Quand on évoque des scientifiques qui partent en expédition navale, l’imaginaire collectif se réfère de prime abord à un groupe d’hommes océanographes qui documentent avec des mesures métriques les avancées socioécologiques. Or, documenter d’une autre façon, à travers les yeux de femmes créatrices, vulgarisatrices et ingénieures, notamment, et issues de la diversité sexuelle, c’est ce que s’apprête à faire l’Expédition Bleue. À son gouvernail, la porteuse du projet et fondatrice de l’Organisation Bleue, Anne-Marie Asselin, également écologiste marine et conservationniste, discute de l’expédition avant de lever les voiles pour le golfe du Saint-Laurent le 26 août prochain.
Comment a débuté l’aventure ?
En 2018, nous avons fondé l’Organisation Bleue, porteuse du projet avec nos nombreux partenaires. Nous nous sommes rendus assez loin sur un projet d’expédition qui a fait des vagues ! L’aventure était planifiée, mais il nous restait à trouver et financer un bateau. Après avoir été mis sur la glace, avec la pandémie qui nous a ralentis et recentrés sur nous-mêmes en quelque sorte, nous avons recentré le projet sur le golfe du Saint-Laurent. En décembre, j’ai été approchée par le Réseau Québec maritime, notre bailleur principal sous la bannière de leurs nouveaux objectifs : « équité, inclusivité et diversité ».
On a créé un précédent, si je peux dire, car c’est la première fois qu’un OBNL présente un projet interdisciplinaire au Réseau, en plus d’être équité, inclusivité et diversité. Justement, l’expédition désire allier art, société et science. Puisque les participantes proviennent de divers milieux (géopoétique, écopoétique, écoféminisme, études queers et féministes, etc.), les activités scientifiques effectuées à bord du navire les mèneront à développer leur réflexion et du matériel de vulgarisation scientifique, mais également des ouvrages en création littéraire et artistique. Exactement. Nous avons aussi tout un protocole pour caractériser la pollution plastique que nous allons retrouver sur le littoral. Ce sont toutes des démarches importantes, mais qui ne sont pas tellement mises de l’avant dans un contexte scientifique, alors c’est super important pour nous aussi de faire la lumière sur ces recherches-là qui sont tout aussi importantes scientifiquement, mais qui sont peut-être moins ancrées dans les sciences très appliquées. Nous sommes toutes dans des sciences marginales, en fait ! Il y a deux professeures-chercheuses à l’UQAR en création littéraire et également écrivaines.
Elles seront chacune accompagnée de deux étudiantes, dont une qui est spécialisée en création queer LGBTQ2+. Ces femmes-là partent avec la thématique des changements climatiques et même écoféministes, afin de l’exploiter pour créer des ouvrages littéraires. Ce qu’on cherche à mettre en lumière à travers le voyage, je dirais la mission principale, on dit une expédition écoféministe, mais c’est surtout une mission diversifiée, dans le but d’élever la voix des groupes sous-représentés dans le cadre de la crise climatique, de la biodiversité et de la pollution.
L’Expédition Bleue, c’est notamment 12 femmes et membres de la communauté LGBTQ2+ qui uniront leurs forces pour documenter la pollution plastique et témoigner des changements climatiques. C’est aussi 12 femmes à bord d’un navire pendant deux semaines !Des angoisses ?
On ne se connait pas toutes encore, donc on va se découvrir à bord du navire. On va sûrement se découvrir des forces et des faiblesses aussi, et ça risque d’être difficile ; parfois, le golfe au mois d’août, il risque de faire sous zéro la nuit… ça ne sera pas un voyage de type croisière de tout repos, on a des objectifs scientifiques très ambitieux également. C’est sûr que pour la logistique à bord, il y a deux salles de bain… donc il va falloir gérer comme on peut !
Sinon, le bateau est beau et immersif, ce qui viendra nourrir les équipes de création littéraire et scientifique. Est-ce que vous avez parfois l’impression que les changements sociaux, qu’ils soient
climatiques ou associés à la non-violence, passent par celles qui donnent la vie : les femmes ? Exactement. On associe souvent la femme à quelque chose de plus nourricier et protecteur. Sur le bateau, on est quelques biologistes, ce qui est surtout un métier de femmes, mais dans l’ensemble des sciences, les femmes sont sous-représentées.
Si l’OMS a déclaré que les changements climatiques étaient maintenant irréversibles, il semblerait que les gouvernements mondiaux ne comprennent pas l’urgence climatique. Pourquoi selon vous ?
Je pense que c’est une question de paradigmes. Tout est géré par l’argent et le lobbyisme et la place des industries pétrolières sur l’échiquier politique est grande. Tant qu’on ne sera pas capable d’adresser la politique de façon peut-être plus détachée d’un monde capitaliste, ça va être difficile de s’aligner sur des objectifs de développement durable.
Que pouvons-nous faire concrètement pour inverser la tendance ?
La pollution plastique n’a pas de frontière. On la retrouve en quantité surprenante sur le littoral québécois. Nous en sommes rendus à une centaine d’initiatives de nettoyage de berges avec l’Organisation Bleue. J’ai beaucoup d’espoir et il y a énormément de choses qui se font en ce moment. Il y a aussi des accords internationaux. Je pense à la Convention de Paris qui a été signée en 2015, la majorité des pays sont signataires de cet accord. Il y a tout de même une volonté politique, même s’il faut continuer à changer nos habitudes à titre de consommateur.
Et l’Expédition Bleue a le potentiel de nous apprendre des choses ! Quelle serait pour vous une bonne pêche dans le cadre de cette expédition ?
Déjà de monter des femmes et des groupes sous-représentés, de parler à travers leurs créations, d’amener ces membres de la communauté dans ce cadre-là ; ça ne peut qu’ouvrir davantage le canal de communication avec les communautés LGBTQ2+ et sensibiliser davantage ce public-là. Aussi, amener cette voix à la population, en général. Enfin, j’espère qu’on pourra sensibiliser les Québécois à ces zones-là du Québec qui sont tellement belles et à l’importance de conserver notre patrimoine naturel.
INFOS | L’équipage interdisciplinaire est notamment composé de : Anne-Marie Asselin,
instigatrice du projet Organisation Bleue, Camille Deslauriers, créatrice littéraire, UQAR, Lyne Morissette, conservationniste et vulgarisatrice, Kateri Lemmens, créatrice littéraire, UQAR, Laura Rowenczyk, ingénieure. Pour plus d’information sur l’Expédition Bleue, qui prendra le large le 26 août, consultez le site Web : www.organisationbleue.org