Parmi les héros de notre histoire, certains se démarquent par la multiplicité et la variété de leurs champs de compétence. C’est assurément le cas d’Alain Bouchard. Diplômé des Universités de Tours et de Montpellier (France), il sera tour à tour journaliste, militant, professeur, conférencier, écrivain, éditeur (Éditions Homeureux et HMX), intervenant psychosocial sur la question de l’homosexualité et praticien en psychologie clinique durant 50 ans — notamment auprès de la communauté gaie —, sans oublier son intérêt et son expertise dans les domaines de la photographie et de la réalisation de films et de vidéos.
Selon l’organisme Lesbian and Gay Liberation in Canada (LGLC) : le 15 juillet 1979, Alain Bouchard est expulsé du bar Le Zodiac parce qu’il dansait avec un homme, Levi Bérubé. Tous deux déposent alors une plainte à la Commission des droits de la personne du Québec, alors qu’Alain Bouchard amorce une campagne visant à persuader le gouvernement de nommer au sein de l’organisme un commissaire ouvertement gai1. Autre implication au sein de la communauté : en avril 1980, il organise à Montréal le 1er Symposium québécois sur l’homosexualité, qui attire pas moins de 300 participants.
Mais c’est sur le plan de l’écriture qu’Alain Bouchard s’implique le plus activement. Déjà, « vers l’âge de 15 ans, il écrivait régulièrement pour des hebdos comme La Voix du Lac, Le Lac Saint-Jean, Le Clairon, etc., ainsi que pour des publications francophones en Ontario et dans le Massachusetts (Le Travailleur)2. » Rédacteur au magazine culturel Virus Montréal et à la Revue québécoise de sexologie, il écrit des articles dans la revue Attitude et, dès 1976, dans le bimensuel Gay Montréal : journal d’information homosexuelle du Québec, une publication « de grande envergure qui a été, on ne s’en souvient guère aujourd’hui, une rampe de lancement pour plusieurs auteurs phares du mouvement gai au Québec3. »
En 1978, Alain Bouchard « crée Club contact, un bref bulletin dont la fonction première est de
faciliter la socialisation et les rencontres entre hommes, tant à Montréal qu’en région. Imprimé à 900 exemplaires, il est uniquement distribué aux abonnés et axé sur les petites annonces. Désireux de produire un périodique plus largement diffusé qui pourrait rejoindre un plus grand lectorat, Bouchard délaisse, à la fin de 1981, la production de Club contact et opte pour la publication du tabloïde Rencontres gaies. Paru jusqu’en décembre 1983, le périodique exhibe, comme son prédécesseur, un contenu en partie centré sur les annonces d’hommes à la recherche de relations (amoureuses, sexuelles) avec d’autres hommes. En tout, 17 numéros de Rencontres gaies sont lancés4. »
Le périodique est par la suite remplacé par le mensuel RG (1984-2012) qui, « durant son existence, a favorisé les débats de société sur la question homosexuelle5. » Au dire de Nicholas Giguère, RG « a représenté la communauté gaie et il a participé, au même titre que les périodiques plus engagés de la décennie 1970, à sa construction, à son auto-détermination et à la redéfinition de son rapport au reste de la société6. »
Entre-temps, Alain Bouchard fait paraître deux ouvrages importants qui sont considérés comme des « essais critiques fondateurs » : Nouvelle approche de l’homosexualité, style de vie et Le complexe des dupes. Il édite également l’essai politique Les Homosexuels s’organisent au Québec et ailleurs, le recueil de nouvelles Amour, délice et orgie de Paul-François Sylvestre, ainsi que le Guide gai du Québec, lequel produira 13 éditions jusqu’en 2009.
Plusieurs acteurs du milieu s’accordent pour dire que l’apport d’Alain Bouchard à la cause LGBT est considérable puisque, dès les années 1970, il a dépoussiéré plusieurs concepts en vigueur en proposant « une optique positive et critique qui tend à exclure les préjugés, scientifiques et
populaires, qui entourent l’homosexualité et en dotant cette nouvelle perspective d’outils théoriques accessibles7. »
Mais, cette intense activité professionnelle n’empêchera pas Alain Bouchard d’assouvir « sa passion pour les voyages [qui] l’a amené à parcourir les quatre coins de la planète et la photographie est toujours demeurée au cœur de ses périples. […] Depuis une quinzaine d’années, il fait de la vidéo et a réalisé divers films en HD, notamment dans le Sud de la France, en Éthiopie, en Équateur, aux Îles Galápagos8. » Et d’autres projets de séjours sont en préparation, d’autant plus qu’il a pris sa retraite comme psychologue en avril 2022. Au moment de rendre ce texte, nous avons appris le décès d’Alain Bouchard survenu le 5 septembre 2023 à Montréal, à l’âge de 77 ans, des suites d’un cancer. 6
Notes
- https://lglc.ca/event/n81.2. Consulté le 28 septembre 2022.
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Bouchard_(psychologue). Consulté le 28 septembre 2022.
- Nicholas Giguère, « Bref historique des périodiques gais québécois », L’Archigai, no 22, novembre 2012, p. 1.
- Nicholas Giguère, « Les périodiques gais au Québec : évolution et transformations d’une presse au service d’une communauté », Mémoires du livre, vol. 7 no 2, printemps 2016.
- http://next.owlapps.net/owlapps_apps/articles?id=4342467. Consulté le 28 septembre 2022.
- Nicholas Giguère, Les périodiques gais au Québec (1971-2009) : vecteurs de reconnaissance et de légitimation d’une communauté, thèse de doctorat en études françaises, Université de Sherbrooke, 2018, p. 21 à 28.
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Bouchard_(psychologue). Consulté le 28 septembre 2022.
- « La Turquie, vue par Alain Bouchard », Le Lac-St-Jean, 14 novembre 2014 : https://lelacstjean.com/culture/la-turquie-vue-par-alain-bouchard. Consulté le 28 septembre 2022.