Quatre ans après L’heure de la sortie, le réalisateur et auteur français Sébastien Marnier revient en force avec L’origine du mal, une coproduction Canada-France mettant en scène Laure Calamy, Suzanne Clément et Doria Tillier, avec Pierre Lapointe et Philippe Brault qui assurent la musique. Le magazine Fugues s’est entretenu avec lui pour discuter de ce film, à la croisée des chemins entre la comédie et le suspense.
Quelle est l’histoire de L’origine du mal ?
Sébastien Marnier : C’est l’histoire de Stéphane (interprétée par Laure Calamy), une femme d’une petite cinquantaine qui travaille dans une usine où elle met du poisson en boite. Elle décide de prendre contact avec son père biologique qu’elle n’avait jamais connu et va donc rencontrer un homme qui s’avère être extrêmement riche, qui vit dans le sud de la France avec sa femme, sa fille, sa petite-fille et une bonne un petit peu inquiétante.
C’est un film qui va raconter cette rencontre et surtout la manière dont Stéphane va être plutôt fraichement accueillie. On va découvrir au fur et à mesure les secrets de chacun, les secrets de famille, les secrets de chaque personnage, la violence, la toxicité de cette famille. Il y a plein de rebondissements !
Comment qualifierais-tu ce film ? Thriller ? Comédie ? Suspense ?
Sébastien Marnier : Alors moi ça me plait, justement, parce que mes distributeurs français ont bien galéré à mettre mon film dans une case. Est-ce que c’était un thriller comique ? Est-ce que c’était une comédie flippante ? Est-ce que c’était une farce ? Je pense que le film est un peu tout ça. Je trouvais que c’était sûrement — en tout cas pour moi — la meilleure manière de raconter mon point de vue sur la famille, c’est-à-dire où à la fois ça me fait rire, mais j’ai un peu de tendresse, mais en même temps ça m’horrifie.

Est-ce que ta propre famille a été parmi tes inspirations ?
Sébastien Marnier : Alors non, je vous rassure, ma famille est folle, mais pas aussi toxique. Ça faisait longtemps que j’avais envie de faire un film sur la famille. Les retrouvailles de ma mère avec son père biologique qu’elle n’avait jamais connu, je trouvais que c’était un bon point de départ pour raconter cette histoire sur une opposition très forte de classe, c’est-à-dire ma mère, assez prolétaire de région parisienne, et son père, un banquier très riche et très à droite.
Ton film explore un monde très féminin. Est-ce ta réponse au mouvement #Me Too ?
Sébastien Marnier : En fait, j’avais surtout envie d’inventer une famille qui est à l’opposé de la mienne. Dans ma famille, il n’y a aucune femme. Il y a évidemment des épouses, mais il n’y a pas de fille. Et puis, dans la famille d’à peu près tous les gens que je connais, il y a une figure patriarcale assez forte et assez puissante. J’avais envie de garder ça quand même.
Je ne sais pas si c’était une réponse post #Me Too, parce que moi les questions féministes m’ont toujours intéressé, c’est partie intégra[nte] de mon ADN. De toute façon, ce n’était même pas une question.
Dans ce film, le monde tourne alentour d’un seul homme. C’était une manière de critiquer le patriarcat ? Ce phénomène est quelque chose qui t’intéresse ?
Sébastien Marnier : Forcément, c’est quelque chose que je trouve d’effrayant. En même temps, il était hors de question à la fois de traiter de ça et en même temps de faire des femmes qui l’entourent des oies blanches. C’était pas du tout l’idée. Je pense que toutes les femmes de mon film sont à la fois des victimes de cette société-là et en même temps sont aussi très inquiétantes et très violentes. Je trouvais que c’était intéressant de prendre le mal à la racine du mal.
Ton film met en scène un couple lesbien. Est-ce que ça a été un défi pour toi d’approcher la chose ?
Sébastien Marnier : Non, pas du tout ! Surtout à partir du moment où — au moment de l’écriture du script — je me suis autorisé l’idée qu’il n’y aurait que des femmes dans le film, c’est-à-dire que même les « figurants » seraient des femmes. Donc il y a, en gros, 250 femmes dans le film et un homme.
De toute façon, l’aspect queer du film, il est très clair dans mon cinéma depuis le début. Je m’étais autorisé dans L’heure de la sortie que le personnage de Laurent Lafitte soit homo. Ce qui m’intéresse, c’est que ce [ne] soit pas du tout le propos du film. Ça fait partie de sa personnalité, ça fait partie de son être.
Ton film est une coproduction Canada-France. Comment s’est articulée cette collaboration ?
Sébastien Marnier : J’avais déjà Pierre Lapointe depuis un moment sur le projet. Ça faisait longtemps qu’on voulait travailler ensemble. Ce projet avait été décalé avec la pandémie et tout ça, donc on avait beaucoup travaillé déjà avec Pierre en amont.
Je voulais aussi travailler avec Sylvain Bellemare, le monteur son du film, et puis toute l’équipe de Denis Villeneuve, de qui j’adore vraiment le travail. Sylvain Bellemare m’a dit oui la même semaine où Suzanne Clément m’a aussi confirmé qu’elle voulait faire le film. J’ai dit à ma productrice : « Bon, finalement, on n’a que des stars québécoises. Il faut absolument faire une “copro”, ça n’aurait pas de sens [de ne pas faire une coproduction]. »
J’ai fait toute la postproduction sonore ici [à Montréal]. Je suis venu pendant deux mois l’année dernière travailler ici. L’intérêt des « copro », ce n’est pas du tout qu’un aspect financier. C’est aussi de découvrir une autre manière de travailler, une autre manière d’aborder — de manière extrêmement musicale — le son. Il y a [au Québec] une manière très américaine [d’approcher le son], où il n’y a pas de tabou, où on peut faire tout ce qu’on veut dans des conditions plutôt assez luxueuses par rapport à ce que j’ai connu en France. C’était à la fois passionnant et extrêmement simple aussi.
INFOS | L’origine du mal, un film de Sébastien Marnier