C’est enfoncer une porte ouverte que d’affirmer que la semaine de la Fierté a été une grande réussite et l’on peut sans forfanterie en remercier toute l’équipe de Fierté Montréal. Les quelques averses n’auront pas réussi à mettre une ombre sur ce grand moment d’être ensemble et de partager, rendant effectif pendant quelques jours ce sentiment d’inclusion. Chacun.e devait y avoir sa place. En somme, être soi en allant vers l’autre, avec la conviction que les différences peuvent aussi rassembler.
Pour moi qui vais bientôt totaliser bien plus qu’une trentaine de marches de la Fierté, sans oublier les premières manifestations en France, c’est toujours un étonnement, voire un émerveillement, ce grand rassemblement sous le signe de la fête et du partage. Bien loin, si je remonte dans mes souvenirs, des quelques centaines de militants (au masculin puisqu’il n’y avait que des hommes) surveillés par une police goguenarde et prête à en découdre et regardés sur les trottoirs par une population indignée dans les rues de Paris. Un de mes slogans préférés à l’époque était : « Hétéro, t’es foutu, les homos sont dans la rue ! »
Malgré cela, force est de constater aujourd’hui que la société patriarcale hétérocolonialiste a encore de beaux jours devant elle, même si les gains sont importants pour nos communautés. Même si nous pouvons être un peu plus nous-mêmes, si nous pouvons le dire, le clamer, le fêter comme le 14 août dernier.
J’ai bien sûr profité de la semaine de la Fierté, profité des Journées communautaires, profité de cette grande bouffée d’air frais pour rappeler au reste du monde que nous sommes là pour de bon, que nous ne serons plus jamais invisibles et silencieux.
Ne croyez pas cependant que ce plaisir ressenti m’ait pour autant fait oublier tout sens critique. Et si j’avais été gagné par un endormissement militant, d’autres pendant cette semaine de célébration se sont chargés de me rappeler que tout n’était ni rose ni arc-en-ciel. Au-delà de la grande communion réunie sous un sigle qui n’en finit pas de s’allonger, il y a encore beaucoup de grains de sable, parfois des plages entières de sable, qui enrayent l’engrenage de ce mieux-être de nos communautés.
Entre autres, la notion d’inclusion. Ce beau concept de communication devenu un leitmotiv un peu lassant à la longue et dont on souhaiterait qu’il soit mieux défini. Car chacun.e en tire sa propre définition et surtout se demande si il, elle ou iel est vraiment inclus.e ou, au contraire, n’y a pas sa place. Le terme a une valeur universaliste puisque tout le monde devrait être inclus et personne ne devrait se retrouver sur le bord du chemin. Mais la réalité est autre et certain.e.s y voient surtout la dissolution et l’effacement des différences au profit toujours d’un groupe dominant qui imposerait les normes à atteindre et à respecter de cette inclusion souhaitée et revendiquée. En somme, comme c’est le cas depuis des décennies, que ce sont les hommes gais et blancs qui continuent de donner le la de cette inclusion, à leur rythme, selon les humeurs du moment, d’autant que ce sont ceux qui aujourd’hui sont — toute proportion gardée — les mieux acceptés dans nos sociétés.
Bien sûr, ils sont irréprochables sur le plan du discours. Ils connaissent sur le bout des doigts le discours de l’inclusion, et même donnent la parole à celleux qui sont en dehors de leur catégorie. Mais ce sont encore trop souvent ceux qui donnent le tempo encore aujourd’hui.
Lors de la Journée communautaire, le kiosque de Fugues devient un peu le réceptacle de toutes les frustrations des « membres » de nos communautés. Certaines récriminations sont farfelues et témoignent souvent d’une grande ignorance de nos communautés et de leur histoire. D’autres témoignages, au contraire, demandent peut-être que l’on s’y arrête.
« Où sont les lesbiennes et le discours féministe ? », me demandait une lesbienne qui regrettait que celles-ci soient reléguées au second plan derrière les revendications trans. Peut-être pas tout à fait faux. Mais j’aurais envie d’ajouter que les questions de la représentativité lesbienne et de leur expression au sein de nos communautés se posent depuis les tous débuts des mouvements LGBTQ, dès les années 70, et qu’elles continuent de faire débat.
André Patry, dans une lettre ouverte sur les médias sociaux, déplorait que la minute de silence en hommage aux victimes du sida et qui est un moment fort du défilé, inclut aujourd’hui toutes les victimes d’homophobie et de transphobie, etc. Je suis d’accord avec lui. Je pense qu’il faudrait garder l’origine historique de ce moment de recueillement qui devrait rappeler pour les plus jeunes générations le drame du sida. Mais en même temps, je souhaiterais aussi qu’un hommage soit rendu à toutes les victimes, ici comme ailleurs, de l’intolérance, de l’obscurantisme et du fanatisme. Comment concilier les deux sans qu’un hommage disparaisse ou soit relégué au second plan par l’autre ? Je n’ai pas la réponse.
On pourrait multiplier les exemples de ce genre qui pointent les difficultés à vendre sans autre forme de question le concept d’inclusion. On pourrait parler de la voix des communautés racisées, de celles des personnes trans hors du discours officiel des grands organismes reconnus, ou encore de la misère sociale, voire de l’itinérance aussi des personnes qui, par choix ou par défaut, appartiennent aussi à nos communautés.
Bien sûr, le terme d’inclusion fait rêver, mais un des dangers perçus par certain.e.s, c’est qu’il dilue dans un même tourbillon des problématiques bien spécifiques qui demanderaient à ce qu’elles soient prises en compte, mises en relief, qu’elles ne tombent pas dans les craques du plancher au profit d’autres plus au goût du jour.
Beaucoup d’organismes, avec les contraintes dans lesquelles ils doivent survivre, continuent aujourd’hui d’œuvrer pour que ce terme d’inclusion soit plus qu’un simple concept de marketing et devienne effectif. Et pour celles et ceux qui, avec justesse parfois, soulignent les limites et les contradictions de nos communautés, se plaignent qu’elles ne sont pas si inclusives que cela, je n’aurai qu’un seul conseil, c’est de se retrousser les manches. En se commettant, ils et elles percevraient que les choses sont souvent un peu plus complexes qu’elles n’y paraissent.
Que voulez-vous, on cherche toujours à avoir le beurre, l’argent du beurre et les fesses du crémier ou de la crémière ou dux crémierx (assez inclusif comme écriture ?), mais en évitant d’avoir à bouger ses propres fesses.