Le 3 juillet 2021, Kahsennenhawe Sky-Deer est devenue la première femme et la première personne de la communauté LGBTQ2S+ à être élue grande cheffe de Kahnawake. Elle devient par le fait même un modèle d’empowerment pour beaucoup de jeunes femmes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de sa communauté mohawk, puisque les femmes LGBTQ2S+ en politique et au sein de postes de pouvoir sont encore peu nombreuses. Celle qui a grandi dans les années 80 avec très peu de modèles en est consciente.
Le parcours de la femme de 41 ans est parsemé de difficultés mais surtout de grandes réussites. À force de travail et de discipline, ce que tout athlète s’impose sans équivoque, Kahsennenhawe a réussi à performer sur le terrain, gravir les échelons et briser les plafonds de verre. Discussion avec Kahsennenhawe Sky-Deer, Grande cheffe de la nation mohawk de Kahnawà:ke.
Née à Kahnawake en 1979, Kahsennenhawe se rappelle son enfance dans les années 80. Élevée par sa mère, à la suite de la séparation de ses parents, elle sera néanmoins proche de sa famille, tout en ayant « la chance », comme elle l’exprime d’aller dans une école d’immersion mohawk et « de pouvoir apprendre ma langue et mon identité culturelle, dont les cérémonies et rituels ». Puis, viendront l’adolescence et la découverte de son orientation sexuelle.
Si elle souligne d’emblée le caractère tabou du sujet dans les années 80, elle se rappelle que la décennie subséquente sonnera le glas du changement, avec notamment une certaine Madonna et ses vidéoclips Justify My Love et Erotica, alors très osés pour l’époque au niveau de la représentation de la sexualité : « Je me suis dit : Oh my God! Cette fille était folle pour moi, mais en même temps il y avait quelque chose d’intéressant! J’étais en pleine adolescence, tu sais vers l’âge de 11, 12, 13 ans, lorsque tu commences à être curieuse à propos des relations, du sexe opposé et même à propos de ton propre sexe. J’ai commencé à ressentir quelque chose de différent, je ne comprenais pas ce que je ressentais, mais déjà toute jeune je n’aimais pas les poupées, je ne voulais pas porter de robes ou de jupes…Je ne portais que des T-shirts et des pantalons et j’ai toujours été une athlète. C’est vers l’âge de 14 ans que j’ai compris cette attirance pour les personnes du même sexe ».

Certes, à l’époque, personne n’était out à son école secondaire et l’homosexualité y demeurait tabou, se rappelle Kahsennenhawe. Ainsi, la jeune « tomboy » adoptera une attitude « girly » et se fera des copains, question de se fondre dans le moule.
Grande sportive, elle pratique une multitude de sports au secondaire et au collégial, dont le football et ses diverses variantes. Après sa graduation du Collège Vanier, une amie lui suggère d’appliquer au sein des équipes de football universitaires américaines. Son curriculum sportif, parsemé de prix et bourses, impressionne. Elle sera quarterback du Daytona Beach Baracuda Team, tout en décrochant un baccalauréat en psychologie de l’Université de Central Florida. Elle vivra dans le « Sunshine State » pendant huit ans.
Elle se rappelle d’ailleurs que son équipe de football tissée serrée lui a non seulement permis de vivre son lesbianisme, mais également d’y trouver une famille « choisie », avec des filles provenant de divers endroits dans le monde, dont « la plupart étaient déjà toutes out. Pour ma part, c’est vraiment à ce moment que j’ai été exposé à ce mode de vie; ça m’a ouvert les yeux. Les gens parlaient enfin de leurs expériences; certaines ne parlaient plus à leur famille, d’autres avaient été déshéritées ». Si elle y trouve une famille, elle y trouvera également son premier amour, une footballeuse américaine.
Puis, en 2007, alors qu’elle vit toujours en Floride, elle revient à Kahnawake pour l’été et y rencontre son grand amour : Tami Jo Mary Teionshontéhrha Rice. « Bien qu’elle ait grandi aux États-Unis, on s’est rencontrés à Kahnawake. Elle est revenue avec moi, en Floride, pendant un an, le temps que je termine mes études. Ensuite, nous sommes toutes deux revenues à Kahnawake ». Ensembles depuis 14 ans, elles célébraient en 2021 leur quatrième anniversaire de mariage.
De retour auprès de sa communauté en 2008, avec sa copine et un diplôme en poche, elle travaille quelques moins dans une usine de tabac. Plusieurs membres de sa communauté lui suggèrent de se présenter aux élections. Elle sera élue en 2009 : « Ça été une expérience d’apprentissage plus qu’importante; il y avait tellement de choses à apprendre sur les divers départements et comment le conseil de bande mohawk dirige la communauté.
Quand j’ai été à l’aise, j’ai commencé à travailler avec la jeunesse, ce qui me tenait particulièrement à cœur, sans oublier l’éducation. Non seulement, je suis allée à l’université, mais je viens d’un milieu où l’éducation c’est important. Ma mère travaillait dans le domaine de l’éducation et mon père était enseignant et directeur. »
Ayant fait ses classes pendant près de 12 ans auprès du conseil, voilà que Kahsennenhawe marque l’histoire en succédant au grand chef Joe Norton, devenant ainsi la première femme et membre de la communauté LGBTQ2S+ à diriger cette société matrilinéaire. Elle avoue y être très heureuse et se sentir acceptée sans discrimination. Sans conteste, le travail d’acceptation se situe davantage au niveau du fait historique, d’une culture meurtrie et occultée, alors que nous discutions de la fameuse crise d’Oka.
Bien qu’elle n’avait que 10 ans à l’époque, Kahsennenhawe fut marquée par l’incident au Whiskey Trench, ce violent conflit armé puisqu’elle y était. La plaie est toujours vive entre les Premières Nations et le gouvernement canadien avec ces notions de terre, de mémoire et d’identité plus actuelles que jamais avec la récente création de la Journée nationale pour la vérité et la réconciliation: « Je crois qu’il y a eu un point tournant après 1990 […] car nous avons été oppressés pendant tellement longtemps – sans compter l’expérience des pensionnats autochtones – c’était un acte de résistance qui visait à se défendre, se tenir debout et dire : “Non, plus jamais! Maintenant, quoi, vous allez prendre la terre où nos ancêtres sont enterrés pour y faire un parcours de golf ?”
On ne parle pas de l’économie et de l’argent quand vient le temps de penser à nos peuples, on pense plus à notre relation à l’environnement, à la terre et à tous les éléments de l’histoire de notre création et ce qui nous permet de survivre. »
Si le traumatisme est bien réel, comme les problèmes de logement qui touche sa communauté, la grande cheffe termine sur une note positive : « Tu sais, the sky is the limit pour notre jeunesse. Ils peuvent devenir tout ce qu’ils veulent. Nous désirons favoriser ce talent et maintenir l’identité de qui nous sommes, mais aussi être capable de vivre dans un contexte moderne.
Nous ne vivons plus dans des maisons en rondins, comme nous avions l’habitude de le faire. Nous n’allons plus chasser et pêcher aussi souvent que nous avions l’habitude de le faire, bien que certaines personnes le fassent toujours, ce qui est extraordinaire, mais maintenant nous allons faire l’épicerie chez IGA, comme tout le monde. Il est important de comprendre que notre communauté a toujours évolué en s’adaptant aux époques et aux réalités auxquelles nos gens sont confrontés. Et on pousse encore et toujours pour notre identité et nos droits, car c’est très important pour nous. »