur une bande dessinée dont, je dois l’avouer, je ne connaissais strictement rien. Ce qui a piqué sa curiosité tient plus particulièrement à une controverse entourant l’œuvre puisque certains y associent un caractère romantique alors que l’œuvre décrit plutôt une relation bâtie sur l’abus.

    Killing stalking est une bande dessinée sud-coréenne de la dessinatrice et scénariste Koogi qui remporta le grand prix du Lezhin World Comics Contest et qui est disponible en traduction française, de même qu’en allemand et en espagnol. Une version anglaise existe également, en ligne, mais est très difficile d’accès. La BD entraine le lecteur dans le sillage de Yoon Bum, un jeune homme qui souffre d’une maladie mentale et d’une faible estime de soi, et qui s’entiche de Oh Sangwoo, un camarade de l’armée qui l’a sauvé d’une tentative de viol. Obnubilé par ce dernier, il pénètre par effraction dans sa résidence et y découvre une jeune femme ensanglantée qui y est maintenue prisonnière: son héros est en fait un tueur en série. Sangwoo le prend sur le fait et lui brise les chevilles pour l’empêcher de quitter les lieux. C’est alors que, plutôt que de simplement éliminer un témoin gênant, Sangwoo met en place une relation de manipulation et d’abus physiques et psychologiques d’une violence extrême où Yoon Bum semble éventuellement se complaire.


    La bande dessinée décrit ainsi habilement les pièges inhérents au mythe de la force de l’amour qui permet de changer l’abuseur pour en faire une «bonne personne». Bref, le principe de l’ogre qui est changé en prince à force de sacrifice et d’abnégation. En l’occurrence, c’est plutôt un syndrome de Stockholm qui s’installe progressivement où Bum recourt à des faveurs sexuelles pour assurer sa survie et pour gagner le cœur de l’autre. Du moins, c’est ce qu’il croit. La bédéiste alterne avec adresse les scènes d’abus avec les serments d’amitié et d’amour que Bum ne demande qu’à croire. Le lecteur n’est pas en reste puisque le personnage du tueur demeure au départ difficile à cerner. Est-il «honnête» ou bien manipulateur du début à la fin? Même les relations sexuelles entre les deux hommes prêtent à confusion: représentation d’un sentiment véritable ou étape ultime d’un jeu de pouvoir? Par ailleurs, Sangwoo est-il même gai ou est-ce le plaisir de la domination de l’autre qui prédomine? Le motif qui a amené James Somerton à se pencher sur cette BD est de constater qu’un certain nombre de lecteurs associait une valeur romantique à la relation des deux hommes. Un phénomène qui l’a étonné et l’a donc amené à analyser et à déconstruire, dans une captivante vidéo de plus de 60 minutes, la mythologie qui s’est progressivement mise en place autour de l’œuvre. Une démonstration qui, malgré la démesure de certaines images, pourra en inciter certains à lire la bande dessinée puisque, comme le souligne le vidéaste, elle demeure une chronique fascinante d’une descente aux enfers. Pour lecteurs avertis toutefois!


    INFOS | “Killing Stalking” and The Romancing of Abuse: youtube.com/watch?v=ujmgqNyZ190


    Killing Stalking / Koog. Paris: Taifu Comics, 2020 (4 volumes; les deux derniers sont en cours de parution).

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