Juste à temps pour la rentrée des classes, je me disais qu’il pourrait être pertinent de revisiter certains mots. Du moins, le mot en L… Comme nous en sommes à une époque où l’écrit s’effrite et le parler se conjugue aux non-dits, certaines définitions deviennent troublantes.
Pour la « leçon » d’aujourd’hui, j’avais l’intention de m’attarder au mot en L… Vous aviez deviné : The L Word ! Mais dans la langue de Molière. Définissons « Lesbienne ». En fait, demandons à ChatGPT de le définir… Et là, je vous entends rire en disant : tout le monde sait définir le mot lesbienne, pas besoin de demander à ChatGPT. Vraiment ? Pourtant, une « nouvelle » définition du terme lesbienne, sortie en juin dernier par des universitaires supposément érudits de l’Université Johns Hopkins, fut pour le moins critiquée. Et pour cause, l’école d’études supérieures de Baltimore, dans le Maryland, a défini, au sein de son glossaire des termes LGBTQ+, le mot lesbienne comme étant « a non-man attracted to a non-men (1) » (« un non-homme attiré par un non-homme » [traduction libre]). Really ? Bien sûr, nous allons y préférer la définition provenant du lexique de la Fondation Émergence : « Femme qui ressent une attirance affective et/ou sexuelle pour les femmes. Préféré par certaines au terme “homosexuelle” car ce dernier peut posséder une connotation médicale et sexuelle. Certaines femmes attirées par des femmes utilisent également le terme “gaie” (2). »
Le grand problème avec la définition des universitaires de Johns Hopkins, c’est que le lesbianisme est défini par inversion, en l’établissant par rapport aux hommes. Ainsi on parle de « non-homme » au lieu de femme. De ce fait, cette définition souligne à grand coup de Sharpie la domination du patriarcat, rendant invisible au passage le terme « femme », et donc, les fondements mêmes du lesbianisme. Ironiquement, leur définition d’un gai ne va pas dans le sens de l’inversion et met bien à l’avant-plan les hommes, plutôt que les femmes. « Gay : a man who is emotionally, romantically, sexually, affectionately, or relationally attracted to other men, or who identifies as a member of the gay community. » Bref, si un gai n’est pas un « non-femme », dans la mesure où l’on parle d’homosexualité masculine ici, le même sort devrait être réservé à l’homosexualité féminine pour le mot en L…
Pourquoi cette misogynie flagrante dans la définition du mot lesbienne ? Le glossaire spécifiait que « si les définitions antérieures faisaient référence aux lesbiennes comme des femmes sexuellement attirées par d’autres femmes, la « définition mise à jour » vise à inclure les personnes non binaires qui peuvent s’identifier à l’étiquette. » Mais qu’en est-il des femmes qui veulent s’identifier à l’étiquette femme ? Et pourquoi n’avons-nous pas le même cas de figure dans la définition du mot gay alors ? Heureusement et à la suite d’une controverse, la définition, comme le glossaire, fut retirée de la toile. Cela dit, gardons en tête que ce sont des universitaires qui ont pondu cette aberrante définition. La direction des communications de l’université en question a maladroitement tenté de sauver les meubles avec une excuse ridicule : « Bien que le glossaire soit une ressource publiée sur le site Web du Bureau de la diversité et de l’inclusion (ODI) de l’Université Johns Hopkins, les définitions n’ont pas été examinées ni approuvées par la direction de l’ODI et les définitions en question ont été supprimées en attendant l’examen. » Donc non seulement ces universitaires pondent des définitions erronées, mais ils n’examinent pas leurs publications avant de les mettre en ligne ? Très professionnel. J’ai presque le goût d’applaudir ChatGPT…
Sur cet exemple de l’effacement des femmes dans la façon de définir leurs propres réalités, l’ex-joueuse de tennis Martina Navratilova a judicieusement tweeté : « Lesbian was literally the only word in English language that is not tied to man- as in male – feMALE, man- woMAN. And now lesbians are non men?!? Wtf?!? » (« Lesbienne était littéralement le seul mot dans la langue anglaise qui n’est pas lié au mot homme — comme le mot male dans feMALE, et man dans woMAN. Et maintenant les lesbiennes sont des non-hommes ?!? Wtf ?!? » [traduction libre). Définir une femme comme un « non-homme », c’est effacer le mot femme et ce que celle-ci symbolise. Cette guerre des mots, qui engendrera plusieurs maux, doit cesser. La femme existe et continuera d’exister, au même titre que les lesbiennes, que ce mot vous plaise ou non. Sappho se retournerait dans sa tombe…
Sans surprise, même ChatGPT peut faire mieux que l’Université Johns Hopkins :
« Le mot « lesbienne » est un terme utilisé pour décrire une femme qui éprouve une attirance romantique, émotionnelle et/ou sexuelle envers d’autres femmes. Le terme tire son origine de l’île grecque de Lesbos, où la poétesse Sappho, qui vivait au 7e siècle avant notre ère, écrivait des poèmes d’amour dédiés aux femmes.
Le lesbianisme est une forme d’orientation sexuelle et fait partie de la diversité des orientations sexuelles humaines. Les femmes qui s’identifient comme lesbiennes peuvent avoir des relations amoureuses, intimes et/ou sexuelles exclusivement avec d’autres femmes. Certaines lesbiennes peuvent s’identifier uniquement comme lesbiennes, tandis que d’autres peuvent se considérer comme queers, bisexuelles ou pansexuelles.
Il est important de noter que l’orientation sexuelle est une caractéristique personnelle et que chaque individu a le droit de s’identifier comme il le souhaite. Les lesbiennes, tout comme les personnes de toutes orientations sexuelles, méritent d’être respectées, acceptées et traitées de manière égale dans la société (3). »
On a presque le goût de référer les principaux intéressés de l’Université Johns Hopkins à ChatGPT, mais ça ne serait pas éthiquement ou politiquement correct, n’est-ce pas ? Maintenant que nous sommes réchauffé.e.s en matière de définitions, continuons, et définissions le mot en F… et je ne parle pas du mot F**k !
• Source : https://studentaffairs.jhu.edu/lgbtq/education/glossary/
• https://www.fondationemergence.org/lexique
• Le terme lesbienne expliqué par https://chat.openai.com/