Les festivals d’Avignon, le IN et le OFF (dans le Sud de la France) relèvent d’une immense fête du théâtre. La ville close devient une immense scène où même dans les ruelles les plus reculées et confidentielles, il y a un spectacle qui se donne. La foule est là, des passionné.e.s, forcément. Il faudrait se détripler et encore pour pouvoir assister à même pas un quart des spectacles proposés. La programmation du OFF est une véritable brique, et le choix est donc difficile compte tenu du nombre de spectacles à voir par jour, au risque de frôler une overdose.
Le choix s’imposait de voir au moins une ou des pièces québécoises présentées à un public majoritairement français. Pour la troisième année consécutive, la compagnie Naceo proposait Tom à la ferme de Michel Marc Bouchard et présentait dans la foulée, Les feluettes ou la répétition d’un drame romantique, qui est malheureusement moins souvent joué, en tout cas au Québec. Le défi est de taille puisque cette pièce mythique du dramaturge québécois nécessite 9 comédiens devant évoluer sur dans une salle minuscule d’une cinquantaine de places en tout. Mais c’est tout l’art du théâtre de pouvoir faire beaucoup avec peu, entendre ici une minuscule scène, un décor minimaliste. D’autant que l’action se déroule dans deux époques différentes et doit évoquer plusieurs lieux successifs.
Le texte du dramaturge aidé par la mise en scène d’Olivier Sanquer n’a rien perdu de sa force, ni de son charme. On reste toujours fasciné par cette répétition de ce drame qui se situe dans une prison où tous les personnages sont joués par des hommes. On ne peut rester insensible à l’évocation de cette histoire d’amour contrariée de deux adolescents que tout oppose. Et si l’on se retrouve au début du XXe siècle dans une région à l’époque reculée du Québec, où la religion tient de cadre social définissant les rôles de chacun, on ne peut pas entendre les échos avec ce que nous vivons aujourd’hui. Les différences culturelles et sociales, le poids des idéologies, ici religieuse, mais aussi notre besoin d’espoir et peut-être d’amour. L’une des plus belles trouvailles de Michel Marc Bouchard dans cette allégorie de l’amour demeure le personnage de la Comtesse de Tilly, aristocrate française et oubliée dans ce coin du monde. Entre le monde qu’elle s’invente consciemment ou non, on ne sait, elle est la lumière qui s’oppose aux ténèbres dans lesquels sont enfermés les autres personnages.
Olivier Sanquer a su se jouer des contraintes imposées par le lieu pour laisser toute la place au pouvoir des mots du dramaturge dans l’évocation de ce drame, et recréant aussi bien l’univers carcéral, que les scènes plus intimistes entre les deux adolescents répétant Le Martyre de Saint Sébastien de Gabriele d’Annunzio ou encore le grenier où ils se cachent pour abriter leur amour naissant. Un tour de force s’il en est pour les 9 comédiens et dont on retiendra le nom de Geoffroy Mathieu qui a su se glisser dans la peau de la Comtesse de Tilly, avec les excès et les retenues que demandaient un tel rôle, pour en faire ressortir toute la complexité et lui garder son mystère.
On aimerait que Les feluettes soient montées de nouveau au Québec, et pas uniquement sous forme d’opéra ou de films. Il y a quelque chose qui a tout à voir avec la beauté, la pureté et l’espérance dans ce Roméo et Juliette québécois.
Mais aussi…
La pièce Tom à la ferme connaît un succès mondial. Elle est traduite et jouée partout dans le monde. Elle connaît aussi un succès en France. Au festival d’Avignon Off, une autre compagnie la présentait dans une mise en scène de Vincent Marbeau de la compagnie Factory (La).
Festival d’Avignon, côté In
L’un des moments les plus attendus du festival était Extinction d’après Thomas Bernhard monté par un metteur en scène considéré comme l’enfant terrible du théâtre français : Julien Gosselin. Une pièce en trois tableaux d’environ 5 heures. Pour ceux qui ne connaissent ni l’oeuvre, ni le nom de Thomas Bernhard, peut-être est-il utile de rappeler que l’auteur autrichien a été un des critiques les plus virulents de la société autrichienne et par extension de nos sociétés, et à cultiver à travers ses écrits son dégoût du genre humain, dans lequel il s’incluait d’ailleurs. La fin du monde pour l’écrivain était pour tout à l’heure. Elle est sans doute aussi pour Julien Gosselin qui tente avec force et parfois génie de nous sortir de notre torpeur consciente, certes, mais mièvre. Le théâtre devient alors le lieu de tous les possibles, et surtout celui vient nous ébranler, nous énerver aussi. On n’aime pas toujours le miroir que l’on nous tend. Le premier tableau surprend avec sur scène des spectacteurs-trices qui s’agitent au son de la musique techno de deux DJ. En pleine face, comment nous tentons d’échapper artificiellement, drogues en sus, à notre réalité.
Le second tableau se situe dans la Vienne du début du XXe siècle, où des bourgeois et intellectuels tentent de combler par des discussions oiseuses et par le sexe leur vide existentiel. Les comédien.ne.s s’agitent derrière le décor, la façade de la maison, une barrière entre la scène et le spectateur. La vidéo permet de franchir cette barrière, et le public n’en est que plus voyeur. Enfin, dans un troisième tableau, seule en scène, une femme dit le texte de Thomas Bernhard, un manifeste autant politique qu’intime, un énorme cri, un vômissement sans fin de la souffrance et de l’impossibilité d’y échapper. Il n’y aura aucune rédemption. Un monologue magistralement incarné par la comédienne allemand Rosa Lembeck. Le metteur en scène Julien Gosselin fait feu de tous les registres du théâtre et de ses codes pour secouer notre confort lénifiant.
Mais aussi…
Très bel exercice de style que ce Baldwin and Buckley at Cambridge présenté dans le cadre du festival In. En 1965, l’écrivain James Baldwin et le conservateur William F. Buckley Jr. sont invités par l’Amicale des étudiants de Cambridge à débattre autour de cette question : Le rêve américain n’existe-t-il qu’aux dépens du Noir américain ? Les deux argumentaires ont été conservés ce qui a donné l’idée à Greig Sergeant de faire revivre cet échange sur scène dans une mise en scène de John Collins. Pour rester au plus près du débat original, deux pupitres se faisant face, placés dans deux coins de la scène comme sur un ring. Bien sûr, les arguments de Baldwin font mouche et ne peuvent éveiller que les questionnements que nous pouvons avoir aujourd’hui sur les minorités visibles, les nouvelles formes d’esclavage et de comprendre si ce n’était déjà fait que le rêve américain, ou encore le rêve occidental, ne s’est construit que sur le racisme et l’exploitation de la force de travail des colonisé.e.s.