Lundi, 20 mars 2023
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    Sonny Issues : Des daddies sans fils

    « Ça ne fonctionnera pas. » Sylvain et sa fréquentation sont en train d’écouter une télésérie quand le petit blond aux yeux bleus se retourne vers lui et lâche cette bombe. Sylvain se fait croire qu’il a peut-être mal compris. « Qu’est-ce que tu veux dire? » « Nous deux. J’y ai beaucoup pensé ces derniers jours, et la différence d’âge est vraiment trop grande. Je sais, je suis mature, et tu n’as pas une vie aussi… rigide que celle d’autres gars dans la mi-trentaine, mais quand même. On n’est juste pas rendus à la même place. »

    Sylvain ne sait plus trop où il est rendu, au fait. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il s’est investi dans cette relation avec autant de passion et d’énergie que dans toutes ses précédentes… rien que pour se retrouver aussi vide et brulé en fin de parcours. Il aimerait se faire croire qu’il est désolé du fait qu’il n’aura probablement exercé aucune influence dans la vie du jeunot, mais sa tristesse vient d’ailleurs. Après tout, lui-même l’aura sans doute oublié bientôt – quoique son cul…

    Sylvain chasse cette image de sa tête. Il n’est pas du genre à s’apitoyer. C’est une de ses forces : il est immunisé contre la nostalgie. Il a trop longtemps mis de côté ses projets, sa famille, ses amis. Il doit y retourner dès maintenant pour rattraper le temps perdu. Il le fait en ordre de facilité, c’est-à-dire de fidélité.

    Il commence par répondre à son éditrice, qui le contacte à intervalle régulier pour s’informer de la progression du prochain livre. Il lui écrit qu’il s’y relance à l’instant – et qu’il est persuadé que ce sera un grand succès. Mentionner qu’il n’a aucune idée de ce dont il parlera lui semble superflu.
    Il contacte ensuite la deuxième femme qui lui est la plus fidèle… bien qu’elle soit arrivée en premier dans son histoire, par la force des choses. Il se souligne aussi à lui-même que sa mère pense sans doute à lui plus souvent que son éditrice, mais que de son côté, elle s’empêche de le contacter pour ne pas devenir harcelante.

    « Allô, maman? » « Salut Sylvain! Comment vas-tu? » « Pas très bien… Une autre rupture… J’ai bien fait de ne pas te le présenter, celui-là! » Elle sait que quand il s’amuse de la situation, il a déjà commencé à la métaboliser. C’est sa manière de lui indiquer qu’il tient moins à ce qu’elle le réconforte qu’il veut recevoir de ses nouvelles. Elle lui parle des activités qu’elle a récemment faites avec son père, de leurs plans pour les prochains mois. Il lui demande des nouvelles de sa sœur. « Elle a fait baptiser la p’tite récemment!

    On les a reçus ici la semaine passée, avec la marraine et le parrain… » Son cœur saute un battement. Il a de la difficulté à rester concentré sur les propos de sa mère. Il la relance pour donner le change, mais n’étire pas la conversation de crainte qu’elle se rende compte de sa distance et l’interprète mal – ou, pire, l’interprète bien.

    Dès qu’il a raccroché, il s’assoit sur son sofa et fixe le vide. D’une certaine manière, ce n’est pas surprenant que sa sœur ne l’ait pas nommé parrain. Artiste, bohème, un brin alcoolique, passant de partenaire en partenaire, Sylvain est irresponsable, le sait et l’assume. Pourtant, il ne peut pas s’empêcher de mal prendre la nouvelle.

    Il espérait que le titre le rapprocherait de sa nièce, lui laisserait l’occasion de jouer un plus grand rôle dans sa vie. Guncle, c’est bien; parrain, c’est mieux. Il lui faudra se reprendre avec les enfants de ses amis, s’ils en veulent toujours et veulent bien de lui.

    Parlant d’eux, ils sont les prochains sur sa liste de retrouvailles. Mais eux, il n’a pas l’habitude de leur parler au téléphone, ni même seul à seul. Pas qu’il soit mal à l’aise de le faire, mais leurs habitudes sont différentes et, en la matière, il tient aux traditions.

    Il convoque donc chez lui pour le vendredi soir de cette semaine-là un souper de ce qu’ils en sont venus, avec le temps, à nommer leur council of daddies. Ils en sont tous en alternance le souverain qui demande conseil et un des conseillers. L’objet des conseils change, mais les fils dont ils jouent les pères sont fréquemment discutés.

    Le couple formé par les deux Nicolas arrive en premier, comme à son habitude. Ceux qu’on appelle « Nick » et « Nico » pour les différencier l’embrassent, déposent leur vin et s’emparent de la cuisine : ils savent qu’il ne cuisine pas et s’en chargent avec joie. Peu après arrive Osman, et longtemps après Yan, retenu au travail comme toujours.

    Ils sont à peine attablés que Yan lance à Sylvain : « Combien de fois tu vas devoir te faire faire le coup pour comprendre qu’il te faut quelqu’un de ton âge pour une relation sérieuse? » « Tout ça me fait surtout me d’mander si je suis pas plus fait pour avoir un enfant que je l’aurais cru. » « T’en as pas déjà à répétition? » lui demande Osman avec un clin d’œil. « Très drôle.

    Je parle d’être père, pour vrai, pas juste daddy. »

    « Moi, juste daddy, ça me va très bien », continue Osman avec un large sourire. « Et moi, j’envisage encore de me faire greffer un utérus pour porter un enfant et l’élever seul. On est indépendant ou on ne l’est pas », enchaine Yan avec sérieux. Le sujet est litigieux pour les Nicolas, dont un veut être père et l’autre non : on réoriente donc vite les échanges.

    Ce soir-là, même après que les derniers rires se sont éteints, Sylvain continue de se sentir bien plus léger qu’avant d’avoir vu ses amis. Même s’il n’est pas libéré de ses questionnements, il est désormais convaincu que s’il cesse de les fuir en rembarquant dans ses habituelles montagnes russes émotionnelles, il saura y trouver des réponses.

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