Mardi, 19 mars 2024
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    Éric Chacour, la révélation littéraire de 2023

    Dans Le Caire des années 1980, Tarek est devenu médecin comme son père, il a marié une femme taillée sur mesure pour lui et il s’est bâti une réputation enviable auprès de sa communauté. Son existence tout entière semblait couler de source… jusqu’à ce qu’un grain de sable surgisse dans l’engrenage. Un grain prenant les traits d’Ali, un jeune homosexuel jouissant d’une liberté qui le renverse. Peu à peu, les deux hommes voient leur vie dérailler à la faveur d’un amour qui consomme tout. Faisant parfois penser à l’impétuosité de Roméo et Juliette, leur relation bouleverse et déroute, nous donnant souvent envie de lancer le livre à bout de bras, avant de courir le récupérer pour en découvrir la suite. Disons-le sans détour : la première publication d’Éric Chacour, Ce que je sais de toi (Alto), est l’un des meilleurs romans des dernières années.

    En écrivant sur leurs amours impossibles, tu abordes la disparité des classes sociales sans détour. Que voulais-tu dire à ce sujet ?
    Éric Chacour : J’aime trouver des oppositions et voir à quel point elles sont surmontables ou non ; m’intéresser à des gens qui n’auraient pas dû se rencontrer et qui peuvent tomber éperdument amoureux et voir comment deux personnes qui font partie de minorités très différentes et très éloignées sont capables de se réunir sur certains points. Au fond, on est toujours attiré par la différence, par ce qui existe chez l’autre et qu’on n’avait jamais imaginé possible chez soi. Selon moi, une partie du coup de foudre chez Tarek vient de la grande liberté chez Ali, qui contraste avec sa vie mise sur des rails et sécurisée de toutes parts.

    Rares sont les histoires d’homosexualité qui sont campées dans la culture arabe. Ressentais-tu une responsabilité particulière en la mettant au monde ?
    Éric Chacour : Je ne me vois pas en porte-parole de quelque chose. Je ne cherche pas à faire évoluer les mentalités ni à insuffler du militantisme dans ce que j’écris. Je n’étais donc pas dans une optique de débroussailler un pan de la littérature qui n’avait pas encore été défloré, en racontant une histoire qui n’avait jamais été racontée. J’étais plus dans une optique de faire naitre de l’émotion. Cela dit, quand on situe un roman dans un contexte qui n’est pas le nôtre, même si j’en suis proche, on a toujours une pression de sonner vrai, de ne pas dire de bêtises, d’avoir des personnages qui résonnent tel que leur époque et leur conditionnement social les feraient résonner.

    Tu es né au Québec et tu as partagé ta vie entre ici et la France. Quel est ton parcours professionnel ?
    Éric Chacour : J’ai étudié en économie appliquée et en relations internationales et je travaille dans les banques depuis une quinzaine d’années. Je sais que ça surprend un peu. J’ai eu la chance et la malchance d’être bon à l’école. On m’a toujours conduit vers les mathématiques, l’économie et mon travail de consultant dans une banque. C’est drôle, parce que mon roman parle justement de quelqu’un qui avait été mis sur des rails, avant qu’une étincelle fasse tout dérailler. Peut-être que c’est ma plus grande proximité avec Tarek. Je suis très heureux avec mon boulot, mais je trouve ça intéressant de se questionner sur ce qui nous ressemble. Cela dit, j’aime bien ces petits déraillements comme la sortie d’un premier roman : cette période un peu charnière d’une vie, quand tu ne sais pas comment les choses vont se passer, mais que tu sais que les choses ne seront plus exactement pareilles.

    Quelle place occupait l’écriture dans ta vie avant de plancher sur ce manuscrit ?
    Éric Chacour : J’ai toujours écrit, mais je n’ai jamais eu le fantasme d’être publié. J’écrivais des poèmes, des nouvelles et plusieurs petites choses. Comme j’avais un esprit qui partait dans tous les sens, c’était une manière de rationaliser ce que je faisais et d’en sortir quelque chose de concret. J’aimais bien la poésie, car c’est un genre très normé. J’appréciais le fait d’avoir des contraintes et d’essayer de faire quelque chose de beau à travers elles. J’avais le sentiment que j’avais une capacité à écrire de jolies choses, mais j’avais un vrai doute sur ma capacité d’écrire une œuvre de longue haleine. Comme dans le sport, les coureurs de fond sont rarement bons dans les sprints. D’ailleurs, ça m’a pris des années pour y arriver.

    Pourquoi avoir campé ton histoire au Caire ?
    Éric Chacour : Mes deux parents sont nés en Égypte. Je trouvais que cette histoire avait plus de force dans ce contexte-là et je désirais mettre en lumière l’Égypte autrement, car on en parle soit pour des mauvaises nouvelles dans les médias occidentaux ou quand il est question des pharaons et des pyramides. Pourtant, il y a quelque chose de fascinant dans ce pays. J’y suis allé une quinzaine de fois. C’est un endroit merveilleux qui est fait de plein de contrastes.

    On peut d’ailleurs dresser un parallèle entre la communauté de ta famille et le Québec.
    Éric Chacour : Ma famille est issue de la communauté levantine, qui ne représente pas l’Égypte rurale majoritaire. Ce sont des gens qui venaient surtout de Syrie et du Liban, avec une tradition francophone et chrétienne : comme une minorité dans la minorité. Je trouvais que cette communauté, qui vivait son déclin à partir de l’époque nassérienne, faisait une très belle toile de fond pour ce projet.

    Comment as-tu fait pour évoquer cette culture et ces lieux avec autant de détails ?
    Éric Chacour : J’ai fait un peu de recherche dans les livres, mais j’ai surtout discuté avec des membres de ma famille et des personnes issues de cette communauté, qui sont venues en très grand nombre à Montréal, quasiment à la même époque. C’était une période très intéressante. Il y avait une espèce de flamme presque occidentale dans un pays oriental et ces gens se voyaient un peu comme un trait d’union entre ces deux mondes.

    INFOS | Ce que je sais de toi, Éric Chacour, Éditions Alto, Montréal, 2023.

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