Initiateur d’une scène gaie bouillonnante et flamboyante à Montréal et personnificateur de La Monroe, la reine incontestée des nuits montréalaises dans les années 50, 60 et 70, Armand Larrivée Monroe n’est plus. Il est décédé à Montréal des suites d’un cancer. La Monroe a non seulement ouvert des portes à celles qu’on allait un jour appeler des drag queens, mais a aussi fracassé en 1958 un plafond de verre pour les hommes qui voulaient tout simplement s’aimer et danser ensemble en public.
Cet article reprend des extraits d’un portrait d’Armand Monroe par Serge Fisette, publié dans Fugues, en septembre 2021.
Dernier d’une famille de 13 enfants, Armand Larrivée naît en 1935 et grandit dans le quartier Saint-Henri à Montréal. Durant toute son adolescence, chaque jour il observe au loin les lumières du centre-ville, fasciné et attiré par elles sans trop savoir pourquoi. À 18 ans, sa décision est prise, irrévocable. Sa valise est prête : il part.
Déjà, il pressent qu’il est différent, que la vie – SA vie – est ailleurs. Même s’il sait ce qu’est la honte d’être gai en ce temps-là, toujours il s’affichera tel qu’il est, clamant qu’il n’a jamais eu besoin de sortir du placard puisqu’il n’y a jamais été.
Un jour, sa mère lui lancera brutalement : «Va-t-en avec tes maudites tapettes.» Il ne le sait pas encore, mais c’est auprès d’eux, précisément, qu’il trouvera une nouvelle famille. Jusqu’à devenir une figure emblématique de la scène homosexuelle; jusqu’à prétendre que le premier exemple pour les gais, ç’a été lui!
Auprès d’eux, il sera «La Monroe»!
Le personnage est né un soir qu’il prend un verre avec des amis au Café Monarch, après être allé voir le film Comment épouser un millionnaire avec Marilyn Monroe. Comme il ne tarit pas d’éloges et ne cesse de parler de son admiration pour l’actrice, un ami lui répond : «Heille, La Monroe, ferme donc ta gueule» ! Le nom reste et il le fait enregistrer comme nom d’affaires.
En 1957, afin d’attirer une clientèle gaie, on lui propose de devenir animateur au Tropical Room, situé sur la rue Peel. Le lieu devient le premier établissement s’adressant exclusivement aux homosexuels au Québec. Dynamique, intarissable, il y projette des films, organise des bingos, des shows de drag queens et des concours d’amateurs et de Monsieur Muscle.
«La Monroe», écrira plus tard Michel Tremblay dans La nuit des princes charmants, «entra sur la scène comme chez elle, sans se faire annoncer, très femme d’affaires, une main sur la hanche et l’autre triturant sa lèvre inférieure.»
Fort de son succès, il demande au patron, Solly Silver, que tous les serveurs du bar soient homosexuels. Quelques mois plus tard, fêtant ses 23 ans, il veut comme cadeau d’anniversaire que les hommes puissent danser ensemble, ce qui était défendu jusqu’alors. Le patron finit par accepter, mais «no slow», précise-t-il!
Armand Monroe travaillera dans plusieurs établissements dont l’Hawaiian Lounge, le Quartier latin et le Café Beaver, au coin des rues Sainte-Catherine et Bleury, où se produisent Jacques Desrosiers, Rose Ouellet – dite La Poune –, Alys Robi et Lana St-Cyr.
Au cabaret le PJ’s, il s’amuse dans ses spectacles à jouer le rôle de la «grande folle émancipée», et interprète quelques personnages féminins. Parmi eux se trouve Lena Horne, la populaire chanteuse noire américaine, dont il reprend From This Moment Oncomme chanson d’ouverture :
From this moment on
Oh, you’ve got the love I need so much
Got the skin I love so much
Got the arms to hold me tight
Got the sweet lips to kiss me good night
«Je suis un boute-en-train, dit-il. Je me lève presque en chantant, le matin. Ça ne date pas d’aujourd’hui, j’ai toujours été comme ça et j’ai toujours travaillé pour les gais, toute ma vie.»
Tiré à quatre épingles, coiffé et maquillé par le Salon Capucine, habillé de vêtements griffés de grands couturiers comme Normand Martel, il porte des tenues spéciales tels des kimonos et des djellabas multicolores. Il côtoie le créateur de mode Léo Chevalier alors que l’animatrice de télévision et mannequin Élaine Bédard fait son entrée dans l’univers de la mode.
Symbolisant la grâce et la féminité, elle est surnommée par la presse américaine la «French Canadian sweet heart». Fasciné par le glamour, il se maquille les yeux comme elle. Il offre des spectacles en français et en anglais, en «bitchant» tout le monde, ce qui ravit et fait rire le public. Aussitôt c’est un triomphe – un standing ovation.
Cet homme de cœur sera en page couverture du septième numéro de la revue Attitude (la publication qui a précédée Fugues quelques années) pour laquelle le couturier Peter Skibinsky fera des croquis de lui vêtu de costumes sophistiqués.
Avec Pascale Poirier, il animera l’émission de télévision Côte à côte. On y interviewe des invités comme «Jean Laflamme du Réflexion, Bobette de la taverne Bellevue, John Banks du Mystique, Fernando de Chez Jean-Pierre, tous des gens qui en ont long à dire sur le milie5».
En plus d’une chronique sur les voyages, on monte des dossiers thématiques sur divers sujets, comme sur les personnes trans. L’émission sera aussi diffusée à Radio Centre-Ville avec John Banks.
En 1974, toujours prêt à aider la relève, toujours à l’affut des nouvelles tendances, il accueille au PJ’s les New York Dolls, ouvrant «la porte de l’underground montréalais au glam rock, puis au punk du groupe Les 222». Quelques années plus tard, il invite de nouveau le groupe «pour faire la promotion de leur simple I Love Suzan/The First Studio Bomb. Les 222 avaient déjà joué dans plusieurs salles plus ou moins organisées, mais, dans un bar, c’était la première fois. C’est [Armand Monroe] le premier qui a « daré » nous engager et nous payer. C’était notre premier cachet. […] Quiconque se sentait en marge pouvait aller se mêler à cet univers qui célébrait la diversité d’une manière excentrique, assumée à outrance et décadente par ses excès.»
En 1979, il participe avec une cinquantaine d’autres personnes à la première manifestation de la fierté de Montréal, organisé par John Banks. On les voit sur la photo ci-dessous en tête de cortège agitant un drapeau avec des triangles.
Au fil des années, Armand Monroe animera, en 1980, la Fête nationale du Québec au Carré Dominion avec déjeuner sur l’herbe, création collective, spectacle de mime et bal masqué et, en 1983, le spectacle de travestis au Vieux St-Vincent à Laval.
Il participera au documentaire Lip Gloss de Lois Siegel, où il est question de travestis, de drag queens et de trans, et il présentera le film au Festival des films du monde en 1993.
On le retrouvera également dans le spectacle historique Vice & Vertu réalisé par Les 7 Doigts de la main. Regroupant une trentaine d’artistes issus du cirque, de la musique, du théâtre, de l’humour, de la vidéo et du music-hall, on revient sur les années 1930 à 1960 et sur les heures glorieuses du Red Light et de la Main. On y découvre des personnalités comme l’avocat et policier Pax Plante, Jean Drapeau, l’effeuilleuse Lili St-Cyr, le dramaturge Gratien Gélinas et la tenancière de cabaret Texas Guinan. Avec ses confidences, Armand «incarne le déchirement vécu par des générations d’homosexuels pourchassés». Son rôle est interprété par Vincent Roy qui fait part de son enthousiasme : «Quand on m’a parlé de toi, Armand, et qu’on m’a donné un aperçu de ton histoire, je me suis dit que ça représentait tellement la liberté que j’ai envie de défendre, en tant qu’artiste et qu’homosexuel out. Je voulais rendre hommage à cette personne-là.»
Armand Monroe a également fait partie de l’exposition Scandale! Vice, crime et moralité à Montréal, 1940-1960, présentée au Centre d’histoire de Montréal du 15 novembre 2013 au 2 avril 2017 et qui revenait notamment sur le monde interlope et sur la Montréal de l’époque, qualifiée de «little Paris of America».
Jusqu’à la fin de ses jours, le vœu le plus cher d’Armand Monroe a été de ne pas être oublié par la communauté gaie afin que l’on se rappelle que la situation n’a pas toujours été aussi facile que de nos jours. «Je remercie, disait-il, tous les homosexuels de 1957 à 1969 qui, au risque de perdre leur liberté, sont venus m’encourager. Plus que moi, ce sont eux les pionniers.»
En 2022, Fierté Montréal lui a remis le prix John-Banks afin de souligner sa contribution exceptionnelle à la promotion des droits des communautés LGBTQ+.
Suite à son décès, les commentaires de la communauté n’ont pas tardé.
« Quand j’ai commencé à faire du spectacle en 88, Armand était encore présent sur la scène montréalaise, on le voyait encore dans les cabarets et c’était déjà une légende» a déclaré Luc Provost, mieux conne comme Mado Lamotte.
«Quand il entrait pour donner des spectacles, c’était un peu intimidant », raconte, quant à lui Michel Dorion, un autre « personnificateur féminin » bien connu. « Armand, c’était le type d’artiste qui n’avait pas la langue dans sa poche, ajoute-t-il. C’était quelqu’un que j’appréciais beaucoup. »
«Armand Monroe, un géant de la vie montréalaise nous a quitté à l’âge de 88 ans» a-t-on écrit sur le profil de Fierté Montréal, qui a souligné qu’«À une époque où l’homosexualité était considérée comme un crime, La Monroe révolutionne les bars gais en offrant à cette communauté des spectacles spécialement conçus par et pour les personnes gaies. »
L’équipe de Fierté Montréal souhaite ses plus sincères condoléances à ses proches et à sa famille.
Photos : collections privées de Armand Monroe et Christian Levasseur
Enchanté de l’hommage que vous faites d’Armand L’arrivée Monroe,quel courage il a eu de vivre sa vie et je dois vous dire comment il était en extase,comme un enfant quand Diane Dufresne est entrée avec sa grande traîne d’un mille et demie au stade lors de la magie Rose en 84