Jeudi, 28 mars 2024
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    SONNY ISSUES : Obligations familiales

    La réorientation de la conversation de leur groupe d’amis – au souper de la semaine précédente où Sylvain leur confiait son désir de paternité – a évité de réveiller ce volcan tranquille que constitue la question familiale pour le couple de Nick et de Nico. Car Nick veut des enfants, mais Nico n’en veut pas. Le problème de leurs désirs contradictoires est connu depuis longtemps, mais ils n’ont pu le régler qu’en en faisant un tabou. Or, comme tout tabou, il ne fonctionne que s’il est ignoré. «Ne jamais sous- estimer le pouvoir du déni», se dit Nico en se rappelant cette charmante réplique du film American beauty qui l’avait tant marqué… et dont il espère que son copain suivra la règle.

    Nick semble savoir quoi faire pour éviter de trop remarquer le tic-tac de son horloge biologique. D’abord, il évite ces balades dans les parcs de leur quartier auxquelles il s’adonne parfois pour réfléchir et qui lui font inévitablement croiser des mères et leurs enfants. Ensuite, il se retire rapidement des discussions de ses collègues comptables à propos de leur famille. Enfin, il diminue même sa consommation de télévision pour moins risquer d’être exposé à des bébés. Mais peut-être est-ce justement à cause de ces efforts – qu’il est conscient de faire même s’ils visent à garder dans son inconscient le sujet même auquel il cherche à éviter de penser – qu’il finit par exploser. Un soir qu’ils se promènent dans la rue et croisent une femme en train de pousser un landau, Nick dit à Nico : «Est-ce que tu as eu l’occasion de repenser à ta volonté d’avoir des enfants, donc?» La main de Nico se raidit aussitôt dans la sienne. Une partie de lui se sent coupable d’avoir poussé leur conversation dans cette voie, mais une autre se dit que c’était nécessaire qu’il crève cet abcès qui gonflait depuis trop longtemps déjà. «Il faudrait plutôt dire que j’ai repensé à ma volonté de ne pas avoir d’enfants.

    Et je l’ai confirmée.» Nick se rembrunit et poursuit : «Tu as peut-être l’impression qu’on devrait se diviser toutes les tâches également, étant donné qu’on serait deux pères, et que chacun devrait donc à moitié faire le rôle de la mère… mais évidemment, je prendrais plus de responsabilités, comme c’est surtout moi qui en veux.» «Comme c’est seulement toi qui en veux», le corrige encore Nico. «D’accord : comme c’est seulement moi qui en veux. Tu peux même être aussi peu participatif à la parentalité que les pères distants d’autrefois. Même pas besoin de prendre de congé de paternité, écoute! Tant que tu leur offres une figure de père présent et – minimalement – aimant, ce sera assez pour moi.»

    «Leur? Parce que tu es rendu à vouloir plus qu’un enfant, maintenant?» «Commençons par un, se rétracte Nick, et on verra à partir de là. Un, ce serait déjà bien, oui. Je suppose que ça assouvirait mon instinct paternel…» Nico secoue la tête et lance un sonore : «“Instinct”, mon cul… S’il y en a un, c’est peut-être chez les femmes, et encore là, j’y crois à moitié…» Son éclat a fait se retourner une ainée qui passait près d’eux et les regarde avec un air scandalisé. Nick indiquerait bien à son chum de baisser le ton, mais il se voit mal intervenir alors que lui-même s’échauffe. «Ah! parce que les hommes ont juste l’instinct de reproduction, mais pas celui de parentalité, c’est ça?» «Mon avis, c’est qu’aucun humain n’est tant que ça asservi à l’instinct. C’est une mauvaise excuse qu’on se donne pour beaucoup de choses, que ce soit le fait de baiser ou de fonder une famille. Tout ça, ça répond surtout à des pressions culturelles.»

    «D’accord, je vois. Donc c’est seulement la peer pressure qui me donne envie d’avoir des enfants. Se sentir obligé de boire ou de fumer du pot entre amis dans un sous-sol à l’adolescence et se sentir obligé de traverser tout le processus d’adoption ou de procréation par mère porteuse : même combat, vraiment!» Nico lève les yeux au ciel et réplique : «Tu débats apparemment comme si tu étais encore un adolescent dans ton sous-sol de région, oui! Je n’ai pas dit que c’était exactement la même chose. Évidemment, il y a des degrés différents. C’est beaucoup moins direct et évident. Mais oui, je pense que ta volonté de famille est liée au fait que tu as beaucoup plus d’amis hétéros que moi, donc que tu vois beaucoup plus de familles que moi. Tes propres parents ont plus d’attentes à ce sujet que les miens. C’est normal que tu réagisses plus à l’hétéronormativité…»

    C’en est trop pour Nick, qui éclate : «Lâche-moi les grands termes boboches de sociologie, veux-tu! J’ai fait des défilés de la Fierté très légèrement vêtu et j’ai participé à des orgies plus souvent qu’à mon tour : pour l’hétéronormativité, on repassera. S’il y a une personne qui se laisse trop influencer par son milieu, c’est plus toi et l’hyperindividualisme de la grand’ville où tu as grandi – tu vois, je suis capable de sortir les grands mots, moi aussi, quand je veux! “Après nous, le déluge”, ou quelque chose du genre? Tu es surement incapable de t’imaginer une descendance?» «Je dois avouer que je trouve ça un peu irresponsable, de penser à avoir des enfants dans le monde actuel, avec la crise environnementale, les incertitudes politiques, etc.» Nick laisse fuser un rire sec. «Non seulement Monsieur est à l’avant-garde des luttes queers en ayant dépassé l’hétéronormativité, mais il agit par éthique en voulant éviter de perpétuer une humanité vouée à souffrir!

    C’est trop de charité, vraiment!» Nicolas claque la langue. «Si tu es pour tourner en ridicule tout ce que je dis…» «Je n’ai pas besoin de le ridiculiser : c’est déjà ridicule dès que ça sort de ta bouche.» «Chose certaine, c’est pas comme ça que tu vas me convaincre de devenir père.» Et il accélère le pas, laissant derrière lui un Nick qui se reproche de ne pas avoir su être plus diplomate.

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