Mardi, 21 janvier 2025
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    Celles qui restent

    En ce mois de février, fête de l’amour, je n’avais pas le gout de faire une énième chronique mettant de l’avant mon cynisme usuel pour la Saint-Valentin. Je suis célibataire, certes, ce n’est pas la raison pour laquelle je hais la fête de l’amour. Si vous prenez le temps d’y penser, au-delà de son aspect très commercial et hétéronormatif, cette fête n’est pas exclusivement celle du couple, malgré ce qu’on veut bien nous faire croire, car l’idée fait vendre ben du chocolat, des soupers et des nuitées à l’hôtel… C’est plutôt la fête de tous les êtres qu’on aime, peu importe la relation qu’on entretient avec eux.

    Cela m’a fait réfléchir à la relation que j’entretiens avec mes proches. Enfant unique d’une enfant unique, ma famille n’est pas grande, en nombre. (Idem pour ma famille choisie.) Cela dit, dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas le nombre qui fait la force ! Nous sommes peu, mais tissés serré. J’ai beaucoup d’amour pour mes parents et c’est réciproque. Je ne suis pas certaine qu’on peut en dire autant de toutes les familles, peu importe le nombre d’ailleurs. Je suis consciente de ma chance. Cela dit, le départ récent de ma tante (la belle-sœur de mon père) m’a fait prendre d’autant plus conscience d’une fatalité. La mort, certes, mais la solitude pour les proches qui restent. De mon côté, je serai la seule. Celle qui reste.

    Celle qui reste seule avec le deuil des êtres chers. Ça, c’est une fatalité pour l’enfant unique. Est-ce que le deuil rassemble réellement les grosses familles qui ne s’entendent pas ? (Outre les sourires hypocrites au salon funéraire ?) J’en doute. Le nombre n’est pas gage de panacée, puisque le deuil n’épargne personne : la mort est une fatalité. Qu’advient-il ensuite ? Non pas de la « vie après la mort », mais plutôt de la vie des êtres chers après la mort de leurs proches ? Je me souviens que la mort de ma grand-mère maternelle fut difficile pour ma mère, bien que mon père et moi étions là pour y mettre un baume, « le départ d’une mère est le premier chagrin que l’on pleure sans elle », était-il inscrit sur son signet post-mortem.

    C’est difficile pour celles qui restent. Pourquoi au féminin ? Dans bien des cas, ce sont des femmes. Premièrement, elles vivent statistiquement plus longtemps que les hommes. Si vous avez besoin de faits, allez faire un tour dans un CHSLD pour constater le ratio hommes/femmes très inégal (chez les résidents, comme chez les employées d’ailleurs, mis au féminin pour souligner mon point).

    Deuxièmement, ce sont elles qui se retrouvent dans des rôles de proches aidantes, dans le milieu du care, comme on dit, que ce soit pour leurs enfants, leurs parents ou leurs proches. Et ça ne change pas quand les parents deviennent inaptes ou décèdent. La tâche ne fait que se confirmer : qui s’occupe des papiers, du legs, des finalités de l’enterrement ? Celles qui restent…

    (1) Bien sûr, si vous êtes un homme dont la mère est décédée et que vous n’avez pas de membre de votre famille et que le chapeau vous fait, vous pouvez le mettre. 2) Pour une situation plus dramatique de la lesbienne ainée bafouée par la belle-famille, voir le premier tableau du film Si les murs racontaient 2 ).

    Tout ça par amour, me direz-vous. Oui, bien sûr, pour plusieurs. Certes, les rôles sociaux ont cantonné les femmes dans ces carcans, « par amour ». Si le frère de la famille ne le fait pas, c’est acceptable socialement parlant, « il est occupé, il travaille pour nourrir sa famille, etc. », mais si la femme ne le fait pas, « elle est égoïste, n’a pas de cœur, faille à son rôle de femme », qui lui est intimement associé à celui de prendre soin des autres. Par amour ? Par mimétisme ou rôles sociaux ?

    Je sais. Le sujet de ma chronique, aux alentours de la Saint-Valentin, est vraiment rabat-joie. Il n’en demeure pas moins que la mort au même titre que les rôles sociaux imposés le sont tout autant. Ma plume a peut-être un air d’enterrement, mais elle ne veut que rappeler que l’amour n’a rien à voir avec les rôles sociaux que l’on peut nous imposer, et ce, même inconsciemment depuis des siècles. Pourquoi s’en remettre à des chocolats ou des bébelles faites en Chine, quand il est temps de manifester notre amour aux autres ? Ne suffit-il pas de regarder à l’intérieur de nous et de le partager ? Pourquoi ne suffit-il pas de s’offrir du temps ensemble, de faire don de soi à ceux qu’on aime ? Car si on prend le temps d’y réfléchir, notre cadeau le plus précieux, c’est le temps ! Celui, intangible, qui nous est offert pour un temps limité. Celui qui passe si rapidement avec les gens qu’on aime. Celui que l’on redoute, en proie à une mort imminente. Celui qui avance sans relâche et qu’on ne peut reculer, même si on aime une personne plus que tout. Celui qui s’arrête momentanément, lors d’un coup de foudre. Celui qui s’arrêtera définitivement, un jour, pour chacun d’entre nous, même si l’amour, lui, est éternel.

    Le meilleur cadeau de Saint-Valentin pour celles et ceux qui restent ? Leur donner de notre temps et leur dire qu’on les aime. Ça reste mon avis (même si mon estomac est en train de crier : « Une boite de Lowney ! »).

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