Qui dit octobre, dit Halloween ! Quoi de mieux qu’un bon film d’horreur ? Des sorcières aux vampires, les représentations lesbiennes abondent dans le genre, mais comme toutes populations minoritaires, elles passent d’abord par les clichés avant de parvenir à des représentations plus justes et substantielles.
Je me souviens avoir vu ce film douteux de série B, où des jeunes filles d’un internat catholique faisaient de la sorcellerie. Cela impliquait au scénario qu’elles allaient nécessairement se déshabiller et danser autour d’un feu pour invoquer je ne sais quelle force occulte. Ça m’avait marquée. À l’époque où j’ai vu Little Witches (1996), j’allais justement brûler ma jupe d’école catholique dans un feu de joie lors de mon bal de finissantes. Cela dit, il n’y avait aucune nudité ou force occulte dans l’équation. Juste un peu de révolte adolescente en lien avec la religion catholique… Une Révolution tranquille, quoi…
Je me souvenais de Little Witches en raison d’une des actrices de la distribution, aujourd’hui bien connue : Cléa DuVall. Si Little Witches était son premier film, celle qui s’identifie ouvertement comme
lesbienne sera du film « culte/indie » lesbien américain : But l’m a Cheerleader, en 1999, avant de mettre en scène Kristen Stewart dans le rôle d’une lesbienne dans le film Happiest Season (2020). Bien sûr, Little Witches est censé être un film d’horreur, mais il est davantage une comédie, où la scène de sorcellerie/nudité dans la grotte devient rapidement risible. Ça vaut la peine de le voir, si vous cherchez une comédie… Sinon, mieux vaut opter pour The Craft sorti la même année avec Fairuza Balk (qui jouait déjà une jeune sorcière écolière dans The Worst Witch en 1986) et Neve Campbell (qui deviendra la vedette de Scream cette même année).
De la sorcellerie au vampirisme, l’association lesbienne n’est jamais bien loin. Et pour cause, le vampirisme lesbien dans le cinéma et la littérature d’exploitation du XXe siècle fait figure de trope, de langage figuratif, « une façon de faire allusion à l’idée taboue du lesbianisme » dans un contexte fictionnel, dit fantastique, et loin de la censure du réalisme social. Plus encore, il s’agit d’une autre façon de présenter les chimères des hommes hétéros qui sont derrière la caméra (ici le lesbianisme flirte avec la bisexualité). Vu la popularité du sujet, le comte Dracula n’a qu’à aller se rhabiller… C’est d’ailleurs dans le film Dracula’s Daughter (1936) qu’on retrouve les premières traces d’attirance lesbienne dans un film de vampire. Mentionnons notamment la scène où la comtesse Zaleska (Gloria Holden) s’attaque à une jolie fille qu’elle a invitée dans sa demeure pour poser pour elle. Dans les publicités originales du film, Universal souligne l’attirance de la comtesse Zaleska pour les femmes en utilisant le slogan « Sauvez les femmes de Londres de la fille de Dracula ! » [1] Bien sûr, il faudra attendre les années 70 pour voir apparaitre la thématique de façon beaucoup plus explicite (sexuellement, notamment) avec les films d’exploitation. Le film Vampyros Lesbos (L’héritière de Dracula en version française, 1971) du réalisateur Jesús Franco peut être considéré comme l’un des films d’exploitation les plus ciblés en ce sens. Quentin Tarantino y fait d’ailleurs référence dans son film Jackie Brown (1997). Fait intéressant : la musique du film Vampyros Lesbos, à saveur psychédélique, deviendra populaire au milieu des années 1990 lorsqu’elle sera incluse dans la compilation Vampyros Lesbos : Sexadelic Dance Party, qui aura un grand succès sur les palmarès alternatifs britanniques.
Plus récemment, mentionnons Carmilla (Emily Harris, 2019) un film d’horreur romantique britannique se déroulant à la fin du XVIIIe siècle. Le scénario s’inspire de la nouvelle du même nom de l’auteur irlandais Sheridan Le Fanu datant de 1871, qui serait l’une des premières références au vampirisme lesbien en littérature : l’histoire joue sur les thèmes du patriarcat et de l’homophobie, alors que Carmilla, une vampire, « corrompt » des jeunes femmes. L’œuvre de Le Fanu sera d’ailleurs maintes fois reprise, notamment dans le film d’horreur érotique Blood and Roses du réalisateur Roger Vadim en 1960. Sans surprise, les vampires lesbiennes s’affichent aussi au petit écran. En 2022, Netflix présente la série First Kill. Dans la veine du surnaturel pour ados, elle s’inspire de la nouvelle du même nom de l’écrivaine Victoria Schwab qui fut publié en 2020 dans l’anthologie Vampires Never Get Old: Tales With Fresh Bite. Comme quoi, d’hier à aujourd’hui, de la littérature au cinéma, le vampirisme lesbien ne cesse d’inspirer la soif des créateurs.
Sinon, pour émoustiller vos soirées d’Halloween, voici d’autres suggestions :
The Vampire Lovers (Roy Ward Baker, 1970). Dans le premier volet de l’audacieuse trilogie Karnsetin, le scénariste Tudor Gates a nommé sa protagoniste Mircalla, rappelant Carmilla, la femme vampire au cœur de la nouvelle de Sheridan Le Fanu. Avec l’actrice polonaise Ingrid Pitt dans le rôle de l’héroïne saphique, le film souligne l’érotisme du genre.
Daughters Of Darkness (Harry Kümel, 1971). Un film d’horreur gothique dans lequel le réalisateur belge a façonné une vampire lesbienne (Delphine Seyrig) d’après Marlene Dietrich, en l’habillant de couleurs nazies pour souligner ses qualités démagogues.
Vampyres (José Ramón Larraz, 1974). Intitulé Les Filles de Dracula aux États-Unis, Marianne Morris et l’ancienne vedette de Playboy Anulka Dziubinska incarnent, dans ce thriller érotique britannique, deux séductrices mortelles qui attirent des hommes dans leur domaine pour des orgies sanglantes. Tourné à Oakley Court, lieu de The Rocky Horror Picture Show.
The Hunger (Tony Scott, 1983). Un suspense érotique d’horreur devenu un classique, avec Catherine Deneuve, David Bowie et Susan Sarandon, où se mêlent gothique, punk et lesbiennes.
Nadja (Michael Almereyda, 1994). Un conte de vampires post-moderne et contemporain qui se déroule dans la ville de New York, où les membres d’une famille dysfonctionnelle de vampires tentent de se réconcilier. David Lynch y fait une apparition éclair, en plus d’être le producteur exécutif.
• Vito Russo, The Celluloid Closet: Homosexuality in the Movies (revised edition), New York, HarperCollins, 1987, p. 48.