Je ne pensais jamais pouvoir aligner ces mots dans l’état actuel du monde : je connais un ex-joueur de hockey d’élite ouvertement pansexuel, originaire de l’URSS, qui porte du vernis à ongles. Je vois dans cette phrase un gigantesque doigt d’honneur aux traditions, aux stéréotypes sur la masculinité et aux clichés inépuisables du sport professionnel. Pourtant, le principal intéressé ne ressent pas le besoin de dresser son majeur au visage de quiconque. Il se contente d’être lui-même. Pleinement. Sereinement. Fièrement.
J’ai fait sa connaissance l’été dernier à Vancouver. Moi qui croyais rapporter de l’Ouest canadien des souvenirs de montagnes rocheuses, de forêts majestueuses et de plages sablonneuses (dont une certaine Wreck Beach qui réserve de bien belles surprises), je suis finalement revenu à Montréal avec quelque chose d’encore plus précieux : un nouvel ami. Je l’ai aperçu un samedi matin à la cafétéria de notre auberge de jeunesse. Je me suis assis devant lui en prévoyant enfiler mon déjeuner à la vitesse de l’éclair. Une heure plus tard, j’étais encore à ses côtés.
Mes yeux à moitié endormis avaient remarqué le violet sur ses ongles, son sourire franc et son regard sensible. Notre discussion débordait de légèreté et de profondeur. Inévitablement, je me suis demandé s’il était de mon bord. Une partie de mon cerveau se disait que les hétéros dans la trentaine qui ont les ongles peints sont des créatures rares et que j’avais probablement des chances avec lui, mais je préférais attendre et ne pas le résumer à des clichés.
J’avais à la fois tort et raison. Puisque nous avons choisi de passer la journée ensemble, à visiter la ville un peu et à discuter beaucoup, j’ai appris qu’il était en couple avec une femme depuis des années. Je n’ai même pas pu imaginer qu’il était un gai inavoué se cachant derrière le paravent d’une relation hétérosexuelle, car il s’est mis à me parler de son amoureuse avec une affection manifeste et des étoiles dans les yeux. Allez savoir pourquoi, je lui ai partagé ce qui m’habitait depuis le début de la matinée : je lui ai dit que je sentais le courant passer si fort entre nous que j’imaginais – sans oublier ses ongles colorés – qu’il était potentiellement gai. Je savais que je prenais un risque. Celui de faire peur à l’un des millions d’hétéros craignant de se faire cruiser ou reluquer par un homo. Pourtant, il n’a pas bronché. Mon honnêteté l’a fait sourire. Et il m’a informé qu’il s’identifiait comme pansexuel.
Intrigué, je l’ai écouté me raconter qu’il n’avait jamais couché avec un gars, qu’il n’avait jamais embrassé un gars et qu’il ne s’était jamais imaginé vivre de l’intimité avec un gars, mais que puisqu’il ne l’avait jamais fait, il ne pouvait pas prétendre qu’il n’aimerait pas ça, repousser à jamais cette éventualité et s’enfermer dans une catégorie comme l’hétérosexualité qui le définirait de manière trop circonscrite. Attention ici! J’imagine que plusieurs personnes viennent de lire ce passage en levant les yeux au ciel, convaincues que mon ami associe ses désirs à la pansexualité parce que c’est dans l’air du temps. Je sais pourtant qu’il n’en est rien. Il préfère simplement demeurer ouvert plutôt que de se cloitrer dans une boite qui pourrait l’étouffer. Un jour, peut-être qu’il désirera une personne qui ne s’identifie pas comme une femme. Peut-être qu’il l’embrassera. Peut-être qu’il vivra des expériences sexuelles avec elle. Peut-être même qu’ils formeront un couple. Mais peut-être aussi que tout ça ne se produira jamais. Au final, l’option existe et elle lui appartient.
Je sais que plusieurs hommes cisgenres en couple avec une femme sont prêts à tout pour ne pas être identifiés à la diversité sexuelle, même s’ils sentent au fond d’eux-mêmes la tentation – minime ou grande – d’essayer autre chose, une fois ou à de nombreuses reprises. Ce n’est pas le cas de mon ami; lui n’a pas peur de se dire pansexuel. Il ne craint pas non plus d’avoir l’air gai.
Quand sa maman, une femme ukrainienne élevée dans une perspective traditionnelle et binaire des relations, lui dit que les gens pourraient croire qu’il est homosexuel parce qu’il porte du vernis, il n’est pas pris d’une soudaine insécurité face au regard des autres. Au contraire, il prend le temps de questionner sa mère sur les raisons qui la poussent à craindre que les gens imaginent que son fils est gai parce qu’il emprunte des codes longtemps réservés aux femmes.
Évidemment, il n’a pas toujours été ainsi. Pendant ses années dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ), il ne pratiquait pas ses mises au jeu en tenant un bâton entre ses doigts colorés. Il ne lançait pas de discussions dans le vestiaire sur la possibilité qu’il soit éventuellement attiré par un homme, une personne trans ou non binaire. Il n’est pas non plus devenu un militant LGBTQ+ impliqué dans toutes les causes de la communauté. Néanmoins, il est pour moi un exemple d’ouverture au quotidien. Et je suis fier qu’il soit mon ami.