En octobre 2022, la France se dotait d’un ambassadeur pour les droits des personnes LGBT+. Un ambassadeur itinérant bien évidemment, qui prendra son bâton de pèlerin pour parcourir la planète et jouer un rôle pour améliorer le sort des personnes LGBT. Jean-Marc Berthon, diplomate d’expérience, a accepté ce poste. Très au fait des réalités LGBT à travers le monde, il a aussi une grande conscience des résistances auxquelles il devra faire face lors de ses rencontres avec des gouvernements étrangers.
À l’invitation d’Égides et de la Fondation Émergence, Jean-Marc Berthon a rencontré pendant une semaine des représentant.e.s d’organismes LGBT québécois, mais aussi des élu.e.s fédéraux et provinciaux. Le but, renforcer la collaboration du Québec et du Canada avec la France et, bien sûr, veiller au développement d’Égides, L’Alliance internationale francophone pour l’égalité et les diversités.
Quelles ont été les motivations qui ont poussé le gouvernement français à créer un tel poste ?
Jean-Marc Berthon : Ceci correspond à un engagement d’Emmanuel Macron lors de la dernière campagne présidentielle en 2022. Il avait déclaré devant des médias que, s’il était élu, il nommerait un ambassadeur aux questions LGBT, que cela émanait entre autres d’un vœu de la société civile, c’est-à-dire des associations engagées sur les questions LGBT.
Emmanuel Macron, qui a une grande expérience internationale, a vu par lui-même que la question LGBT était aujourd’hui incontournable dans toutes les relations entre les États, et que c’était une question des plus inflammables dès qu’on la mettait sur la table, que l’on se retrouvait parfois avec des positions irréconciliables et donc qu’il était très difficile de s’entendre. Ce que révèle cette question inflammable, c’est qu’il y a des pays qui avancent vite dans la reconnaissance des droits des personnes LGBT avec le droit au mariage, à la parentalité, à l’allègement des exigences, à la transition de genre, etc., alors que d’autres pays au contraire se radicalisent, renforcent la répression, développent un discours très agressif contre les personnes LGBT qui sont présentées comme une menace contre la société, la famille, la civilisation. Donc, on a comme deux planètes qui se font face, qui ne se
comprennent pas, et c’est une situation extrêmement dangereuse. On ne peut pas se satisfaire de cette situation pour les personnes LGBT en premier lieu, pour leur sécurité et leur liberté. Et ce n’est pas non plus satisfaisant d’un point de vue diplomatique dans les relations internationales. On doit réduire les crispations qui opposent les régimes démocratiques aux régimes autoritaires. Et la question LGBT+ est un point de cristallisation de ces oppositions. Le président Emmanuel Macron et la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, ont estimé que nous devions faire un effort particulier sur la question des personnes LGBT et qu’il fallait une personne à temps plein sur ce dossier et essayer d’être utile.
On peut toutefois s’étonner qu’il n’y ait pas sur le plan intérieur un poste équivalent, un ministre, un sous-ministre, qui soit chargé de ce dossier en France ?
Jean-Marc Berthon : Vous connaissez sûrement la DILCRAH (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LBGT+) qui est sous la tutelle de la ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Bérangère Couillard. Elle couvre donc le champ de compétences de la DILCRAH et c’est elle qui est chargée d’élaborer le plan pluriannuel contre la haine LGBT. Nous avons d’ailleurs présenté notre nouveau plan 2023-2026 en juillet dernier.
Quel est exactement le mandat, sûrement défini en accord avec le président de la République, qui vous a été donné ?
Jean-Marc Berthon : Ma tâche principale, tout d’abord, est de mobiliser l’appareil
diplomatique français sur cette question et de coordonner les actions des ambassades et des différents services diplomatiques. Ensuite, il y a la représentation dans les différentes enceintes internationales. Concernant la mobilisation de nos représentations, nous avons adressé une circulaire sur les enjeux LGBT et l’on demande à nos ambassades d’avoir un référent LGBT dans le pays, de tenir des rencontres avec les ONG LGBT locales et de produire un rapport annuel sur la situation des droits LGBT. Enfin, soutenir financièrement les acteurs et actrices de la société civile, faire des démarches auprès des autorités face à des situations préoccupantes quand les droits ne sont pas, à notre avis, respectés. Nous demandons aussi dans cette circulaire à ce que soit portée une attention particulière pour les demandes de visas pour se rendre en France. C’est une circulaire avec des instructions très fortes et cela commence à produire des effets. On a déjà des résultats très positifs sur lesquels je ne peux pas m’étendre. Il faut rester souvent discret, car certains gouvernements n’aiment pas que la pression qu’ils pourraient subir lors de discussions se retrouve dans les médias, avec le risque au contraire de les voir reculer. De plus, en septembre dernier, nous avons annoncé, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, la création d’un fonds français de soutien aux défenseurs des droits des personnes LGBT dans le monde, doté pour commencer de 2 millions d’euros. Cela permettra des associations qui font des plaidoyers pour les droits LGBT ou qui apportent des services aux populations les plus vulnérables. Ce sont ces organismes, ces acteurs de la société civile, qui sont sur le terrain, qui sont en première ligne, et qui prennent des risques. Mais ce sont eux qui peuvent faire avancer les choses.
Quel regard portez-vous sur le durcissement des lois contre les personnes LGBT que l’on peut voir dans de nombreux pays ?
Jean-Marc Berthon : La situation est effectivement préoccupante. Soixante-sept pays
criminalisent encore l’homosexualité. Bien sûr, on pense à l’Afrique subsaharienne, à des pays du Moyen-Orient, à l’Afrique du Nord ou encore à la Russie, auxquels on doit ajouter les pays où l’homosexualité n’est pas criminalisée, mais où il est difficile, voire dangereux, de vivre son orientation sexuelle ou son identité de genre, ou encore parce que ces pays, sans avoir de lois spécifiquement anti-LGBT ont restreint les libertés, comme la liberté d’expression ou d’association. Concrètement, nous avons identifié avec nos homologues canadiens les pays prioritaires où nous devrions intervenir conjointement. Je crois aussi qu’il faut travailler avec des pays plus progressistes, mais qui refusent de s’engager sur un combat international, qui refusent d’inscrire les questions LGBT sur leur agenda international. Nous avons besoin de grands alliés du Sud, par exemple, pour faire avancer la cause, nous n’en avons pas assez.
Vous comptez beaucoup sur les organismes LGBT locaux pour faire changer les choses, jusqu’à financer certaines de leurs initiatives, pourquoi ?
Jean-Marc Berthon : Parce que ces organismes connaissent le mieux la situation, ils connaissent les résistances, ils sont le plus à même de faire avancer les choses. De plus, une intervention plus grande de pays occidentaux comme la France ou le Canada, par exemple, pourrait être perçue comme l’exportation d’un modèle occidental. Et puis il faut se méfier des déclarations tonitruantes qui nous feraient plaisir, presque de façon narcissique, en dénonçant telle ou telle situation, mais qui mettraient en danger les personnes LGBT sur le terrain. Bien sûr que nous aurions envie de protéger toutes ces personnes à travers le monde, mais sans déclencher des vagues d’homophobie.
De l’extérieur, on voit des structures se mettre en place comme Égides, des personnes nommées par des gouvernements responsables des droits LGBT, mais on a souvent le sentiment qu’au-delà de bonnes intentions, il y a peu de changements, peu de résultats probants ?
Jean-Marc Berthon : C’est un problème inhérent à la diplomatie en général. Il doit y avoir une part de diplomatie discrète pour des questions de sécurité, en tout premier lieu pour les personnes LGBT concernées. Des rappels publics mettraient en péril tout le travail qui est fait de façon plus confidentielle, mais ce qui n’empêche pas nos gouvernements de rappeler des principes fondamentaux des droits de la personne. Nous l’avons fait récemment encore lors de l’Assemblée générale des Nations unies, comme nous l’avons fait à Genève tout récemment aussi au Conseil des droits de l’Homme, tout comme Emmanuel Macron l’a fait aussi lors du dernier Sommet du Conseil de l’Europe à Reykjavik en mai dernier. Et bien sûr, je le fais bien évidemment dans tous mes déplacements. Il faut doser entre les sorties publiques et le travail qui se fait sur le terrain de la diplomatie. Mais je comprends que cela peut causer une sorte de frustration et d’incompréhension. Si l’on fait des déclarations tonitruantes dans la presse, je pense à la situation de personnes LGBT dans certains
pays africains subsahariens, cela pourrait entraîner des effets négatifs avec parfois un
durcissement des mesures homophobes des autorités qui tiendraient à rappeler leur
souveraineté sur des questions sociétales.
On l’a vu récemment à Montréal avec des manifestations s’en prenant à la transidentité et au droit des enfants de s’autodéterminer. On voit dans de nombreux pays dits progressistes une résurgence d’un discours transphobe et homophobe, qu’en est-il en France ?
Jean-Marc Berthon : En ce moment, c’est calme en France. La dernière grande opposition aux droits LGBT remonte à 2013 lors de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Cependant, on sait que chaque fois qu’il y a une avancée il y a un retour du bâton. Aujourd’hui, on traite la question homosexuelle et la question trans ensemble, et il faut le faire. Pour la question homosexuelle, on a franchi des étapes très importantes, mais nous n’oublions pas qu’il existe toujours de la haine, qu’il y a encore du travail à faire. Avec la question trans, un nouveau chapitre s’est ouvert. Il y a beaucoup de revendications très fortes qui ne sont pas satisfaites dans beaucoup de pays, et qui se cristallisent aujourd’hui dans les discours des groupes conservateurs et religieux. J’évoquais la polarisation à
l’échelle de la planète, mais on voit aussi apparaître cette polarisation à l’intérieur de pays démocratiques.