Lundi, 15 avril 2024
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    Encourager ou ruiner la carrière des marginaux ?

    Donner une promotion à un homosexuel qui n’était pas rendu là dans sa carrière. Offrir un premier rôle à une personne de couleur qui débute dans le métier. Élire une personne autochtone bispirituelle sans qualification sur un conseil d’administration. Nommer une drag queen sans expérience à l’animation d’une émission diffusée en heure de grande écoute. Il parait que c’est rendu à la mode de faire de la place aux marginaux et de favoriser leur inclusion. Mais se pourrait-il qu’en accélérant l’ascension des personnes en situation de marginalité, on prend aussi le risque de les pousser vers l’échec et de précipiter leur déclin ?


    Bonjour\hi 2022, l’année où le chroniqueur bouclé du Fugues réfléchit ouvertement à la possibilité qu’on fasse progresser trop rapidement les personnes queers, les personnes de couleur et les Autochtones, après des décennies, que dis-je, des siècles, à rester pris dans le siège arrière du train de la réussite long d’un million de wagons. Ceci étant dit, ne nous mettons pas la tête dans le sable : il existe encore d’innombrables freins aux ambitions des personnes non blanches, non hétérosexuelles, non cisgenres et non-tout-ce-qui-est-majoritaire. La discrimination à l’embauche se poursuit et plusieurs personnes LGBTQ+ continuent de cacher leur orientation sexuelle au travail (ou reformulent le tout en affirmant qu’elles ne ressentent pas le besoin d’en parler, alors que leurs collègues hétéros en parlent abondement), de peur d’être jugé.e.s, de ne pas être considéré.e.s pour une promotion ou, pire, d’être renvoyé.e.s ! Eh oui, toi qui lis cette chronique, ce n’est pas parce que tu ne vis pas la situation ou que tu ne la vois pas que ça n’existe plus.

    Bref, tout en restant à l’affût des injustices qui se perpétuent, on est en droit de réfléchir à l’évolution positive, mais potentiellement dommageable, de la situation. En effet, quand on met de la gazoline dans l’évolution professionnelle d’une personne qui ne possède ni la formation, ni l’expérience, ni les outils pour réussir, sous prétexte qu’elle nous permet de cocher l’une des cases de la diversité dans les critères de financement de notre organisation ou de nous donner bonne conscience à cette époque marquée par l’inclusion, est-ce qu’on l’aide vraiment ? Est-ce qu’on n’est pas plutôt en train de la pousser tout droit dans un mur ? De lui faire un croche-pied qui se voulait bienveillant ? De lui couper les ailes qui auraient pu se déployer et lui permettre, un peu plus tard, d’accéder aux plus hauts sommets de l’excellence ?

    La réponse à mes questions se résume-t-elle bêtement par un claquement de porte sur les doigts déjà meurtris des personnes marginalisées ? Bien sûr que non! Par contre, il pourrait s’avérer judicieux de réfléchir un peu mieux à nos actions. Si vous ne connaissez pas le parcours de la personne à qui vous offrez une opportunité rêvée, il m’apparait nécessaire que vous remettiez en question les fondements de votre décision : voulez-vous avoir l’air inclusifs ou êtes-vous prêts à l’être de la bonne façon ? Si vous sentez un talent brut à qui vous désirez offrir une opportunité située deux ou trois échelons plus haut que là où cette personne est rendue, pourquoi ne pas lui offrir un encadrement supplémentaire pour assurer sa réussite ? Il ne s’agit pas la materner, mais de la soutenir.

    Les habitué.e.s de cette chronique savent que j’ai l’habitude d’essayer de prédire les contre-arguments ou de jouer à l’avocat du diable avec mes propres idées. C’est pourquoi j’ai envie d’émettre un léger bémol à ce que j’ai exprimé ci-haut. Pour ce faire, prenons un pas de recul : lorsqu’on analyse l’histoire, combien de fois des dudes blancs, hétérosexuels et cisgenres ont-ils obtenu des mandats sans avoir l’expérience, les connaissances et les aptitudes ? Très, très souvent! À vrai dire, si des scientifiques se penchaient sur la question pour offrir des données empiriques sur le sujet, les chiffres seraient probablement dévastateurs. Que ce soit en raison du copinage entre les membres du boy’s club qui se réfèrent à des postes pour lesquels ils n’ont pas — toujours — les mérites. Ou en raison de cette confiance innée qu’ont plusieurs hommes straight et cis, tellement habitués à se retrouver en situation de majorité et de privilèges qu’il leur semble naturel de se croire légitimes, capables et crédibles, pendant que les minorités gèrent leurs traumas à force de se faire écraser, plutôt que de grimper les échelons de la société. Il n’en demeure pas moins que de nombreux candidats-qui-se-ressemblent accèdent à des postes qu’ils ne méritent pas. Ils les acceptent sans gêne en les occupant parfois sans trop se forcer et en s’assurant d’entretenir ce petit manège avec leurs semblables.

    Finalement, je comprends les gais, les Noir.e.s, les non binaires, les Asiatiques, les trans, les Autochtones, les handicapé.e.s, les lesbiennes, les Arabes, les queers, les Latinx et toutes les personnes dans la marge qui ne refusent pas les opportunités venues plus vite que prévu. Si d’autres l’ont fait auparavant, pourquoi se priver ? Cela dit, il en va de la responsabilité des personnes en situation de pouvoir qui ouvrent ces portes aux marginaux, de s’assurer de leur succès.

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