Mardi, 17 septembre 2024
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    À Padoue, des mères lesbiennes destituées de leurs droits parentaux demandent justice

    Trente-trois familles ont déposé un recours en justice après que le parquet a contesté les actes de naissance de leurs enfants, en s’appuyant sur un texte du gouvernement italien d’extrême droite de Giorgia Meloni.

    Mères ensemble de deux garçons de 7 et 4 ans et de jumelles de 40 jours, Sara et Elisa étaient convoquées mardi 14 novembre par le tribunal de Padoue (Vénétie) à propos de l’état civil de leur deuxième fils et s’attendaient déjà à l’être, à l’avenir, pour leurs filles. « Je me souviens encore du jour où on a reçu cette convocation, j’étais enceinte », confiait Sara, anéantie et inquiète des dommages psychologiques sur ses enfants. «Ils sentent notre tension, même s’ils ne comprennent pas tout. L’autre jour, ils m’ont demandé : “s’ils enlèvent maman de l’acte de naissance, elle devra quitter la maison ?” On les a rassurés», expliquait la trentenaire, passée, au fil des semaines, de «la rage à la résignation».

    Tout a commencé en juin dernier, quand le parquet de Padoue a contesté les actes de naissance de tous les enfants de couples lesbiens enregistrés par la Ville depuis 2017. Cette décision fait suite à une circulaire du ministère de l’Intérieur de janvier 2023, ordonnant aux maires de ne plus inscrire le deuxième parent sur les actes de naissance des familles homoparentales. Seules les mères ayant accouché peuvent désormais être reconnues. Concrètement, pour un couple, cela signifie que la mère qui n’a pas accouché devra demander l’autorisation de sa conjointe pour aller chercher son enfant à l’école, l’emmener chez le médecin ou à l’hôpital… Et pire, en cas de décès de la mère ayant porté l’enfant, celui-ci serait considéré comme orphelin.

    Face à cette mesure clairement hostile à leurs droits et à ceux de leurs enfants, les trente-trois familles concernées, appuyées par des associations, se sont mobilisées et ont déposé un recours en justice. Comme Sara et Elisa, c’est la gorge serrée que soixante-six mères se sont présentées devant le tribunal de Padoue, avec un objectif précis : ne pas être effacées de l’acte de naissance de leurs enfants. Et un message clair : « Nous ne lâcherons pas. »Après avoir publiquement énuméré les noms des trente-sept enfants qui risquent de se voir privés juridiquement d’un parent, ces femmes se sont lié au poignet un ruban fuchsia, couleur des mouvements féministes et LGBT+ en Italie, qu’elles se sont promis de garder tout au long de leur bataille judiciaire. Des juges doivent examiner leurs cas lors d’audiences qui ont lieu chaque mardi jusqu’à Noël.

    Alice par exemple, 40 ans et mère d’un petit garçon de 7 mois, est considérée dans le jargon juridique comme la mère «intentionnelle» ou «deuxième mère», c’est-à-dire celle qui n’a pas porté l’enfant – et perd donc aujourd’hui ses droits parentaux. Comme la plupart des femmes présentes, c’était la première fois qu’elle se retrouvait devant un tribunal. «J’ai toujours pensé que les juges étaient là pour nous protéger», lâchait-elle, les yeux rivés vers le sol. «Ce matin, j’ai payé mes impôts, je remplis mes devoirs. Mais visiblement, je n’ai pas de droits.»
    Selon le classement annuel de la situation des droits humains des personnes LGBT+ en Europe, réalisé par l’Ilga-Europe, la péninsule est 34ᵉ sur 49 pays. Pire, si l’on prend la catégorie Crime et discours de haine, l’Italie est en dernière position, ex aequo avec la Pologne et la Russie. Aucune loi ne condamne l’homophobie, les couples de même sexe n’ont pas le droit de se marier (l’union civile est autorisée depuis 2016) ni d’adopter, et n’ont pas accès à la procréation médicalement assistée (PMA) réservée uniquement aux couples hétérosexuels mariés depuis au moins trois ans.

    Comme la PMA est interdite aux couples lesbiens sur le territoire national, aucune loi ne garantitla reconnaissance de ces enfants. Jusqu’ici, les agents de l’état civil acceptaient souvent d’inscrire le nom de la deuxième mère sur les actes de naissance, notamment à Padoue. Mais le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni s’est emparé de ce vide juridique pour s’acharner contre son ennemi numéro deux, après les migrants : les homosexuels.

    Meloni en croisade contre le lobby LGBT

    Giorgia Serughetti, chercheuse en philosophie politique à l’université de Milan-Bicocca, explique : «La famille dite traditionnelle est l’un des piliers fondateurs de la droite radicale italienne. Avec l’idée qu’il y a un peuple natif, un ordre naturel à défendre pour préserver la nation italienne. Et que le droit des natifs prime sur celui des étrangers et des minorités. Maintenir ces inégalités est important pour préserver l’ordre.» Une «matrice» qui s’applique selon elle à différents niveaux : sur la politique migratoire, les LGBT +, mais aussi les plus précaires : en réalité, « tous ceux qui sont à la marge de la société ».

    En échec sur la question migratoire, Giorgia Meloni multiplie les attaques contre la communauté LGBT+ pour rassurer son électorat. Outre ses envolées violentes et récurrentes en faveur d’une «famille naturelle, un papa et une maman», face à la menace croissante du «lobby LGBT», Giorgia Meloni a déjà transformé ses paroles en actes. En plus de la circulaire sur la non-reconnaissance du deuxième parent, elle a aussi annoncé sa volonté de faire de la GPA (gestation pour autrui) un «crime universel» (les parents y ayant eu recours à l’étranger seraient condamnables en Italie), et s’est opposée à un règlement européen visant à faciliter la reconnaissance des familles homoparentales.

    Une politique répressive qui, selon Valentina et Daniela, elles aussi présentes devant le tribunal de Padoue, risque de favoriser la montée de l’homophobie en Italie : « Ce discours de haine envers notre communauté légitime la violence et le harcèlement par nos adversaires les plus intégristes. » Et de creuser une fracture de plus au sein de la société italienne. Pour les mères de Padoue, la décision des juges est attendue début 2024.

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