Lorsque fut annoncé le projet d’une série télé portant sur le tueur en série Jeffrey Dahmer, les réactions se sont partagées entre enthousiasme et haussement d’épaules agacé, et ce, même si la série est portée par nul autre qu’Ian Brennan (Glee) et Ryan Murphy (American Horror Story, Hollywood). Le résultat dépasse cependant de loin les attentes qu’on pouvait nourrir et 48 heures à peine après sa sortie, la série de Netflix se classait numéro 1 dans plus de 20 pays.
Difficile de résister à la fascination exercée par ceux qui franchissent avec autant d’aplomb ce qui nous définit comme être humain. Dans le cas de Jeffrey Dahmer, on parle des meurtres de 17 jeunes hommes, dont la plupart ont été tués entre 1987 et 1991 dans la ville de Milwaukee, combinés à des actes de viol, de démembrement, de nécrophilie et de cannibalisme. C’est donc dire tout le défi de transposer à l’écran de tels événements sans sombrer dans le voyeurisme ou la torture « porn ». Il fallait aussi éviter l’écueil de produire une œuvre glorifiante mettant en scène un criminel plus articulé et plus séduisant qu’il ne l’est en réalité, ce qui aurait eu pour effet de générer une vision magnifiée de la réalité où les victimes font office de faire-valoir.
Ces pièges, la minisérie les évite adroitement puisque Dahmer – Monster: The Jeffrey Dahmer Story (Monstre : l’histoire de Jeffrey Dahmer) se révèle, tout au contraire, une œuvre à la fois forte, sensible et extrêmement dérangeante, qui s’établit sur une prémisse fondamentale : l’indifférence des forces de police dans le cas de disparitions se déroulant dans des quartiers pauvres à prédominance afro-américaine et lorsqu’il s’agit de victimes issues de la communauté gaie. Afin de brouiller les pistes, le scénario prend par ailleurs l’ingénieuse décision de morceler et de disperser les lignes temporelles : il est donc difficile de déterminer quel sort est réservé à chacune des victimes. Dès le premier épisode, le spectateur se trouve ainsi rivé à son siège, pris au piège d’une tension presque insoutenable. Evan Peters (Kick Ass, X-Men, WandaVison) offre une performance ahurissante dans le rôle-titre avec un regard qui donne la chair de poule tant il semble détaché de la réalité, à la fois vide et presque mort, tout en réservant d’étonnants sursauts d’humanité.
Issu d’une famille profondément dysfonctionnelle, on assiste à une descente progressive aux enfers où l’alcool règne en roi et maitre. La série ne tente cependant pas d’identifier la source du mal, mais offre simplement aux spectateurs le portrait d’une époque, d’un tueur et de ses victimes. Ces dernières ne sont en effet pas réduites à un rôle de figuration ou de chair à canon. On insiste au contraire sur leur petite histoire, leur joie de vivre et le potentiel qui les habite, qui se trouvent fauchés en plein vol. À cet effet, l’épisode 6 constitue un tour de force profondément émouvant où là c’est le tueur qui tient un rôle de second plan. Bien que personne ne souhaite compter dans ses rangs un meurtrier psychopathe, la série assume pleinement l’orientation sexuelle de Dahmer. Le lieu de séduction de ses victimes, souvent situé dans des discothèques gaies, est bien représenté et la caméra fait même preuve d’audace en multipliant les plans de caresses et de nudité, ce qui rend les actes commis d’autant plus glaçants.
Le récit met également en lumière des scènes à la limite de l’absurde impliquant les forces de police. On ne peut que frissonner devant deux policiers qui raccompagnent un jeune homme chez le tueur, alors que celui-ci vient tout juste de lui échapper après avoir subi une trépanation à la perceuse. Le tout, sous les yeux ahuris d’une voisine qui tente en vain d’argumenter avec les forces de l’ordre. La performance de Niecy Nash dans le rôle de la voisine de palier, obsédée par le comportement de son voisin, l’odeur de chair putride qui se dégage de l’appartement et les cris qu’elle surprend parfois, est d’ailleurs à couper le souffle. L’expression « inspiré de faits vécus » porte parfois à sourire tant il ne reste rien de réel dans le produit final, mais on ne peut ici qu’être impressionné par la qualité de la recherche et du scénario. À l’exception de détails sans grande importance, ce qu’on voit à l’écran correspond parfaitement à la réalité. À titre d’exemple, les témoignages des familles constituent ni plus ni moins qu’une lecture, mot pour mot, des minutes du procès.
Il aurait été facile de sombrer dans des scènes sanglantes, explicites et racoleuses, mais la série choisit judicieusement de les suggérer ou de les situer hors champ, ce qui les rend paradoxalement plus terrifiantes. Bien qu’elle se compose de 10 épisodes de 50 minutes, elle s’écoute en rafale tant elle maintient un rythme presque hypnotique et haletant.
La minisérie révèle sans aucun doute au public l’un des portraits les plus nuancés et terrifiants de la genèse d’un tueur en série et de son impact sur une communauté. Cœurs sensibles s’abstenir ! La série est disponible sur Netflix en anglais et dans un excellent doublage français.