Mercredi, 18 septembre 2024
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    Ne pas se battre, mais profiter des victoires

    La vie est parfois ironique. Alors que les voix LGBTQ+ sont de plus en plus nombreuses à résonner dans le monde politique, dans les arts, dans les médias et ailleurs, plusieurs membres de nos communautés insistent pour ne pas être associé.e.s directement au mouvement arc-en-ciel. Comme si ces personnes préféraient se taire et se désengager de nos batailles, tout en profitant de nos victoires.

    Leur argument ressemble généralement à quelque chose comme : « Je ne veux pas être réduit.e à mon orientation sexuelle ou à mon identité de genre ». Une façon pour elles d’exprimer leur refus d’être résumées à un seul aspect de leur identité. De rappeler au reste du monde que leur existence est multiple. De souligner qu’elles n’ont pas envie d’être présentées d’abord et avant tout comme la lesbienne, le trans, l’être non binaire, l’homosexuel ou la pansexuelle. Je comprends la base de leur argumentaire. On peut d’ailleurs faire un parallèle avec les individus qui refusent qu’on les présente comme l’handicapé.e, le roux, la noire, l’autiste ou le dude à qui il manque une palette.

    Ce réflexe de résumer un individu à un seul aspect de sa personne — généralement un aspect moins commun ou minoritaire — est ridicule, irritant et paresseux. Il y a plusieurs années, j’ai publié une chronique dans laquelle j’affirmais n’être le meilleur ami gai de personne. Je n’accepte pas qu’on fasse référence à moi uniquement avec cette information. Mais un mot dans ma dernière phrase change tout : uniquement. Je ne veux pas qu’on parle de moi uniquement en raison de mon orientation sexuelle, mais je n’ai aucun malaise à ce qu’on m’associe à mon homosexualité, tant et aussi longtemps qu’on a la capacité de parler de moi pour d’autres raisons : mon humour douteux, mes beaux cheveux, mes 1032 romans, les fois où je chante dans un endroit inopportun, mon rire bruyant, mon intransigeance, ma face de tannant. Je pourrais continuer ainsi sur des pages et des pages, car chaque humain est fait, comme moi, d’une infinité de nuances.

    J’ai pris ce long détour pour qu’on fasse la différence entre le désir de reconnaître l’entièreté d’une personne et le désengagement d’un humain envers sa queerness. Encore une fois, une mise en garde s’impose : le fait d’évoquer la queerness ou d’utiliser le mot queer ne signifie pas que toutes les personnes LGBTQ+ doivent être colorées, flamboyantes et excentriques. Chacun.e d’entre nous a droit à sa façon d’extérioriser sa personnalité. Cela dit, quand on a une orientation sexuelle ou une identité de genre non majoritaire, on fait partie du monde queer. Même si une personne se dit hors milieu, en ne réalisant pas la traînée de stéréotypes qu’elle perpétue en s’exprimant ainsi, elle est quand même
    des nôtres.

    Donc, quand une personne dit qu’elle ne veut pas être réduite à sa queerness, qu’elle ne désire pas être associée directement au mouvement LGBTQ+, qu’elle ne veut pas que son travail soit analysé — entre autres — avec la perspective queer, qu’elle ne veut pas qu’on lui demande de s’exprimer sur les enjeux queers et qu’elle ne milite pour absolument rien qui pourrait faire avancer la cause… elle nuit à nos communautés.

    Je n’oserais pas dire qu’elle nous fait reculer, mais elle ne nous fait certainement pas avancer. Pourquoi ? Parce qu’elle nous prive d’une voix au chapitre, d’une force de plus dans le combat et d’un visage de plus dans l’évolution des mentalités. Elle se met à distance et elle se désengage. Pourtant, elle profite de nos victoires.

    C’est grâce aux personnes LGBTQ+ qui se sont battues que nos marginalités ont été décriminalisées. C’est grâce à elles que nos identités sont devenues moins souvent passibles de railleries, de menaces et de violences. C’est grâce à elles que le mariage est devenu un concept à notre portée. C’est grâce à elles que l’adoption de parents de même sexe a été légalisée. C’est grâce à elles que les règles sur l’identité civile des personnes trans ont été modifiées. Et c’est aussi grâce à elles que nous sommes de plus en plus à pouvoir exister avec une paix d’esprit au Québec et au Canada. Si nous avions gardé le silence, rien n’aurait bougé. Si nous nous étions désengagé.e.s, le mouvement aurait stagné.
    Alors que 2023 tire à sa fin, nos acquis sont en danger plus que jamais et plusieurs autres combats restent à mener. Je n’attends pas que toutes les personnes LGBTQ+ manifestent dans la rue. Je n’imagine pas que toutes les personnes LGBTQ+ publient des lettres ouvertes dans les médias ou des publications sur les réseaux sociaux dans l’espoir de faire évoluer leur entourage. Je n’espère pas que toutes les personnes LGBTQ+ organisent des spectacles pour faire résonner nos voix. Je souhaite simplement qu’elles cessent de se mettre en retrait, qu’elles arrêtent de scinder nos communautés, qu’elles assument cette part de leur existence au quotidien, sans crier, sans courir dans les rues, sans dénaturer leur personnalité. Mais simplement en existant. Sans honte. Et qu’elles prennent la parole. Parfois. À leur façon. Au lieu de se retirer du monde dont elles profitent. 6

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