J’ai longtemps été convaincu que les pétards n’avaient aucune profondeur, que les hommes correspondant aux standards de beauté se contentaient de leur jolie plastique sans avoir à développer d’autres qualités. Et qu’il était impossible d’accroitre son QI autant que son IMC. Pourtant, la vie continue de me prouver le contraire.
Chaque fois que je pense à ma vieille théorie, je me déçois. Adepte de nuances, je sais depuis des lunes que les généralisations ne mènent à rien. Sinon à conforter les gens dans un lot de croyances qui leur évite de remettre en question leur vision réduite du monde. J’aurais donc dû comprendre plus tôt que les mecs au faciès avantageux, dotés d’un physique agréable et dont les attributs pourraient faire la couverture d’un magazine ne peuvent pas TOUS être propriétaires d’un cerveau fonctionnant à moitié et d’une personnalité décevante.
Soit dit en passant, je ne pourrai jamais me contenter de contredire mes idées préconçues en affirmant que la beauté est dans l’œil de la personne qui regarde. Même si je suis d’accord pour dire que la beauté est un concept subjectif et que les goûts varient d’un individu à l’autre, je ne me permettrai jamais un tel court-circuit de la pensée. Je dois assumer l’existence des standards de beauté, des privilèges offerts aux personnes qui y correspondent et des souffrances ressenties par celles qui tentent de s’en rapprocher, souvent au détriment de leur santé mentale et physique. Par-dessus tout, je dois comprendre pourquoi j’ai laissé mon esprit dériver.
Né avec des gènes de grand garçon, j’ai grandi en étant toujours plus large et plus lourd que la moyenne. Même si la société valorise davantage les grands hommes que les petits, j’ai aussi compris très (trop) tôt que la minceur était un signe de réussite aux yeux de beaucoup trop d’humains et que je ne correspondais pas à cette minceur. J’ai passé les trois dernières décennies à composer avec des complexes sur mon poids, la tonification de mon corps et la définition de mes muscles. J’ai longtemps détesté mes paupières lourdes (même quand je ne suis pas fatigué). J’ai souvent pensé que les traits de mon visage étaient atypiques et que cela posait problème. Ce paragraphe ne sert pas à me victimiser. Ni à éveiller de sombres réflexes de comparaison chez certaines personnes qui me lisent, mais à contextualiser le regard que j’avais sur moi et celui que je posais sur les autres. Dans ma tête, la beauté standard avait quelque chose de louche, voire d’inatteignable. D’une part, je croyais que cette splendeur était le résultat de l’injustice des gènes. Dans une perspective très judéo-chrétienne de la situation, je me disais qu’on ne pouvait pas être magnifiques et intelligents. C’était l’un ou l’autre. Pendant que je faisais tout pour accroitre mes connaissances et mon quotient intellectuel, en pleurant mon physique « inadéquat », ces merveilles de la nature ne pouvaient que souffrir de leur idiotie ou vivre dans l’ignorance de leur stupidité.
D’autre part, j’imaginais que cette beauté pouvait aussi être le fruit du travail acharné des propriétaires de beaux corps qui savent s’alimenter mieux que moi, faire plus d’activité physique que moi ou tout simplement bouger plus intelligemment. Encore une fois, la vieille culpabilité catholique s’incrustait dans mes pensées. Je poussais la réflexion en supposant qu’aucune personne normale ne pouvait savourer les conséquences de ses efforts sur sa plastique et avoir le temps de s’éduquer, de lire, d’aller au musée et au théâtre, de visionner des documentaires, d’échanger avec des gens, de développer sa personnalité, son charme, son humour et sa vivacité d’esprit. J’analysais les vingt-quatre heures dans une journée sans comprendre comment on pouvait réussir tout cela.
J’ai même poussé ma théorie un cran plus loin en pensant que les belles personnes n’avaient carrément pas besoin d’être brillantes, drôles, charismatiques et pleines de répartie. Puisque l’histoire a démontré que la beauté pouvait ouvrir pratiquement toutes les portes, qu’on pouvait devenir riches, célèbres et admiré.e.s pour des questions purement esthétiques, indépendamment de ce qu’on avait à offrir, et que la beauté excusait parfois la vacuité, j’étais persuadé que les beautés sentaient, consciemment ou non, que leurs muscles, leur minceur et leurs jolis traits pouvaient suffire.
Puis, le temps a passé. Mes préjugés sont allés se promener. J’ai croisé d’innombrables mecs magnifiques dont le travail exigeait intelligence et profondeur. D’autres splendeurs capables de discussions profondes et stimulantes. Plusieurs beautés qui étaient à la fois abonnées au gym et habituées à prendre leurs dimanches après-midi pour cuisiner leurs repas de la semaine, tout en étant capables de parler deux, trois ou quatre langues, de discourir sur la politique, de débattre sur des enjeux de société avec pertinence et de jaser de culture au sens très large. Bon, je m’inquiète encore très souvent du bien-être mental et du niveau de bonheur de toutes les personnes dont la nourriture se résume à des shakes protéinés, des lunchs sans cesse composés de poulet, de riz et de légumes verts. Néanmoins, j’ai appris à donner le bénéfice du doute aux jolis minois qui croisent ma route.