Après deux participations à Drag Race, un séjour dans la maison de Big Brother Célébrités, plusieurs émissions de télé, des chroniques à la radio, un parfum à son nom et une tournée de spectacles, Rita Baga franchit une nouvelle étape en publiant Une paillette à la fois. Un livre dont la sortie en librairies est prévue le 20 septembre, qui démystifie l’art de la drag et qui lève le voile sur sa vie, son parcours et les coulisses du show-business.
Une œuvre qu’on lit d’une traite grâce au sens du rythme et du punch de la nouvelle autrice que Fugues a rencontrée quelques jours après Fierté Montréal.
Que retiens-tu de la dernière édition de Drag Superstars ?
RITA BAGA : Comme tu as pu le constater dans le livre, j’ai eu l’idée du show en 2016. Cette année, c’est la première fois qu’une édition se termine et que je suis globalement satisfaite du déroulement. Les drags qui ont participé étaient tellement dans la reconnaissance. Je n’ai jamais vu ça ! Elles m’ont envoyé plein de messages de gratitude d’avoir pu être de la soirée. Après l’année particulièrement instable dans la relation amour-haine avec les drags, ça faisait un petit baume. On était dans la totale appréciation de notre art.
Dans Une paillette à la fois, tu vulgarises la drag, tu te racontes et tu donnes accès aux coulisses de grosses émissions et de tes années à Fierté Montréal. Pourquoi le livre était-il le moyen idéal pour ça ?
RITA BAGA : Ayant fait des études durant quelques années, j’avais une approche très scolaire de la chose et je trouvais qu’il n’y avait aucune théorie en livre sur la drag. Quand on m’a proposé d’ajouter une dimension autobiographique au projet, je trouvais que le livre était le meilleur moyen. C’est un exercice de grande introspection. Je pouvais choisir ce que je racontais et de quelle façon. Il y a beaucoup de choses que je n’ai jamais dites avant. Quand mon chum l’a lu, il était en grosses larmes. Puisqu’il avait vécu tout ça avec moi, il avait accès au fond pur de qui je suis. Ça lui a pris deux jours pour m’en reparler.
En revisitant tes débuts, lorsque tu as vu une drag (Miss Butterfly) pour la première fois en 2004, jusqu’à aujourd’hui, tu fais un survol historique de la drag montréalaise depuis 20 ans. Ça t’a fait quoi ?
RITA BAGA : Ça m’a plongée dans une certaine nostalgie. Autant ce qu’on vit depuis quelques années, avec l’essor de la drag et l’amplitude du phénomène, c’est bénéfique pour la plupart, autant je souhaiterais aux personnes de la nouvelle génération d’avoir connu ce que c’était avant. On avait une espèce de liberté qu’on a un peu moins maintenant. Les gens venaient dans les bars voir le spectacle à travers leurs yeux et non pas en tenant un téléphone devant eux. Ce n’était pas mieux, ni pire, mais différent. Les gens de notre âge qui vont lire le livre vont certainement se rappeler comment c’était dans le temps.
Tu écris que Drag Race t’a challengée sur le sérieux de ta drag, en influençant ton
maquillage, ton registre de chansons, tes costumes et l’audace de tes concepts. Est-ce que ça signifie que la Rita de tes premières années n’aurait pas pu atteindre les stratosphères dans lesquelles tu évolues aujourd’hui ?
RITA BAGA : Je n’ai aucun doute là-dessus ! Quand on voit les photos qui accompagnent le livre, c’est dur de penser que la Rita de mes débuts aurait pu avoir ma carrière actuelle. On dirait une autre personne. En même temps, c’était ça, la drag, quand j’ai commencé. Le côté plus poli et parfait était moins présent. On pouvait compter sur les doigts d’une main les drags qui avaient un beau look, une belle personnalité et une bonne présentation sur scène. Puis, un jour, j’ai vu la première saison de Drag Race et je me suis demandé si la drag allait rester un hobby, si je devais m’appliquer davantage, changer de nom de famille, dépenser plus ou mieux étudier ma profession.
En lisant sur l’intensité de tes 15 dernières années à multiplier les heures dans différents emplois et à investir beaucoup de temps à Rita, on comprend que ton agenda débordait. Pourquoi en faisais-tu autant ?
RITA BAGA : Si je ne m’épanouissais pas dans mon emploi de jour, je voyais Rita comme une façon d’avoir du plaisir au travail. Je pense aussi que ça vient du désir de performer qui a toujours été le moteur de ma vie. Juste me concentrer sur une chose, c’est difficile. Quand j’ai fait un voyage humanitaire au Sénégal, je voyais que les gens faisaient une chose à la fois. Ça m’avait marquée, parce que j’ai toujours fait mille affaires en même temps. Au fond, j’ai toujours vu un agenda occupé comme une façon de ne pas vivre ses angoisses.
Tu t’es déjà cru à l’abri du burn-out. Est-ce encore le cas ?
RITA BAGA : Pas du tout ! J’ai valsé avec l’épuisement professionnel très souvent au cours des trois dernières années. Ça s’est calmé quand j’ai décidé de reprendre ma gérance et de choisir mes projets. L’an prochain, j’ai prévu deux mois complètement vides à mon horaire. Je vais avoir une petite accalmie. Je voulais prendre le temps de me déposer avant que d’autres projets repartent.
Tu t’exprimes aussi sur ton manque de confiance en toi. Ça vient d’où ?
RITA BAGA : Du milieu gai. Pendant mes années de jeune adulte, j’avais le sentiment constant de ne pas être du même calibre que mes ami.e.s et que les gens qui fréquentaient les bars. Je ne croyais pas avoir un physique ingrat, mais j’étais tellement bourré.e de complexes que j’avais l’impression de devoir en faire plus que les autres.
Tu as grandi dans un contexte qui n’était pas riche. Plus tard, tu as investi des dizaines de milliers de dollars pour participer à Drag Race et pour produire ton spectacle. Est-ce que ça te déchirait de l’intérieur ?
RITA BAGA : Oh oui ! Je me demande souvent s’il faut prendre moins de risques et coller plus d’argent, ou en économiser moins maintenant pour investir plus et en gagner davantage éventuellement. C’est toujours un dilemme. Heureusement, la confiance en mes capacités a toujours été présente. La tournée Créature était un très gros risque financier. J’aurais pu tout perdre. Mais j’ai décidé de bien m’entourer, de faire toute la promotion possible et de m’assurer que le show soit bon. Je sentais que les billets allaient se vendre. N’empêche, on a eu peur plusieurs fois, surtout avec les relents de pandémie.
Drag Race a généré beaucoup de haine à ton égard sur les réseaux sociaux. Tu as reçu des menaces de mort et développé de l’anxiété sociale. Où en es-tu face à cela ?
RITA BAGA : Ce sont des difficultés avec lesquelles je compose encore. Je suis suivie pour ça. Il faut que je me parle et que ma garde rapprochée me soutienne pour éviter de passer à côté d’une belle opportunité, parce que je suis en crise d’anxiété. Quand j’arrive dans une pièce, je compte toujours le nombre de personnes qui s’y trouvent. Lorsqu’il y en a plus que huit, je me sens mal. Pourtant, sur les plateaux, il peut y avoir jusqu’à 100 personnes, mais comme je suis au travail, avec tous mes apparats, j’ai comme une petite armure.
À Drag Race, on te voyait en mode compétition et en contrôle, avec une certaine réticence à te montrer vulnérable. Alors que tu l’es dans le livre. Souvent. Comment as-tu vécu cette vulnérabilité ?
RITA BAGA : C’est sûr qu’en parlant de certains traumas, les médias et les personnes qui vont me lire vont probablement me questionner là-dessus, et ça peut être dangereux de retomber là-dedans. Néanmoins, c’est ça, le livre. Je voulais donner accès à qui je suis. J’avais envie de me donner, en le faisant dans mes mots.
INFOS | Une paillette à la fois : Journal d’une reine, de Rita Baga,
Les Éditions de L’homme, Montréal, 2023. Disponible à partir du 20 septembre.