Le tout premier rendez-vous de la drag s’est tenu fin octobre au Palais des Congrès de Montréal. L’événement a été la parfaite occasion pour les amateurs de drag de pouvoir rencontrer leurs drags francophones préférées, discuter avec elles, prendre des photos et acheter leur marchandise. Parce que qui ne voudrait pas des calendriers de Barbada, des chandails de Rainbow et des sous-vêtements de Sally-D?
L’événement a débuté par la coupe du ruban inaugural, qui était précédée par un grand défilé des drags invitées sur un long tapis rose.
Toutes les drags invitées ont défilé, dévoilant bien évidemment des tenues toutes aussi extravagantes les unes que les autres. Paillettes, longues robes, costume et même gardes du corps-twinks-sataniques (dans le cas d’Océane Aqua-Black) étaient donc au rendez-vous, et ont pu être admiré d’assez près par les spectateurs, qui longeaient les côtés du tapis rose sans aucune barrière.
Le rendez-vous de la drag se déroulant quelques jours seulement avant l’Halloween, de nombreuses tenues faisaient même un clin d’œil à l’univers du lugubre, de l’horreur et du « spooky ».
Selon le vice-président de l’organisation, Jean-Sébastien Boudreault, ce long tapis rose a volé la vedette et a été « le moment » de la fin de semaine.
« Le tapis rose, c’est vraiment le moment qui fait shiner les drags. On sent l’énergie des gens, le public est heureux. Regardez ça. Avez-vous déjà vu un tapis rose aussi long? »
Celui qui a agi pendant 13 ans à titre de vice-président de Fierté Montréal est d’ailleurs très satisfait du résultat général.

« C’est l’aboutissement de plusieurs, plusieurs mois de travail. On a tous travaillé bénévolement pour le faire, mais on voit que les gens sont contents : les drags et le public. »
Parmi les heureux se trouvaient des personnes de tous les âges et de tous les genres. Les enfants étaient aussi au rendez-vous.
« On veut que les gens comprennent que l’art de la drag, c’est un art. C’est des gens, des humains derrière ça. C’est des artistes multidisciplinaires. »
Les enfants ont (notamment) pu prendre des photos avec Barbada, qui avait installé dans son kiosque un poste d’écoute de son émission éponyme.
« C’est aussi extraordinaire de voir qu’il y a une belle diversité, non seulement au niveau des artistes, mais au niveau des gens qui viennent voir. Ça montre que la drag, c’est vraiment pour tout le monde, que ce soit pour en faire ou pour l’admirer, » a souligné la célèbre drag queen.
Barbada se réjouit d’ailleurs que cette diversité puisse se traduire à la télévision. On pourra bientôt la retrouver dans l’émission Drags – Les reines de la pop, à Télé-Québec, aux côtés de Mado Lamotte, Mona de Grenoble, Gisèle Lullaby et Tracy Trash, mais aussi France D’Amour, Marie Denise Pelletier, Patsy Gallant et Mitsou.
Des drags de l’étranger
La diversité, elle se trouvait également au niveau des origines. Parce que le rendez-vous de la drag a non seulement accueilli des drag québécoises, mais aussi des drags du reste du Canada, des États-Unis, de la Belgique et de la France.
« Il y a beaucoup de nouveaux visages, c’est le fun. […] C’est un mini gay pride au mois d’octobre », estime la drag Rainbow.
Parmi les drags « étrangères », on retrouvait quelques drags ayant participé à la fameuse série Drag Race France, mouture française de RuPaul’s Drag Race. D’ailleurs, de nombreux amateurs faisaient la file afin de pouvoir rencontrer Kam Hugh, Lolita Banana et La Big Bertha.
Cette dernière – qui se fait très souvent taquiner par ses collègues « parce qu’elles disent que Bertha elle est là tous les week-end » – était d’ailleurs très heureuse de trouver ses comparses québécoises au Palais des congrès.

« C’est vraiment canon. Pour nous, rencontrer toutes les queen locales, tous les groupes de drag king, de drag queen, c’est hyper enrichissant. Et aussi rencontrer le public d’ici, et surtout tous les Québécois. »
La Big Bertha voue d’ailleurs une affection très particulière pour Montréal, sa « good vibe » et son « what the fuck ». Mais il y aurait une petite chose qu’elle changerait.
« J’ai envie de venir tous les week-end. Sauf que la poutine, ce n’est pas possible les enfants. La poutine qu’est-ce que c’est? Une frite molle sans goût avec une sauce brune pas bonne et un fromage en grain que – pourquoi on appelle ça fromage? Ça n’a pas de goût! Je vais venir vous faire à manger! »
Faire connaître l’industrie d’ici
Le rendez-vous de la drag n’est toutefois pas uniquement une occasion pour « faire venir » des drags étrangères. Les drags québécoises se réjouissent de pouvoir avoir un événement chez elles, ce qui limite les nombreux frais qu’elles doivent débourser lorsque ce genre d’événement se déroule à l’étranger. En plus, cela permet un rapprochement entre les drags québécoises et le public local, qui est bien souvent une partie importante de leurs admirateurs.

Ainsi, une drag comme Océane Aqua-Black, qui bénéficie de plus de 20 ans de carrière et d’une notoriété de niveau international, est charmée que le Québec se dote enfin de ce genre de plateforme, qui est adaptée au contexte québécois et francophone, et qui diffère bien évidemment de celui des États-Unis et du monde anglophone.
« C’est un gros avancement. C’est vraiment cool que ce soit rendu chez nous au Québec. J’ai participé souvent à ceux à Los Angeles ou au Royaume-Uni : on est toujours obligé de voyager et de parler en anglais. Là, je n’ai pas besoin de me forcer, c’est fun, c’est convivial, les gens sont contents d’être là… C’est génial! », lance ainsi la drag que l’on a pu voir dans la saison 2 de Canada’s Drag Race.
La drag Sally-D partage un avis similaire. Celle qui organise à chaque semaine des spectacles afin de mettre en lumière la relève drag est contente de pouvoir « enseigner » l’industrie de la drag à ses protégés, en plus de pouvoir faire changement de l’image nocturne associée à la drag.
« [Cet événement] est une excellente nouvelle pour les drags, parce que ça nous donne l’occasion de se vendre et se faire voir, et pas juste dans un bar. »
Tout comme Sally-D, Rainbow pense que ce genre d’événement est une bonne manière de pouvoir faire des affaires, notamment en faisant la promotion d’événements à venir. Rainbow avait ainsi une grande banderole « Noël chez Rainbow » derrière son siège pour prendre des photos afin de mettre en valeur ses spectacles du temps des Fêtes.
« Je trouve ça intéressant d’être ici, parce que y a beaucoup de Monsieur/Madame Tout-le-monde, et je fais beaucoup de spectacles en entreprise », a ajouté Rainbow, sous-entendant que sa présence pourrait mettre la puce à l’oreille à des entreprises.

Pas juste des kiosques
Les kiosques des drags n’ont bien évidemment pas été la seule attraction de la fin de semaine. De nombreuses conférences ont été organisées, notamment en collaboration avec Interligne, la Fondation Émergence et Gris Montréal. Des ateliers et des cours de tous les genres ont également eu lieu, comme un cours de maquillage (donné par Rainbow), un atelier de coiffure (donné par Heaven Genderfck) et un atelier de diversité corporelle (donné par Gabry Elle).
Des spectacles ont aussi été présentés durant la fin de semaine, comme les spectacles « Drag de la relève », « Drags de l’Acadie » et « BGB (Rita, Sasha et Aizysse Baga, Drag Couenne) ». Le clou des spectacles aura toutefois probablement été le spectacle du samedi soir, qui mettait en vedette une dizaine de drags, dont Michel Dorion, Rita Baga, Barbada et Lady BOom BoOm, pour n’en nommer que quelques-unes.
D’autres événements ont aussi été organisés en marge du rendez-vous de la drag dans le Village, avant, pendant et après la convention. Une Marche de l’Halloween a par exemple pris forme à partir de la Place Émilie-Gamelin. Un souper des drags a eu lieu au Saloon, suivi par un After Party Vidéo drags au District Video Lounge. De nombreux ateliers drag 101 étaient également à l’horaire, afin d’initier cet art au plus large auditoire possible.
L’événement le plus attendu des drags a toutefois été la fameuse Soirée Gala des Drags, considérée comme les « Oscars » des drags queen. Ayant été mise sur pause à cause de la pandémie, la cérémonie a enfin pu être célébrée à nouveau en guise de conclusion de la fin de semaine. Ce qui réjouit notamment Barbada et Océane Aqua-Black, qui voient en cette remise de prix une forme de célébration familiale, comme Noël.
« C’est vraiment la façon pour nous de se récompenser entre nous et de célébrer ce qu’on a fait pendant la dernière année », explique ainsi Barbada.
Des célébrités québécoises, comme Véronique Cloutier, Mathieu Dufour et Varda Étienne ont été conviées à remettre des prix durant la cérémonie, qui était animée par Rita Baga et Michel Dorion, elles qui agissaient déjà à titre d’hôtesses du rendez-vous de la drag.
Le média spécialisé En mode drag rapporte que Heaven Genderfck est reparti avec le plus de prix, soit « perruquier de l’année », « pro du pinceau » et « drag alternative ». Le prix de « drag queen de l’année » est toutefois allé à Gisèle Lullaby, grande gagnante de la saison 3 de Canada’s Drag Race. Elle est aussi partie avec le prix « polyvalence ».
Avec un gala, des ateliers, des spectacles, des kiosques et des défilés, le rendez-vous de la drag aura donc été chargé en émerveillement, et semble avoir satisfait les fans de drag présents sur les lieux.
Mais, alors, le rendez-vous de la drag sera-t-il de retour l’année prochaine? C’est ce qu’espère le vice-président de l’organisation, Jean-Sébastien Boudreault, qui ne limite surtout pas ses ambitions.
« L’idée, c’est que ça devienne une des plus grandes conventions de drag au monde. »
Images : Andrea Robert Lezak.
Entrevues: Philippe Granger