Dimanche, 27 avril 2025
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    Patricia Chica, Montréal Girls : voir sa ville et la culture queer, autrement

    De Montréal à Los Angeles, la cinéaste d’origine salvadorienne Patricia Chica roule sa bosse depuis plusieurs décennies dans le milieu du cinéma. De Ceramic Tango (2013) à Morning After (2017), ses courts-métrages flirtent avec le queer dans la métropole.

    Fidèle à sa signature, la diplômée en cinéma de l’Université Concordia ayant grandi à Montréal signe, avec Montréal Girls, un premier long métrage de fiction qui s’intéresse à ses sujets de prédilection et dont le scénario fut sélectionné parmi les dix projets du TIFF (Toronto nternational Film Festival) Filmmaker Lab en 2018. Récipiendaire du meilleur long métrage au Los Angeles International Film Festival en 2022, le film met en scène Ramy (Hakim Brahimi, premier grand rôle au cinéma), jeune étudiant du Moyen-Orient qui vient étudier la médecine à Montréal et qui tombe en amour avec la ville, la poésie et ses muses. Entrevue avec la très articulée et la très occupée Patricia Chica au sujet de son film, à quelques jours de sa première montréalaise.

    Tu es tout juste de retour du Marché du film à Cannes, où tu as présenté Montréal Girls.Comment ça s’est passé ?
    Patricia Chica : Je suis revenue hier soir. La réception était excellente, j’ai eu de bons feedbacks ! Le but de cette projection était de vendre le film à l’international. Nous le saurons dans les prochaines semaines, mais plusieurs sont intéressés. Demain, je m’en vais à Los Angeles pour la sortie du film aux États-Unis et nous aurons un Q&A après la projection et un party avec le distributeur et les acteurs. Je reviens le 9 juin, pour le présenter à Montréal, au Cinéma du Parc.

    Justement, dans Montréal Girls, la métropole y occupe une place de choix. La ville est mise en valeur avec ses rues, ses ruelles, son architecture, ses parcs, avec de superbes vues du Mont-Royal. Le tout ressemble à une lettre d’amour à Montréal, ville où tu as grandi. Tu as tout à fait raison ! Quand je suis déménagée à Los Angeles en 2014, Montréal me manquait terriblement. Avec mon voisin et ami Kamal John Iskander, qui est égyptien américain, on a commencé à parler de Montréal et d’un film ayant pour sujet un jeune homme du Moyen-Orient qui vient y étudier… Lorsque tu parles d’une lettre d’amour à Montréal, c’est un peu mon regard à travers le regard de l’immigrant qui arrive ici, avec toute sa curiosité, sa perspective, son sens de la découverte et de l’émerveillement. Montrer les détails de la ville qu’on prend pour acquis, comme les écureuils, les ruelles, les escaliers en colimaçon, c’est typique de Montréal et c’est fait à travers le regard de l’émerveillement, celui de Ramy, car il vient d’un pays qui est complètement différent. C’est ce regard de la première fois que j’ai demandé à mon incroyable directeur photo, Alexandre Buissières, d’adopter.

    Montréal Girls explore, à travers un passage à l’âge adulte, les sous-cultures underground de la ville, des désirs sexuels et artistiques inexplorés. Désirais-tu briser certains tabous avec l’exploration du multiculturalisme et du queerness ?
    Patricia Chica : Mon intention était d’être authentique à moi-même. De me sentir libre comme cinéaste et que mes personnages soient libres de s’exprimer, que ce soit sexuellement, artistiquement ou par leur sentiment d’appartenance à une sous-culture. En ce qui concerne les deux filles du film, les « Montréal Girls », je ne prétends aucunement représenter toutes les filles de Montréal, ou toutes les « Montréal Girls » qui existent… ce sont deux femmes de Montréal qui représentent cet univers qui bouscule Ramy dans sa perception d’ouverture d’esprit, car il est dans une culture de restrictions, dans une cage où tout est dirigé pour lui, alors qu’il arrive dans un lieu où tout est permis, sans limites et tabous ; c’est très déstabilisant pour un jeune vierge du Moyen-Orient.

    Comme dans la plupart de tes films, Montréal Girls met en scène le caractère bilingue de la ville et de ses habitants et leur métissage. Ça semble être une caractéristique importante, une signature de ton cinéma. Je pense que Montréal Girls va bousculer le public québécois de souche, francophone, habitué du cinéma québécois, parce que la perspective du film n’est pas celle d’un Québécois. Les gens me demandent pourquoi j’ai fait le film en anglais et la seule raison — et la plus évidente — est parce que c’est un immigrant qui ne parle pas français et puisque c’est son point de vue à lui, les gens vont communiquer avec lui en anglais. Mais plusieurs personnages, Félix, Étienne, parlent en français entre eux et l’authenticité de cette diversité montréalaise était importante pour moi. J’aimerais souligner que dans l’équipe technique, au même titre que dans le casting, il y a beaucoup de personnes queers, dont Jade Hassouné qui a notamment été juge invité sur Canada’s Drag Race et qui est connu pour les rôles de Meliorn dans la série télévisée américaine Shadowhunters et de Prince Ahmed Al Saeed dans la série canadienne Heartland. Je veux travailler avec des personnes queers, mon écosystème est entouré de gens queers, c’est important pour moi ! Parlant diversité, je me souviens avoir visité le plateau de ton film Morning After en 2017. Nous avions discuté de la sexualité fluide, un sujet récurrent dans tes films. Aujourd’hui, c’est plus que jamais d’actualité dans le discours populaire.

    As-tu l’impression d’avoir été parmi les premières, ou du moins une des rares, à traiter de ce sujet au Québec ?
    Patricia Chica : Oui et je m’en suis rendu compte en 2017 en présentant Morning After à Cannes, dans une section parallèle. Le magazine LGBT The Advocate m’a interviewée à ce sujet et ça a créé une controverse auprès de la communauté : il y avait des hommes gais à l’encontre de mon discours sur la sexualité fluide, d’autres faisaient du bashing sur mon Facebook en disant que les labels étaient importants et, d’un autre côté, plein de gens disaient : « Enfin quelqu’un en parle et met les mots sur ce que c’est ! » Et, dans un sens, tous ont raison, c’est ce qui fait la belle diversité de la communauté… À un point où The Advocate m’a contactée en disant que c’était l’article ayant reçu le plus de trafic et de commentaires dans l’histoire récente du magazine ! Au final, ça n’a fait que me donner la validation que mon film avait une pertinence, car ça déclenchait une réflexion et même un débat qui n’existait pas vraiment.

    Quels sont les ingrédients pour continuer de traiter d’un sujet qui nous passionne en tant qu’artistes, tout en évitant de se répéter ?
    Patricia Chica : Que mes personnages, et surtout mes personnages féminins, soient en contrôle de leur sexualité, peu importe comment elle se définit. Si tu veux être avec l’une ou avec l’autre, ou avec plusieurs, tant que c’est fait d’une façon respectueuse, avec le consentement de chacun et que ça t’épanouit, c’est une sexualité positive. Et c’est ça que je veux qui soit reflété dans mes films, à travers mes personnages, sans que ce soit nommé, car ça fait partie d’eux, de qui ils sont, de leur essence.


    Comme plusieurs de tes films précédents, tu assumes plusieurs rôles : réalisation, coscénarisation (avec Kamal John Iskander), production, montage.
    Patricia Chica : J’ai monté le film toute seule, chez-moi, sans équipe de postproduction, dû aux restrictions de la pandémie. J’ai tout fait de A à Z, à temps plein, je faisais des nuits blanches, je m’évadais dans le montage. Ça m’a permis d’expérimenter et de trouver une résilience par rapport à moi-même en ayant cette proximité avec mes personnages, je vivais avec eux. Ça m’a permis de trouver la paix avec mes parents, qui étaient très stricts et conventionnels, et qui ont inspiré le personnage du père de Ramy dans le film. Pour moi, ça a été une guérison : arrivée du Salvador comme enfant réfugiée de guerre, j’ai grandi à Montréal dans une famille salvadorienne très homophobe et ça m’a traumatisée : mon père s’assumait homophobe. Quand j’ai commencé à aller à l’Université Concordia en cinéma, dans mon cercle d’ami.e.s j’étais attirée par les gens queers parce que je me sentais comme eux, j’avais des affinités, mais il y avait toujours une dissonance cognitive de ma part, une ambivalence, car c’est comme si j’étais en train de « pécher », ou d’aller à l’encontre des conventions familiales…

    Toutes ces contraintes de mon coming of age où je n’avais pas le droit de m’exprimer ont servi à raconter cette histoire à travers Ramy et j’espère que ça pourra aider d’autres personnes qui sont dans la même situation, surtout celles issues de l’immigration avec des cultures très conservatrices, à s’épanouir et trouver leur propre voix. C’est, au final, très personnel et autobiographique comme film.

    Puisque tu as enseigné le Chi Energy et la direction d’acteurs à l’INIS, un conseil pour de jeunes queers qui veulent se lancer en cinéma ?
    Patricia Chica : Soyez vous-mêmes sincères et honnêtes. N’essayez pas de raconter une histoire qui ne vous appartient pas. Soyez toujours dans l’authenticité, car c’est ce qui va résonner avec le cœur des spectateurs.


    INFOS | À la suite de la première montréalaise de Montréal Girls qui avait lieu le 9 juin au Cinéma du Parc, le film est maintenant disponible : https://www.montrealgirlsmovie.com

    Pour plus d’informations sur le Chi Energy de Patricia Chica : https://www.thechicamethod.com

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