Mardi, 11 février 2025
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    Du malheur d’être lesbienne en Irak

    Vivre sa sexualité en secret, risquer les foudres de sa famille, défier une société conservatrice et religieuse au sein de laquelle l’homosexualité est une maladie qu’il faut éradiquer, par la loi ou la force. Le site alternatif “Jummar” a recueilli les témoignages glaçants de jeunes lesbiennes irakiennes.

    Rawan, 22 ans, parle de sa sexualité et communique avec ses pairs sur les réseaux sociaux. Elle se crée ainsi une communauté dans laquelle elle a sa place. Dans un pays comme l’Irak, où la société est dominée par l’intolérance religieuse et sectaire, Rawan ne peut en effet pas révéler son identité sexuelle, parce que cela pourrait lui coûter la vie. Pour compliquer encore les choses, elle vit à Kerbala – ville sacrée du chiisme – et appartient à une famille religieuse très stricte.

    En 2016, Safa, 20 ans, de Bassora [dans le sud de l’Irak], était attirée par une camarade de classe, mais elle ne savait pas vraiment ce qui lui arrivait. Elle a compris sa sexualité après avoir fait des recherches, et a parlé de ses sentiments à quelques amis triés sur le volet.

    “Mon père nous menace souvent d’une arme si on fait la moindre erreur ; alors imaginez s’il découvre que sa fille sort avec des filles. Quant à mon frère, il me battrait jusqu’à ce que mes os se brisent s’il l’apprenait. Et ma mère m’enfermerait à double tour et me forcerait à épouser le premier homme qui frapperait à la porte. Toute la société nous considère comme immorales et ma famille fait partie de cette société.”

    Pour Safa, dissimuler sa sexualité n’est pas un choix. Elle presse toutes les filles comme elles de se cacher pour éviter un danger qui pourrait être mortel. Certains jugent que tuer les homosexuels est conforme à la charia [loi islamique].

    Qamar, 18 ans, a grandi dans une famille conservatrice de Bagdad. Elle a commencé à se sentir attirée par les filles à l’âge de 7 ans. À cette époque, elle croyait qu’elle épouserait sa camarade de classe quand elle serait grande. Elle pensait que ses sentiments étaient normaux. Elle a compris qu’il y avait des gens comme elle quand elle a découvert deux filles dans un débarras au collège. “L’État doit reconnaître que nous sommes des personnes normales et mettre en place des lois pour nous protéger et légaliser notre situation”,déclare-t-elle.

    Une déviance à «corriger»
    Non seulement la société qualifie leurs sentiments de “déviants”, mais elle tente aussi de les “rectifier”. Rawan confie :

    “Je reçois constamment des propositions de viol correcteur de la part d’hommes qui me suivent sur les réseaux sociaux.”

    Le viol correcteur, c’est contraindre une lesbienne à avoir un rapport sexuel avec un homme dans l’idée que ça la détournera des femmes et qu’elle s’orientera vers les hommes. “Ils essaient de me violer avec ce prétexte.”

    Le 1er décembre 2022, le religieux chiite Moqtada Al-Sadr a appelé, dans une pétition qui a réuni un million de signatures, à lutter contre l’homosexualité et la communauté LGBTQI par des moyens moraux et religieux. Toujours avec ce ton moralisateur, il affirmait qu’il s’agissait “d’éduquer et de guider” la communauté homo pour la détourner de ses “désirs interdits et du chaos de ses libertés concupiscentes”. Il fallait lutter contre la “calamité” des relations homosexuelles par des “moyens moraux et religieux pacifiques, sans recourir à quelque violence que ce soit”.

    Ce genre d’appel va cependant probablement en pousser certains à exercer des violences physiques et psychologiques contre la communauté homosexuelle, car il légitime le fait que la société détermine ce qui est naturel ou non. Cette croisade autorise en outre chacun à guider et à corriger le sujet “non naturel”par les moyens qu’il juge “appropriés”, que ce soit à la maison, à l’école, dans la rue, dans les commissariats, voire dans les hôpitaux. Ce n’était pas la première fois qu’Al-Sadr faisait de telles déclarations. Le 28 mars 2020, quand la pandémie [de Covid-19] a éclaté en Irak, il avait tweeté que la légalisation du mariage homosexuel en était l’une des causes.

    Ces constantes incitations à la haine font de l’Irak l’un des pays les plus dangereux pour les membres de la communauté LGBTQI. D’après un rapport de Human Rights Watch publié en mars 2022, hommes et femmes homosexuels se font enlever, torturer et tuer par des groupes armés et des individus et sont plus harcelés que protégés par les forces de l’ordre. Si la violence et l’insécurité touchent les Irakiens en général, elles sont exacerbées pour les homosexuels. Même si les rapports sur la question se concentrent sur les hommes, les lesbiennes sont confrontées à des risques similaires, au moins de la part de leur famille.

    La pression de la famille
    La sœur aînée de Qamar a découvert sa sexualité un jour où celle-ci consultait son téléphone. Sa sœur a jeté un coup d’œil et a remarqué des contenus lesbiens. Elle l’a interrogée et Qamar a fini par lui dire la vérité sous la pression. “Ma sœur a choisi de faire comme si ce n’était pas vrai, mais, depuis, nos relations sont glaciales. Je lui ai dit une fois qu’une fille m’avait agressée sexuellement et sa réaction a été de m’interroger sur ma virginité. Puis elle m’a évitée comme si j’avais une maladie.”

    Safa a caché sa sexualité à tout le monde sauf à cinq personnes. Sa sœur, qui en fait partie, la considère maintenant comme “une pécheresse” et lui enjoint souvent de revenir dans le “droit chemin”. Safa a fini par lui raconter qu’elle avait “corrigé” son orientation sexuelle et abandonné les réseaux sociaux de peur qu’elle ne révèle son secret à leur père.

    Meem a terminé des études de communication il y a huit ans et a réussi à atteindre son objectif : travailler dans les médias. Ce qui la fait souffrir, c’est l’insistance de sa famille à vouloir la marier et les limites qu’on pose à sa liberté. Elle confie :

    “Je me fais constamment réprimander parce que je rejette des propositions de mariage, surtout depuis que j’ai eu 30 ans. Je pense à émigrer assez souvent, car partir me semble la seule solution. Si ma famille découvre mon orientation sexuelle, elle me tuera sans sourciller.”

    Meem vit à Babel [près de Kerbala] et ne considère pas son identité sexuelle comme un obstacle tant qu’elle reste cachée. Elle espère quand même que la société et sa famille accepteront son orientation sexuelle et celle des autres lesbiennes.

    «Je ne suis pas malade»
    La situation n’est pas différente au Kurdistan. Yassa, 17 ans, vit à Erbil. Son frère l’a agressée sexuellement quand elle avait 6 ans et cela a duré pendant huit ans. Elle n’a pas osé en parler à ses parents, mais elle a fini par menacer son frère de tout dire.

    “Je méprise les hommes à cause de mon frère et de mon père. Le premier a détruit mon enfance et le second limite mes droits fondamentaux.”

    Ce n’est qu’il y a deux ans qu’elle a découvert qu’il existait des femmes comme elle et que sa sexualité était “naturelle, car tout le monde a le droit de vivre la vie qu’il veut”. Seules certaines de ses camarades de classe connaissent son orientation sexuelle et ce qu’elle a subi. Elle veillera à ce que sa famille n’en sache jamais rien, sinon elle risquera de graves conséquences, le mariage forcé par exemple. Elle aimerait mieux mourir qu’épouser un homme.

    Après des années de violences “disciplinaires”, Bevin, 19 ans, d’Erbil, a décidé de chercher une organisation de défense des homosexuels. Elle n’a pu trouver aucune entité en mesure de l’aider et s’est retrouvée dans la salle d’interrogatoire d’un commissariat. La police l’avait interpellée à un barrage et avait contacté sa famille en raison de son jeune âge.

    Elle nous parle de sa fugue : “Je ne l’avais pas préparée correctement. Quand la police m’a interrogée, j’ai juste dit que j’étais maltraitée et je n’ai pas mentionné ma sexualité. Je savais qu’ils me renverraient à ma famille et que si mon père connaissait ma sexualité, il n’hésiterait pas à me torturer à mort.” Ses parents ont promis à la police de ne plus la brutaliser, mais elle a fait une dépression qui a duré des jours. “Ils ne m’ont plus maltraitée après, parce qu’ils avaient peur que je m’échappe encore et que je leur fasse honte.”

    Sa mère l’a emmenée voir un psychiatre, parce qu’elle pensait que l’orientation sexuelle de sa fille était une maladie curable. Bevin a dit à celui-ci qu’elle était lesbienne dès la première séance. Au bout de plusieurs séances, il lui a diagnostiqué une grave schizophrénie et a attribué son orientation sexuelle à une maladie mentale. Il lui a prescrit des médicaments qui devaient la guérir. Or ceux-ci lui provoquaient une grave hypersomnie et Bevin a dû poursuivre ses études à la maison.

    Au bout de trois ans de traitement, elle a découvert [par hasard sur Internet] que ses médicaments n’étaient que des anaphrodisiaques, des substances qui réduisent le désir sexuel. “Je ne suis pas malade. L’orientation sexuelle lesbienne n’est ni de la dépravation ni une maladie. Le traitement médical n’a rien changé. C’est mon essence et je ne veux pas me forcer à changer pour leur faire plaisir.” Le psychologue Wissam Al-Dhanoun confirme que l’homosexualité est toujours considérée comme une maladie mentale en Irak.

    Aucune protection juridique
    La communauté LGBTQI est confrontée à de nombreux défis juridiques et à une marginalisation que ne connaissent pas les autres segments de la société. Nawras Hussein, une avocate qui milite pour les droits des femmes, confirme que la Constitution irakienne ne comprend pas d’articles garantissant les droits des homosexuels ou protégeant la communauté LGBTQI. “De fait, les mariages entre personnes du même sexe tombent sous le coup de l’article 376 du Code pénal 111 de 1969, qui prévoit que ‘quiconque obtient un certificat de mariage en sachant qu’il est invalide pour quelque raison de droit laïque ou religieux et quiconque délivre un tel certificat en sachant que le mariage est invalide encourt une peine de réclusion criminelle ne pouvant excéder sept ans ou une peine d’emprisonnement’”, explique-t-elle.

    De plus, l’article 401 du même code dispose que “toute personne commettant un acte indécent en public encourt une peine d’emprisonnement de six mois au plus”. Cet article peut être utilisé pour pénaliser les relations homosexuelles, même s’il ne cite pas l’homosexualité masculine ou féminine comme étant un “acte indécent”.

    Sur le plan législatif, les projets de pénalisation de l’homosexualité sont de plus en plus nombreux. En juillet 2022, la Commission des lois du Parlement a annoncé “une proposition de loi visant à pénaliser l’homosexualité en Irak”.

    Certains membres du gouvernement régional du Kurdistan ont présenté au Parlement, en septembre 2022, un projet de loi punissant d’une peine de prison ou d’une amende tout individu ou organisation plaidant pour les droits des LGBTQI. Le texte prévoit en outre la suspension des autorisations des médias et des organisations de la société civile qui “revendiquent des droits pour les homosexuels”.

    Pendant que les blocs politiques cherchent à pénaliser l’homosexualité, Yassa déclare : “Mon aspiration ultime est de vivre sans faire semblant et sans cette peur qui me force à cacher ce que je suis. Tout ce que je veux, c’est vivre tranquillement”, ce qui vaut aussi pour les autres lesbiennes. Nous avons demandé à Qamar ce qui pourrait changer la façon dont la société perçoit les homosexuels. “Je ne pense pas que ça changera jamais, mais si le gouvernement mettait en place des lois pour nous protéger, la société serait obligée d’accepter la différence et ça deviendrait normal.”

    PAR Hanan Salim 

    Lire l’article original sur Jummar (média irakien / en Anglais ou en Arabe)

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