Il y a quelque chose dans l’air. Une impression d’urgence. Le sentiment qu’il est nécessaire, plus que jamais, de défendre les droits LGBTQ+. Lorsque je pense au défilé annulé à l’été 2022, au Village dont la situation déjà difficile ne cesse de se complexifier depuis la pandémie, à la tuerie dans un bar queer de Colorado Springs en novembre dernier, aux attaques frontales contre les drags et les communautés trans, quelque chose me dit que la prochaine édition de Fierté Montréal est peut-être la plus importante de ma vie.
Je suis conscient que des combats majeurs ont été menés dans le passé. À l’époque où les droits de la diversité sexuelle et de la pluralité de genres étaient inexistants. Quand le VIH détruisait nos communautés dans l’indifférence du reste de la population. Lorsque la police faisait des descentes dans les bars queers pour humilier, arrêter et brutaliser les nôtres. Sans oublier tous les efforts déployés pour légaliser le mariage entre personnes de même sexe et l’adoption par des parents de même sexe. Je connais notre histoire, mais je n’étais pas au cœur de l’action.
J’ai grandi en Abitibi-Témiscamingue, avant d’étudier au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Longtemps, ma connaissance de la Pride se résumait aux images que les médias hétéronormatifs choisissaient de projeter. J’étais trop gêné pour regarder le défilé durant ces années-là, de peur d’être associé aux personnes qui y marchaient. Je me contentais des reportages télé et des articles dans les journaux qui mettaient de l’avant les aspects sensationnels, dénudés et extravagants, sans me douter de la présence de groupes communautaires, sportifs et culturels.
Pendant au moins 25 ans, je correspondais au cliché du gai inconscient de son homophobie intériorisée : je condamnais les queers qui exhibaient leur corps, je condamnais les queers qui ne semblaient vouloir rien d’autre que de faire la fête et je condamnais les queers qui s’éloignaient trop des normes. Aujourd’hui, j’ai honte de mes anciennes perceptions. Je comprends de quel milieu je suis issu et de quelle façon ma vision s’est construite. N’empêche, j’ai honte d’avoir été cette personne queer qui ne veut pas déranger, qui ne veut pas donner de munitions aux hétéros-cis et qui se vautre dans les clichés puritains de honte du corps, de sex shaming et tant d’autres horreurs.
Un jour, j’ai compris qu’on pouvait festoyer et revendiquer en même temps. J’ai compris que le corps ne doit pas être caché. J’ai compris que le défilé est un geste symbolique pour nous qui avons la liberté d’être, en considérant les millions de queers à travers le monde qui ne peuvent en faire autant. J’ai participé à certains défilés, sillonné la Sainte-Catherine durant les Journées communautaires, assisté à d’innombrables spectacles et activités. Même si je gardais en tête la fragilité de nos droits, je pensais naïvement que la phrase « rien n’est jamais vraiment acquis » n’était rien d’autre qu’un
rappel prudent qui ne se concrétiserait jamais.
Malheureusement, j’avais tort… Au cours de la dernière année, des États américains ont banni les spectacles de drags. Des plumes québécoises ont fait déferler les raccourcis intellectuels à propos de l’identité de genre en rédigeant des chroniques dans un journal lu par des centaines de milliers de personnes. Des enfants trans peuvent être retiré.e.s de leurs foyers par les autorités floridiennes si leurs parents les soutiennent dans leur transition.
Au Canada et aux États-Unis, des personnes ont pris des heures de leur vie pour manifester contre la lecture d’histoires prônant l’ouverture et la tolérance faite par des drag queens qui adaptent leurs démarches au public jeunesse. D’autres ont craché leur ignorance sur les médias sociaux en exprimant quantité d’arguments vides dénotant leur homophobie, leur incohérence et leur conservatisme, sous le couvert de la « protection » des enfants. Certaines écoles américaines ne peuvent plus transmettre d’informations sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, ni même répondre aux questions de leurs élèves en plein développement.
De mon côté, je partage un mélange d’informations et de coups de gueule favorables aux communautés queers sur les réseaux sociaux. J’organise des spectacles réunissant des artistes LGBTQ+ pour amplifier leurs voix. J’essaie de conscientiser et d’ouvrir les esprits des hétéros-cis – et des queers faisant preuve de fermeture – dès que j’en ai l’occasion. Mais ce n’est pas suffisant.
Je veux plus que jamais démontrer mon soutien aux revendications queers en prenant part aux différents événements de Fierté Montréal : spectacles, conférences, activités, défilé. Bien sûr que j’ai été outré par l’annulation du défilé en 2022 et que j’ai remis en question les compétences de l’organisation, mais au lieu de péter un câble sur Instagram et Facebook dès qu’elle publiait une information, j’ai décidé de pardonner, de rester à l’affût et de faire confiance. Nous ne pouvons pas faire autrement. Les personnes queers n’ont pas le luxe de la rancœur intracommunautaire. Nous devons nous serrer les coudes et aller au front, tant pour protéger le Village (même s’il n’est plus le seul quartier où nous pouvons être nous-mêmes) que pour protéger nos droits si chèrement obtenus contre toute la dérive de la droite.