C’est sur cette recommandation proférée par sa mère que le narrateur amorce la rédaction de ses mémoires. Il est cependant bien décidé à ne pas en tenir compte puisque ce projet se veut un exutoire grâce auquel il entend se mettre à nu et se libérer du poids des souvenirs. Une plongée à travers le temps, qui se révèle tout aussi ludique que bouleversante. Daniel Matte n’en est pas à ses premières armes dans le milieu littéraire, mais pendant 20 ans il s’est cantonné à l’envers du décor, à titre d’attaché de presse des grands auteurs qui ont marqué le paysage culturel québécois.
Le roman se présente comme une chronique de ses amours, petites et grandes, mais également de ses plans cul, du début des années 1960 jusqu’à nos jours. Il commence d’ailleurs en coup de poing avec un premier chapitre qui nous expose Marcel, âgé de 18 ans, avec qui il a connu ses premiers émois. Le hic, c’est que nous sommes en 1965 alors que le narrateur n’a que 10 ans.
À l’instar de Jean-Paul Roger, dans son roman L’inévitable, Daniel Matte évoque la confusion des sentiments d’un enfant pour qui la jouissance ressentie ne peut être que la manifestation d’un amour véritable. S’il a éprouvé du plaisir, comment cela peut-il être mal ? Comment pourrait-il même penser à salir ce souvenir fondateur ? Presque amené en catimini, comme s’il ne fallait pas y accorder d’importance, cet événement s’inscrit cependant en filigrane de plusieurs des rencontres suivantes, où il refuse de s’ouvrir pleinement.
Véritable voyage à travers le temps, le passage des décennies est ponctué de rencontres dans les bars, de petites annonces, de sites téléphoniques (Masculigne), d’applications en tout genre ou des hasards de la vie. C’est également la découverte de la sexualité : premiers gestes hésitants puis assumés, p’tites vites, relations stables, les années sida, le vieillissement, etc.
Le narrateur présente, sans fard, le manège de sa vie sexuelle et amoureuse, incluant certaines remises en question brutales (dont une lettre de rupture assassine) au cœur d’un Québec en pleine mutation. « Nous devions nous inventer un futur, descendre dans la rue pour revendiquer nos droits, pour exister. »
Le cœur émotionnel du récit se situe cependant autour de Laurent, avec qui il vit une relation qu’il présente comme purement amicale, alors même qu’il ressent dès le départ une fascination à son endroit. Empreinte de tendresse et de fragilité, et révélatrice d’une crainte de se donner, elle donne lieu à des passages bouleversants qui ne laisseront personne indifférent. Sans verser dans le règlement de compte, le roman se termine comme il a commencé, par une évocation de l’élusif Marcel, au cœur d’une missive par laquelle il reprend possession de son passé.
Une écriture maitrisée où la banalité du quotidien s’inscrit à travers la chronique d’une époque et d’un homme qui se cherche et se découvre. Habité de nombreux éléments autobiographiques, difficile de trancher entre ce qui relève de la fiction et de la réalité. Ce livre demeure cependant une œuvre forte, à la fois amusante, émouvante, voire parfois déchirante.
INFOS | Mets pas trop de sexe dans ton livre / Daniel Matte. La Malbaie : Éditions Charlevoix, 2023, 163 p.