En 2013, Coming out marquait un tournant dans l’histoire de la télé québécoise en devenant la première série à s’intéresser autant à l’intimité et à la sexualité des personnages queers. Une décennie plus tard, Fugues a invité Mathieu Blanchard, le scénariste, réalisateur, producteur et acteur principal de l’émission, à replonger dans ses souvenirs et à faire le point sur l’évolution de la télé d’ici.
Il y a 10 ans, quel était ton objectif avec Coming out ?
Mathieu Blanchard : J’ai écrit la série parce qu’il n’y avait pas de représentation de la vie intime des gai.e.s au Québec. Dans les séries comme Tout sur moi, Cover Girl ou Les hauts et les bas de Sophie Paquin, on s’intéressait surtout à leur quotidien et non à leur vie amoureuse, leurs séparations et leurs relations sexuelles. Tant qu’à faire un show, je voulais en faire un qui parle de ma réalité et de celle de plusieurs de mes ami.e.s.
Rappelons-nous qu’ailleurs, il y avait de nombreuses émissions qui parlaient en profondeur de nos réalités gaies, comme Queer as folk.
À quel point les interprètes étaient-iels à l’aise de jouer les scènes d’intimité ?
Mathieu Blanchard : Avant la production, j’ai pris le temps de leur expliquer le projet, parce qu’on avait à tourner quelques scènes crues. Dans ce temps-là, il n’y avait pas de coordonnateur d’intimité sur les plateaux de tournage. Que les interprètes soient gai.e.s ou non, c’était important pour moi de savoir s’iels étaient à l’aise de jouer ça. Finalement, tout le monde m’a fait confiance en embarquant dans le projet. De toute façon, mon objectif n’était pas de mettre des pénis à l’écran pour mettre des pénis à l’écran.
Quelles ont été les réactions du public ?
Mathieu Blanchard : Il y a eu de tout ! Certaines personnes ont adoré la série, d’autres l’ont détestée. Je me disais que si elles la haïssaient pour une raison, ça devait leur avoir amené une émotion, et si les autres l’aimaient à ce point-là, c’était aussi parce qu’iels avaient ressenti quelque chose. En général, le projet a fonctionné au-delà de mes espérances en termes de visionnements (environ 250 000 vues au Québec) et de visibilité. La série a été diffusée dans sept pays et sous-titrée en quatre langues. C’est devenu plus gros que moi.
Quelles portes ça t’a ouvertes ?
Mathieu Blanchard : C’est ce projet qui m’a permis de lancer ma boîte de production. La série a été mon école. Ça m’a tout montré sur la production et la réalisation. Par la suite, j’ai fait plusieurs contrats en publicité et dans le milieu corporatif.
Est-ce que la série t’a également fermé des portes ?
Mathieu Blanchard : Après la première saison, en tant que comédien, le téléphone a arrêté de sonner. Avant, je jouais le chum de la fille dans une série ou le serveur qui cruisait une fille. Comme je suis fait relativement carré, on pensait à moi pour jouer l’hétéro. Après Coming out, les offres ont arrêté. Les seuls rôles qu’on me proposait ou pour lesquels j’étais invité à auditionner, c’était le gai. Je ne peux pas dire que ça m’a nui, mais ça m’a restreint.
Depuis 2013, comment la présence de personnages queers dans la fiction télé québécoise
a-t-elle évolué ?
Mathieu Blanchard : Je trouve que le chemin s’est bien fait. On a des séries avec des
personnages centraux gais ou lesbiennes, sans que leur orientation sexuelle les définisse
entièrement, comme Sans rendez-vous ou Sorcières avec le personnage d’Agnès. Elle a des problèmes dans sa vie, mais pas parce qu’elle est lesbienne. On a accès à tellement de représentations qui s’éloignent du personnage qu’on résume à son homosexualité.
Que vois-tu de différent si tu compares avec la fiction télé à l’international ?
Mathieu Blanchard : Je trouve qu’on est encore en retard dans la représentation trans et non binaire. Ensuite, même si les personnages homosexuels sont plus nombreux et moins réduits à leur orientation sexuelle, il y encore une forme de pudeur au Québec dans la façon de montrer l’intimité et la sexualité entre personnes de même sexe. Est-ce que ça vient de la réalisation, de la production ou des diffuseurs qui manquent d’audace pour montrer ça à l’écran ? Je pose la question. Pourtant, on le montrait dans Coming out il y a déjà 10 ans.