Lundi, 9 septembre 2024
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    Jean-Paul Daoust, pionnier de la poésie queer

    Si les plumes québécoises LGBTQ+ peuvent s’exprimer aussi librement aujourd’hui, c’est grâce à des artistes comme Michel Tremblay, Marie-Claire Blais, Michel Marc Bouchard et Jean-Paul Daoust. Pionnier de la poésie queer, celui qui fut pendant 11 ans poète en résidence à Plus on est de fous, plus on lit n’a jamais cessé de créer. Il publie ces jours-ci Les miroirs de l’ombre (Éditions Hashtag), un recueil lancé au Cabaret Mado le 14 septembre dernier.

    Comment réagis-tu à l’étiquette de pionnier de l’écriture queer?
    Jean-Paul Daoust: Je prends ça comme un compliment. À partir de mes recueils, plusieurs personnes ont vu que l’affirmation pouvait être quelque chose de jouissif. Je suis très content du chemin parcouru. Quand j’avais 18 ans, je n’avais aucun modèle. On commençait à peine à s’exprimer et à avoir l’audace de se rebeller. Lorsque je publiais mes textes dans les années 1970 et 1980, on ne parlait même pas de littérature queer. Du côté anglophone, le mot était péjoratif. Dans mes poèmes, j’écrivais sur la quête amoureuse de l’homme à l’homme, et ça, c’était nouveau en poésie. Il y a eu André Roy et moi dans les années 1970. On a dit les choses comme on les vivait.

    J’ai l’impression que la retraite ne fait pas partie de tes envies. Est-ce que je me trompe?
    Jean-Paul Daoust: Tu ne te trompes pas. Un artiste, il en a pas de retraite. On a pas demandé à Picasso qu’il arrête à 80 ans! C’est ma vie, l’écriture. Tant que je vais avoir de l’oxygène, je vais continuer à écrire et à lire. Ça fait partie de mon ADN. J’ai commencé à écrire très jeune. Ça a toujours été dans ma manière d’être. C’est par l’écriture que je me définis par rapport au monde.

    Comment as-tu vécu la fin de Plus on est de fous, plus on lit, il y a 15 mois?
    Jean-Paul Daoust: C’était un deuil. En même temps, à force d’écrire un poème par semaine ou par deux semaines pendant toutes ces années, je m’en venais un peu essoufflé. On a quitté la tête haute, car les cotes d’écoute n’avaient jamais été aussi bonnes. J’ai trouvé ça extraordinaire comme aventure d’apporter la poésie sur la place publique, de la démystifier et de montrer que ça pouvait être accessible. Plusieurs libraires m’ont dit que grâce entre autres à l’émission, au fil des ans, les gens s’aventuraient davantage dans la section poésie.

    En lisant ton recueil, j’ai senti que tu réussissais, comme peu d’artistes, à marier le grandiose et la simplicité. À quel point ça t’amuse de mélanger les phrases mémorables à des passages dans un langage plus familier?
    Jean-Paul Daoust: J’aime ça, parce que je trouve que la vie, c’est le contraste. On peut avoir des envolées plus épiques et d’autres plus intimes. Le langage est multiple et je veux l’illustrer dans ma poésie. Je n’aime pas tellement que ce soit linéaire. Je veux que ce soit en dents de scie pour que les gens qui me lisent soient un peu secoué.e.s. Les personnes peuvent ressentir une émotion en lisant et, trois lignes plus tard, presque l’émotion inverse. J’aime jouer avec ces paradoxes, tant au niveau de la thématique que de la forme.

    Les textes ont-ils été écrits récemment?
    Jean-Paul Daoust: Ce recueil traîne dans mes tiroirs depuis au moins dix ans, mais il n’avait pas la forme actuelle. Il m’a servi de tremplin pour inclure d’autres poèmes. C’est un mélange qui offre un survol de plusieurs années, que ce soit l’enfance, la prime jeunesse, la première histoire d’amour et plusieurs réflexions philosophiques. Le projet m’obsédait depuis longtemps. À cause de la COVID, j’ai eu le temps de le faire.

    Que voulais-tu explorer à propos de la perte d’un amoureux?
    Jean-Paul Daoust: Un jour ou l’autre, tout le monde vit une peine d’amour. C’est tristement banal. Mais la première peine d’amour, on s’en souvient tout le temps. Par la poésie, j’ai voulu exorciser le mal, la tristesse que ça peut engendrer et l’échec qu’on se pardonne peu. Ça m’a fait revivre des choses. En l’écrivant, je mets un point final à ce souvenir. La poésie me permet de m’en libérer.

    Tu as écrit : « J’ai des ascenseurs dans la gorge » à propos d’une certaine forme de culpabilité. Pourquoi le narrateur se sent-il coupable de ce qui s’est produit?
    Jean-Paul Daoust: Un échec amoureux, c’est jamais 100% d’un bord et 0% de l’autre. On a notre part de responsabilité. On se dit qu’on aurait peut-être pu faire mieux. Ce n’est pas nécessairement un regret, mais plutôt une constatation. Quand j’emploie le mot «ascenseur», c’est aussi pour illustrer que je peux passer d’un sentiment à un autre très vite. Je change d’étage, mais ça reste le même building. Le recueil passe d’une émotion à une autre très vite, mais on reste au même endroit.

    Il y a énormément de mélancolie dans tes textes. J’ai d’ailleurs noté la phrase : « J’existe à cause des larmes ». Dirais-tu que tu carbures à la tristesse?
    Jean-Paul Daoust: Je dis tout le temps que la mélancolie, c’est une tristesse qui se repose. Ce n’est pas un sentiment négatif à mes yeux. C’est simplement le passé qui ouvre des tiroirs dans la mémoire, et on pige dedans. Je revendique la mélancolie. Elle donne naissance à la littérature. On l’écrit pour s’en libérer, et en même temps, c’est elle qui nous inspire. C’est un beau chassé-croisé.

    Tu as aussi écrit : « Si au moins c’était aussi évident dans ma tête que les lettres sur la page ». Est-ce que tu crées pour faire de l’ordre dans ta tête?
    Jean-Paul Daoust: J’écris ce que je vis et ce que j’ai vécu. Pour moi, la poésie est une façon de mettre de l’ordre dans le désordre des sentiments. Quand on écrit, ça devient définitif sur la page et ça offre une certaine libération. D’ailleurs, je ne comprends pas les gens qui ne créent pas. Je ne peux pas imaginer une vie sans création. Ça me dépasse. C’est inadmissible.

    INFOS: Les miroirs de l’ombre DE JEAN-PAUL DAOUST, Éditions Hashtag, MONTRÉAL 2023.

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