Il paraît que les gais sont tous ouverts à recevoir des photos de pénis sur les applications de rencontres et les réseaux sociaux. Que la dick pic est chose désirée, normale, pour ne pas dire une possibilité sous-entendue aux échanges avec un partenaire potentiel ou rêvé en toutes circonstances. Mais quel ramassis de foutaises!
J’entends depuis des lunes les mêmes préjugés sur l’hypersexualisation des hommes et cette idée voulant que des hommes ensemble ne pensent qu’au sexe et qu’ils sont invariablement ouverts à n’importe quoi de sexuel, de coquin, de trash ou de libidineux. Comme si les humains de sexe masculin étaient tous restés au stade de Néandertal et qu’ils se réduisaient à leurs besoins sexuels primaires, sans la moindre fucking nuance.
Ce même courant de pensée est revenu à l’avant-scène au cours des derniers mois avec la diffusion sur Crave du documentaire Allô, voici mon pénis. Mené par l’humoriste et scénariste ô combien pertinente, Kim Lizotte, le projet tente de décortiquer les motivations des hommes à envoyer des clichés de leur queue à des femmes (souvent de façon non-désirée), ce que ça dit sur leur personnalité, comment les femmes réagissent, quelle place occupe la verge masculine dans
l’imaginaire social et plus encore. Dans sa globalité, le documentaire est intéressant, éclairant, appuyé sur des études et des témoignages pertinents.
Là où le bât blesse, c’est lorsqu’il est question des échanges de dick pics entre gais. D’abord, l’animatrice rencontre un scénariste d’humour qui a longtemps été en couple hétérosexuel avant de vivre sa vie d’homosexuel. À première vue, on pourrait se dire : « Mais qui de mieux placé qu’une personne ayant connu les deux camps pour témoigner de leurs comportements respectifs? ». Pourtant, un pas de recul suffit pour se rappeler qu’il s’agit d’un échantillon minuscule constitué d’un seul être humain…
Lorsqu’il affirme que l’échange de photos de pénis est systématique et normalisé entre homosexuels, et qu’une sexologue affirme à son tour que les gais SAVENT qu’ils vont recevoir des dick pics sur les applications de rencontre, qu’ils sont AU COURANT et, coup de grâce, qu’ils sont TRÈS BIEN LÀ-DEDANS, j’ai hurlé de l’intérieur. Pire encore, l’ex-hétéro-nouveau-gai-supposément-expert ajoute que chez les gais, si tu veux trouver l’amour, tu vas sur Tinder, alors que le sexe, c’est sur Grindr. Voilà un stéréotype dégoulinant de rigidité…
Je connais Grindr. Je sais que la majorité de ses usagers y cherchent du sexe, mais pas tout le monde. Dans les préférences, l’application nous offre les choix suivants : discuter, rendez-vous, amitié, réseau, relation, tout de suite. Je n’ai rien inventé. Plusieurs personnes sont convaincues que la recherche de plan cul est la seule option valable et que le reste n’est que foutaise.
Malheureusement pour leur vision du monde en silo, je connais beaucoup de gais qui ont trouvé des amis, des amoureux, des conversations stimulantes, des appartements et des occasions d’emplois via Grindr. Évidemment, de nombreuses personnes trouvent cette idée ridicule, voire inacceptable, tant c’est loin de leur réalité. Malheureusement, celles-ci ne réalisent pas qu’en refusant de comprendre et d’accepter que d’autres n’agissent pas comme elles, elles s’avèrent aussi répréhensibles que certain.ne.s hétérosexuel.le.s qui ont longtemps refusé de considérer qu’on puisse être attiré par quelqu’un du même sexe ou certaines personnes cisgenres qui croient que les enjeux trans, non-binaires et queers ne sont que des lubies.
L’hiver dernier, quand les médias ont parlé du documentaire Allô, voici mon pénis, certains d’entre eux ont mentionné que l’envoi de dick pics était généralisé et accepté de tous sur Grindr. Encore une fois, la réalité diffère. L’application fournit une option afin de préciser si on accepte les images XXX : « jamais », « pas la première fois » ou « oui merci ». Vous voyez les trois nuances? Ces quelques mots qui indiquent d’emblée l’intérêt de la personne à voir un pénis ou un cul apparaître dans la conversation?
En lisant mon texte, je suis convaincu que certain.e.s d’entre vous ont sourcillé, éclaté de rire ou cru que je suis une Sainte Nitouche qui condamne tout geste sexuel. Encore une fois : cette réaction suinte le jugement facile. Je ne suis pas anti-dick pics. Je veux simplement qu’on me demande avant de me les envoyer. Je veux qu’on arrête de tenir pour acquis qu’un compte Grindr ne sert qu’à une chose, que les échanges de nudes sont automatiques et qu’une conversation peut commencer par un pénis. Je veux qu’on mette le feu au panier dans lequel les hommes, et plus spécialement les hommes gais, sont enfermés depuis la nuit des temps. Je veux éviter qu’on nous réduise à des bêtes en manque de sexe qui n’arrivent pas à se gérer. Je veux que les émetteurs de dick pics cessent de placer leur plaisir devant celui des receveurs involontaires. Je veux qu’on réalise que s’il n’y a pas de désir de recevoir une photo de pénis en érection, il n’y a pas de consentement. Et là où il n’y a pas de consentement pour un geste à caractère sexuel, il y a agression.