En ce mois de juillet, je célèbre une date charnière avec vous. Voilà maintenant 15 ans que j’écris pour Fugues ! Retour sur le processus et certaines personnes marquantes que j’ai eu le plaisir d’interviewer. Champagne !
Le journaliste doit avant tout mettre les autres de l’avant, les gens qu’il interviewe et leurs initiatives, pour informer le lecteur ou la lectrice. Terminé le cours de journalisme. Puis, vous me dites : oui, mais tu parles de toi, là ! En effet, la chronique (« Où sont les lesbiennes ? », que j’écris depuis janvier 2017) diffère de l’article journalistique dans la mesure où elle met de l’avant l’opinion d’un chroniqueur, alors que l’article journalistique « tente » de demeurer le plus neutre possible, bien que l’objectivité pure n’existe pas.
À savoir que je n’étais pas formée comme journaliste à la base. J’ai appris sur le terrain. Je venais de terminer ma maitrise sur le cinéma LGBT et un stage à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, où j’avais travaillé sur le rapport de consultation intitulé « De l’égalité juridique à l’égalité sociale. Vers une stratégie nationale de lutte contre l’homophobie ». J’avais fait du journalisme à l’Université pour le Concordia français et une de mes critiques avait été publiée dans La Presse pour un concours sur les Oscars… (Big Break !) Après avoir écrit un article pour les auditions de la chorale Extravaganza, pour laquelle j’étais choriste, mon premier « brief » sera une entrevue avec la DJ new-yorkaise Susan Morabito. C’était en 2008. MySpace était LA plateforme musicale de l’heure… Cette année-là, j’ai aussi eu l’occasion d’interviewer la grande Nicole Brossard. Je me souviens avoir été conquise par la plume de la poète, mais également par ses dires. Près de 15 ans plus tard, j’aurai la chance de l’interviewer à nouveau. Le destin.
Mes coups de cœur en 15 ans ? Difficile de n’en choisir que quelques-uns… J’ai interviewé une bonne partie de la communauté montréalaise, notamment dans le contexte de la section « Inter-vues », qui posait un regard sur des femmes impliquées dans la communauté : dès ma première année, en 2008, j’interviewe les Nathalie Di Palma, Diane Heffernan, Franklyne, Karol O’Brien, Charlie Boudreau et j’en passe. Aussi, au cours des années 2010 à 2017, je m’occuperai de la section Buzz sur le Web, sorte de mélange entre la revue de littérature LGBT sur le Web et la chronique. Sinon, j’ai été particulièrement marquée par un Américain qui a changé la « couleur » du militantisme avec son drapeau arc-en-ciel : Gilbert Baker. J’ai eu l’occasion de l’interviewer en 2013, près de six ans avant son décès, et son tempérament bien trempé n’avait d’égal que la couleur de ses créations. En termes de coup de cœur musical, j’ai été « flabbergastée » par Melissa Etheridge, que j’ai eu le plaisir d’interviewer pour son passage au Festival international de jazz de Montréal en 2017… On craint souvent l’égo démesuré des grandes vedettes, mais ce n’était vraiment pas le cas de Melissa, qui fut humble et généreuse de son temps (en général, ces vedettes ne vous accordent que 15 minutes de leur temps). Cela dit, bien préparé, vous pouvez faire dire beaucoup à une vedette en 15 minutes, pour autant qu’elle soit articulée dans son discours : pour ma part, la palme revient à Tegan du groupe Tegan et Sara en 2013.
Parmi mes entrevues les plus stressantes, mentionnons celle de Mika. Avec un an d’expérience en poche, j’étais allée à la session d’écoute de son nouvel album We Are Golden qui se déroulait à l’Auberge Saint-Gabriel avec tout le gratin journalistique montréalais : au menu, l’attachée de presse qui me mentionnait incessamment (et uniquement à moi, non pas aux autres quotidiens généralistes) de ne pas aborder la vie privée de Mika (lire : son homosexualité dans le placard). C’était en 2009, quelques années avant que Mika ne fasse son coming out, puis la couverture du Fugues en 2011.
Autre entrevue stressante : le chanteur Nicola Sirkis du groupe français Indochine. Vous savez, on ne choisit pas la plage horaire avec les vedettes. Je devais donc effectuer mon entrevue (je n’avais pas de cellulaire à l’époque, en 2013) et par la suite courir pour donner mon cours de cinéma au centre-ville. Tout ça, avec mon ex derrière l’épaule qui écoutait admirativement, en pleurant de joie d’entendre la voix de son idole de jeunesse. J’étais dans le même état que mon ex quand j’ai interviewé une de mes idoles, la chanteuse britannique Joss Stone. C’était en 2015, en personne, à Radio-Canada ; elle est sortie tout sourire en pantoufles avec son thé au miel. C’est là que j’ai fondu, en avouant que j’avais amené quelques-uns de ses albums (toute sa discographie, en fait !), qu’elle m’a gentiment dédicacés au terme de notre rencontre d’une quarantaine de minutes. Y’a fallu que je me pince ! Expérience similaire pour Samantha Fox. C’était étrange d’interviewer cette icône ; au primaire, je faisais du lip-sync et des chorégraphiques sur ses chansons (je n’y comprenais pas un mot) sans me douter qu’un jour j’allais l’interviewer pour discuter de la diversité sexuelle en prévision de son spectacle de la Fierté à Montréal ! Au-delà des personnes, il y a les initiatives de la communauté. J’ai eu des coups de cœur pour plusieurs et au cours de la décennie 2010 jusqu’à aujourd’hui, j’ai suivi sans relâche la Journée de visibilité lesbienne.
Bien qu’on travaille à la pige, en 15 ans, on crée des liens avec nos collègues : Yves, Denis-Daniel, André, Patrick, Serge, Marc, Luc-Alexandre, c’est toujours un plaisir de vous croiser dans les partys du Fugues. Il y a aussi ceux qui nous ont quittés, je pense à Michel Johanny Furtin, qui m’a beaucoup appris au fil des ans. Apprendre, c’est vraiment ce que j’aime du métier de journaliste. J’ai beaucoup appris sur la communauté LGBTQ+ d’ici et d’ailleurs. J’ai aussi eu l’occasion de constater les avancées sociopolitiques en lien avec l’homosexualité, au fil du temps, même si plusieurs combats ne sont pas terminés. Mon entrevue avec Michael Hendrix et René Leboeuf fut marquante. Non seulement parce que le parcours de ces deux militants est émotivement chargé d’histoire(s), mais également parce que c’était ma mère qui, dans l’exercice de ses fonctions, les a unis au Palais de justice de Montréal, en 2004, officialisant ainsi le premier mariage gai au Québec. Avoir l’occasion de souligner ce devoir de mémoire, dix ans plus tard dans Fugues, fut pour moi un signe du destin. J’étais au bon endroit et mes mots avaient le pouvoir de mettre en lumière des personnes exceptionnelles, mais aussi certains maux sociaux. C’est aussi ça, le journalisme : éveiller les consciences. Cela dit, c’est impossible sans la curiosité des lecteurs et lectrices. Bref, la journaliste, comme la chroniqueure, n’est rien sans vous qui lisez ces lignes. Et c’est toujours un plaisir de lire vos commentaires. Je trinque à votre santé, en profitant du soleil d’été !