Seize ans après la sortie du sexy et vénéneux Little Children, le réalisateur californien Todd Field est de retour avec TÁR sur une cheffe d’orchestre lesbienne à l’apogée de sa carrière, qui révèle peu à peu une personnalité toxique et destructrice.
Le film s’ouvre sur une entrevue avec un journaliste du New Yorker qui présente Lydia Tár comme l’une des merveilles de la musique classique. Compositrice virtuose et ethnomusicologue, elle est également au point culminant de sa carrière de chef d’orchestre et se prépare à diriger le Philharmonique de Berlin — rien de moins — pour une interprétation de la prestigieuse 5e symphonie de Mahler.
La première scène établit rapidement le statut du personnage et offre un aperçu de son caractère. La jeune femme contrôle les réponses, le sens de l’entretien, et le spectateur ne peut qu’être captivé par son charisme et son expertise. Une force qu’elle conserve ensuite face à son orchestre, comme dans sa vie de famille avec sa compagne Sharon (Nina Hoss) ou son assistante Francesca (l’actrice française Noémie Merlant).
Le réalisateur Todd Field prend le temps de présenter les relations entre chaque personnage pour mieux révéler progressivement la face sombre de son héroïne.
Tout au long de Tár, Todd Field explore les dérives de l’orgueil et du pouvoir à travers les jeux de manipulation de Lydia, qui fait miroiter d’éventuelles promotions aux jeunes femmes, ou caresse l’ego de ses prédécesseurs pour obtenir certaines faveurs.
Plus qu’un simple film sur les abus, la «cancel culture» et #metoo, Tár aborde de multiples sujets d’actualité dans une analyse complexe des rouages du pouvoir et de la domination ainsi que la difficulté à ne pas perpétuer ce système toxique.
Cate Blanchett livre une performance phénoménale — qui lui a valu un prix d’un d’interprétation à la Mostra de Venise — en incarnant cette femme talentueuse dévorée par son égo et ses démons intérieurs.
Il fallait une actrice de cette trempe pour que l’on puisse croire à un personnage si intense : à son génie et à l’admiration qu’elle inspire malgré son cynisme parfois méprisant. Il fallait une actrice comme Blanchett, exhalant une grandeur hiératique, une qualité quasi mystique, hors de ce monde, pour nous captiver comme Lydia séduit son entourage. L’assurance du personnage et son charisme s’effritent peu à peu, l’actrice passant avec aisance de la grandeur à la perte de contrôle, alors que son attitude hautaine, artistocrate, se transforme en une insouciance feinte, provocatrice, le film reposant largement sur cette interprétation magistrale.Déjà un des meilleurs films de la saison et une route vers l’Oscar qui semble toute tracée.
Rappelons que lors de la sortie du film Carol (où elle nous offre une autre interprétation sublime, cette fois d’une romance d’amour lesbienne à une époque où c’était difficile d’en avoir une ouvertement), l’actrice australienne répondait par une question malicieuse au magazine Variety qui lui demandait s’il s’agissait de sa première romance lesbienne: «À l’écran ou dans la vie?». «Avait-t-elle eu des relations avec des femmes par le passé?», poursuivait alors le journaliste. «Oui. De nombreuses fois», déclarait-elle sans s’étendre davantage, précisant s’être toujours gardée de s’exprimer sur sa vie privée.